Tout le mois d’août, les rédacteurs de CineSeriesMag vous font découvrir les meilleurs films de l’été. Aujourd’hui, plongeons dans la moiteur de la Louisiane avec Soudain l’été dernier.
Synopsis : Violet Venable, une riche veuve, demande à un jeune psychiatre de pratiquer une lobotomie sur sa nièce, Catherine, atteinte de « démence précoce ».
C’est au début des années 40 que Tennessee Williams devient un des dramaturges les plus populaires, d’abord avec La Ménagerie de verre, puis surtout avec Un Tramway nommé Désir, mis en scène à Broadway par Elia Kazan en 1947, et qui vaudra à son auteur un Prix Pulitzer. Le style si particulier de Williams, fait d’une ambiance glauque où se mêlent folie, pulsions sexuelles et haines familiales, rencontrera alors souvent le succès, que ce soit au théâtre ou au cinéma (Baby Doll, La Chatte sur un toit brûlant, Doux oiseau de jeunesse…).
La pièce Soudain l’été dernier a été écrite en 1958, et c’est l’année suivante qu’en sort l’adaptation scénarisée par Gore Vidal, l’écrivain qui signera aussi le scénario de Ben Hur ou Que le meilleur l’emporte, et réalisée par Joseph L. Mankiewicz. Le cinéaste sort d’une décennie fastueuse : Chaînes conjugales, Eve, On murmure dans la ville, Jules César ou La Comtesse aux pieds nus, les succès sont nombreux. Mankiewicz montre, au fil de ses films, un grand sens de la mise en scène, de la direction d’acteurs et du dialogue.
Décor lugubre
Ce talent se retrouve dès les premières scènes du film. Le générique défile sur un mur de briques. La scène d’ouverture confirme cette première impression : le jeu d’ombres, l’emploi du décor avec ses perspectives bouchées, tout montre aux spectateurs que l’avenir des femmes enfermées au Lions View est compromis.
Le film va entièrement se dérouler dans cette atmosphère lugubre et poisseuse, un décor qui reflète la mentalité des personnages. C’est là le cadre habituel des pièces de Tennessee Williams, dans une Louisiane moite qui favorise la violence des sentiments. Même lorsque la scène se déroule en extérieur, le spectateur se retrouve alors dans la jungle créée par Sebastien derrière la villa familiale des Venable, lieu dédié à la force et la violence de la nature. Une nature dangereuse et étouffante, à l’image de Violet Venable elle-même. Et au milieu de cette jungle, des plantes carnivores appelées « Vénus », images d’un amour qui dévore tout sur son passage.
Et derrière la jungle, la garçonnière de Sebastien. A l’entrée de celle-ci veille un squelette ailé, sorte d’ange de la mort, dans un lieu exigu à la décoration baroque et surchargée. En quelques minutes, Mankiewicz impressionne par sa science de la mise en scène, son art d’implanter un décor et de créer des détails riches de sens.
Interprétation inoubliable
Mais là où Soudain l’été dernier devient tout simplement inoubliable, c’est par son interprétation. Les trois acteurs principaux livrent une prestation exceptionnelle qui marque durablement le spectateur.
D’abord, il y a Katharine Hepburn, stupéfiante dans un rôle à contre-emploi. Elle est Violet Venable, une riche veuve « qui détient toute la ville » et qui, lors de sa première apparition dans le film, se compare à l’empereur de Byzance. Au fil d’une interprétation tout en nuance, Hepburn montre progressivement les ambiguïtés de son personnage, en particulier dans son rapport avec son fils. Quand le psychiatre lui pose des questions au sujet de son veuvage, elle répond en parlant de Sebastien. Elle va même jusqu’à affirmer « Nous étions un couple célèbre ». L’ambiguïté est telle que, dans les premières minutes, le spectateur en vient à penser que Sebastien était son mari.
Face à elle, Elizabeth Taylor trouve ici un des rôles les plus marquants de sa carrière. Fragile, sensuelle, la jeune Catherine se réfugie dans la folie pour échapper aux souvenirs qui la hantent.
Entre les deux, Montgomery Clift se distingue par un jeu plus en retrait, intériorisé mais intense. Il n’est pas seulement celui qui doit décider du sort de Catherine : il est comme l’arbitre d’un match entre les deux femmes, match inégal puisque Violet Venable use de son argent comme d’une arme, faisant pression sur le directeur de l’hôpital psychiatrique pour obtenir une lobotomie de Catherine. Tout cela ajoute une formidable tension dramatique au film, tension qui ira de façon croissante jusqu’à un final prodigieux.
L’été meurtrier
Soudain l’été dernier est un film qui joue beaucoup sur les regards. Regarder et voir la vérité bien en face, tel est l’enjeu majeur du film. Cela commence dès la scène d’ouverture, où Cukrowicz montre, lors d’une lobotomie qu’il effectue devant un public d’étudiants en médecine, à quel point l’hôpital public est dans un état délabré et « primitif ». Et ce jeu du regard se retrouve dans tout le film, où l’enjeu principal sera de mettre en plein jour ce qui est caché. Finalement, la folie, ici, consiste à fuir ces vérités que l’on se refuse à voir. « Dieu me voit », annonce le panneau dans la chambre de Catherine : c’est justement à ce regard que la jeune femme veut échapper.
L’été, c’est justement la saison où l’on met la vérité en pleine lumière. Le film est émaillé de récits qui se déroulent en été. C’est en été que Violet a découvert la cruauté de la nature. C’est en été que Catherine comprend la force des liens qui unissent Sebastien à sa mère. C’est en été aussi que se déroule le récit final, celui vers lequel tend tout le film. L’été est la saison où l’on ne peut rien cacher, ou tout est placé en pleine lumière.
En bref, Soudain l’été dernier est un film inoubliable, qui marque le spectateur aussi bien par la qualité de sa mise en scène que la force de son interprétation et la tension qui l’entraîne inexorablement vers un final grandiose. Il s’agit, sans aucun doute, d’une des œuvres majeures de Joseph Mankiewicz, un des plus grands cinéastes américains, qui sortira en Blu Ray le 23 août 2017.
Soudain l’été dernier : bande annonce
Soudain l’été dernier : fiche technique
Titre original : Suddenly last summer
Réalisateur : Joseph L. Mankiewicz
Scénario : Gore Vidal et Tennessee Williams, d’après sa pièce de théâtre
Interprètes : Montgomery Clift (Docteur John Cukrowicz), Katharine Hepburn (Violet Venable), Elizabeth Taylor (Catherine Holly).
Musique : Buxton Orr, Malcolm Arnold
Montage : Thomas G. Stanford
Photographie : Jack Hildyard
Producteur : Sam Spiegel
Sociétés de production : Columbia Pictures Corporation, Horizon Pictures, Academy Pictures Corporation, Camp Films
Société de distribution : Columbia Pictures
Genre : drame
Date de sortie en France : 20 mars 1960
Durée : 109 minutes
Etats-Unis-1959