Si votre quotidien est stressant, déprimant et anxiogène, attendez-vous à revivre des situations d’abandon similaires dans Roqya. Ce thriller a l’audace de confronter les absurdités et les contradictions sur la diffusion d’informations sur les réseaux sociaux, tout en édifiant les droits des femmes au cœur d’une misogynie ambiante. Le personnage de Golshifteh Farahani y est piégé entre une chasse aux sorcières moderne et le besoin de renouer avec son fils, son seul phare dans un monde où la violence peut éclater à tout instant.
Synopsis : Nour vit de contrebande d’animaux exotiques pour des guérisseurs. Lorsqu’une consultation dérape, elle est accusée de sorcellerie. Pourchassée par les habitants du quartier et séparée de son fils, elle se lance alors dans une course effrénée pour le sauver. La traque commence…
Saïd Belktibia, qui a fait ses armes au sein du collectif Kourtrajmé avant d’être propulsé par Ladj Ly lui-même, se lance dans un projet aussi déroutant qu’ambitieux. Les médias sociaux sont aujourd’hui la source d’information principale des internautes. Le cinéaste en a déjà rappelé les effets néfastes dans son court-métrage Ghettotube, réalisé en 2015. Il revient aujourd’hui avec la ferme intention de remettre les points sur les i quant à la cyberviolence qui en découle et sur l’usage de la Roqya, également appelée « médecine prophétique ». Il s’agit d’un jeu vicieux comparable à ce que le jeune Imam de Kim Chapiron n’avait pas anticipé. Ce sera la même chose ici, mais avec un point de vue féminin sur la situation.
Sans foi ni loi
Nous suivons Golshifteh Farahani dans la peau de Nour, une mère séparée de son fils (Amine Zariouhi) et qu’on accuse de sorcellerie. C’est en tout cas ce qu’on nous donne à penser dès l’ouverture. Nour est arrêtée par des agents douaniers d’un aéroport, en possession d’animaux exotiques dont la plupart sont bien venimeux. Cette séquence surréaliste esquisse ainsi de belles promesses quant à son combat à venir, mais elle révèle également les mauvais symptômes qui contrecarrent la gestion de la tension par la suite. Les manifestations démoniaques sont des interprétations ancrées dans la culture islamique et bien d’autres encore. Le sujet est traité avec une distance qui ne permet pas une immersion totale dans le récit, malgré quelques séquences fortes où l’indifférence est captée de manière horrifique. L’ensemble du récit peine donc à atteindre ce niveau de sidération, malgré le jeu tourmenté de Denis Lavant ou celui de Jeremy Ferrari, l’ex-compagnon de Nour en défaut d’autorité et de reconnaissance.
Chacun essaie d’avancer comme il peut et Nour choisit la voie du numérique pour combler les bénéfices de sa contrebande d’animaux. Elle se lance ainsi dans la création d’une application dans le but de connecter des patients malades et troublés aux marabouts de la région, des guérisseurs mystiques. Les croyances sont dès lors utilisées comme des instruments de pression et de torture chez les plus vulnérables. Le succès tourne malheureusement court et la mèche ne tarde pas à s’enflammer pour isoler Nour de son propre foyer. Vient le tour d’une condamnation populaire sur les réseaux sociaux, un réflexe plus que jamais d’actualité. Le cinéaste nous donne cependant des images que l’on peut rarement laisser mijoter à réflexion, car elles sont constamment commentées à chaud et face caméra. Tout le monde y ajoute son comburant pour le bûcher médiatique, qu’ils soient jeunes ou vieux, hommes ou femmes. Si l’insertion de ces courtes vidéos témoigne d’une euphorie collective sur le net, cette thématique disparaît peu à peu de l’intrigue. À force d’empiler les idées, certaines finissent par s’annuler, faute de développement ou de pertinence, car la véritable sorcellerie se cache dans les idées noires, dissimulées en filigrane d’une filature circonstancielle.
Ma sorcière mal aimée
Qu’est-ce qu’une sorcière finalement ? Loin du portrait caricatural d’une femme au nez crochu, possédant un vieux grimoire, un chaudron et un chat noir, Nour représente la sorcière du XXIe siècle, une femme qui assume pleinement son indépendance vis-à-vis des hommes. Les filles sont les plus dangereuses selon elle et nous ne lui donnerons pas tort dans cette intrigue, symboliquement chargée en valeurs féministes. Nour est donc effectivement une sorcière, dont le mythe a été créé de toutes pièces par les réseaux sociaux, ce sanctuaire numérique où les utilisateurs se croient aussi divins qu’intouchables. Loin d’être une femme possédée et envoûtée par des pratiques occultes qu’elle ne croit pas elle-même, Nour joue pourtant avec les artéfacts qu’elle possède, si cela peut l’aider à se connecter de nouveau avec son fils, malmené par un endoctrinement qui le dépasse.
Le film se détourne, avec transparence, d’une voie qui aurait pu le conduire au registre fantastique et beaucoup plus diabolique. Il s’agit simplement d’une femme en colère. En colère contre le fait qu’on lui refuse son indépendance et cet anneau doré autour de l’annulaire la maintient en captivité. Les cerbères de la cité sont ainsi lâchés pour conjurer le mal par le mal, car il ne s’agit pas d’une traque qui consiste à vérifier la pertinence des sciences occultes. Les Sorcières d’Akkelare le fait suffisamment bien pour éviter une redite inutile. Tout ceci n’est qu’un accès de rage qui s’ajoute à une écriture confuse, notamment lorsqu’on se met à traverser les dédales des quartiers de la Seine-Saint-Denis.
Ce que Roqya souhaite mettre en évidence, ce sont les engrenages d’un mouvement qui tend à sanctionner toute tentative de révolte chez les femmes. Cela ne leur est pas nécessairement exclusif pour autant au cinéma, mais il est bon de rappeler que la folie et la furie qu’a dû encaisser le personnage d’Eddy Mitchell dans À mort l’arbitre !. Les deux films ont néanmoins un point commun et il s’agit de la source de cette violence, contrôlée, amplifiée et propagée par les hommes. Les dommages collatéraux sont dès lors tolérables pour les êtres de sang chaud d’une cité très communautaire et solidaire. Malheureusement, cette unicité est détournée à des fins tragiques et au nom du sacro-saint business. Ceux qui jouent avec le feu doivent ainsi s’attendre à des représailles significatives et Belktibia s’y attarde en braquant sa caméra sur les coulisses d’un milieu de vie qui lui est familier, d’un milieu qui n’a que l’espoir pour atténuer les souffrances du monde réel.
En somme, Roqya se place dans le sillage des films de genre récents qui nous emmènent au cœur des cités, où les habitants sont tiraillés entre tradition et modernité. La technologie sert ainsi de passerelle entre les deux et de vecteur pour que la violence puisse peu à peu se propager. Nous regrettons cependant que cette chasse aux sorcières soit aussi maladroite dans son déroulé, de même pour la réconciliation entre une mère et son fils, légèrement rattrapée dans le dernier acte. Couchées sur du papier, les intentions de Saïd Belktibia sont séduisantes, mais le résultat étalé sur la toile manque encore de maturité pour sublimer son pamphlet féministe.
Bande-annonce : Roqya
Fiche technique : Roqya
Réalisation : SAÏD BELKTIBIA
Scénario : SAÏD BELKTIBIA, LOUIS PÉNICAUT
Directeur de la photographie : BENOIT SOLER
Chef opérateur du son : ARNAUD LAVALEIX
Monteur son : SERGE ROUQUAIROL
Mixeurs : MARC DOISNE, THOMAS WARGNY DRIEGHE
Chefs monteurs : BENJAMIN WEILL, NICOLAS LARROUQUERE
Chef décorateur : ARNAUD ROTH
Musique originale : FLEMMING NORDKROG
Producteur : LADJ LY
Production : ICONOCLAST FILMS, LYLY FILMS
Pays de production : France
Distribution France : The Jokers Films
Durée : 1h36
Genre : Thriller, Action
Date de sortie : 15 mai 2024