Le scénariste de John Wick et le réalisateur de Hardcore Henry se sont retrouvé réunis pour écrire une comédie romantique, et puis… Non. Mieux vaut parler de personne que d’une seule : Nobody est sorti ce 2 Juin.
Synopsis : Hutch Mansell, un père et un mari frustré, totalement déconsidéré par sa famille, se contente d’encaisser les coups, sans jamais les rendre. Il n’est rien. Une nuit, alors que deux cambrioleurs pénètrent chez lui, il fait le choix de ne pas intervenir, plutôt que de risquer une escalade sanglante. Une décision qui le discrédite définitivement aux yeux de son fils Blake, et qui semble l’éloigner encore plus de sa femme Becca. Cet incident réveille chez cet homme blessé des instincts larvés qui vont le propulser sur une voie violente
John Wish, le roi de la loose
Oublions les scènes d’exposition et les gourmandises : ici, dès l’affiche on est dans le dur. L’équipe de com’ a bien bossé, et assumé de présenter le visage de Bob Odenkirk, incarnant Hutch Mansell, le nobody du titre, s’essuyant le visage d’un revers ou bien se prenant des poings dans la tronche. Le héros est laborieux, bosse dans un secteur usant, le meurtre, et marque de tout son corps sa lassitude à le faire. Comme John Wick, en quelque sorte, ange noir blasé de devoir venger son chien contre toutes les mafias du Monde. La loose est celle qu’ils ont choisie : John Wick se planque et toilette un chiot, Hutch Mansell sort les poubelles en retard, pointe tous les matins à son usine et s’ennuie pas mal.
Briquer la défaite
Derrière les intertitres qui s’affichent dans une séquence d’introduction digne d’un grand Guy Ritchie, « Lundi », « Mardi » et les autres, ponctuant chaque jour d’une défaite répétitive ponctuée d’un gong sonore retentissant il y a bien plus que de l’humour noir. On dépasse la simple liste visuelle des petits échecs qui en font le grand. Perdre sa famille, sa femme et le sens des réalités, c’est créer avec des effets volontairement ampoulés un Jerry Lindegaard dans Fargo : la frustration c’est un terreau terrible pour le polar, peut-être le plus grand. Et ici, c’est tout ce qu’on veut : faire rentrer le polar dans un beau quartier à la desperate housewives, à grands coups de chausse-pieds.
L’habit ne fait pas le moi
La loose se choisit-elle ? On pourrait s’en convaincre. Après le braquage de sa maison par deux paumés incapables de choisir la bonne maison d’un quartier résidentiel pour y piquer quelques dizaines de dollars, la bête se réveille. Hutch Mansell chasse les deux tocards qui ont failli faire de lui un modèle de violence devant son fils, qui, perdu, le lâche, prenant un courage pour une défaite, alors qu’elle est le costard le plus porté de la planète. C’est ainsi : on perd toujours plus qu’on ne gagne à se construire et chaque victoire ne peut jamais cacher toutes ses impuretés. Traqués, les deux braqueurs se révèlent quand Hutch les débusquent : ils cherchaient des sous pour aider leur bébé malade, se contenant de manger des soupes chinoises lyophilisées. Alors ?
« Je sais qui on était »
Comme un mantra, Hutch affirme à sa femme qui le délaisse, incarnée par une Connie Nielsen brillante de distance : « je sais qui on était ». Chaque personnage de cinéma pourrait avoir la force de l’affirmer, car tout se perd dans la routine, même l’idée de soi. Et qui Hutch est-il donc ? Le fils de Christopher Lloyd / Doc Brown et le gendre de Michael Ironside / Côté de fer. Soit, cinématographiquement l’enfant parfait de l’entertainment et du badass. Un héritage assumé, qui délimite les frontières de la folie d’une personne qui ne veut pas en être une, furieux de cette contradiction à la base de toute cette colère : comme John Wick, Hutch Mansell tue et fêle des crânes par et pour un point de départ anodin, comique : l’un son chien, l’autre le bracelet de sa petite fille à ramener. Le diable se cache dans les détails : la scène de tabassage dans le bus est ainsi un vrai rêve de directeur de clinique.
Un mariage dangereux
Difficile de ne pas goiser sur le travail d’équilibriste potentiellement douteux que la stylisation d’une violence, dans toute sa banalité, a de sulfureux. On pense à History of violence de David Cronenberg, mais pourquoi pas à Drive, ou aux revenge movies qui ont enterré la légendaire carrière de Charles Bronson. Cycliquement, des films révèlent des perdus, bien à l’aise dans leurs marges, qui en sortent violemment. Aujourd’hui, ce gardien du temple est un gars malingre, piqué d’une barbe masquant le goître de l’avocat qu’il était dans Breaking bad et Better call Saul : Bob Odenkirk est parfait dans le rôle d’un vieux qui s’en cogne, comme Bryan Cranston l’a joué avant lui. Il y a ainsi quelque chose de jubilatoire à voir un vieux cogner et tirer des mafieux russes comme à la foire, avec son père octogénaire, cassant un jeunisme du film d’action qui nous a fait perdre tant d’acteurs qui auraient bien voulu s’amuser avec nous. La scène de fin, folle, échappe comme un Fast and furious aux critiques qui louperaient le coche : ce Nobody n’est pas une personne.
Bande annonce
Fiche technique
Titre original et français : Nobody
Réalisation : Ilia Naïchouller
Scénario : Derek Kolstad
Photographie : Pawel Pogorzelski
Montage : William Yeh
Musique : David Buckley
Production : Braden Aftergood, Kelly McCormick, Bob Odenkirk, Marc Provissiero
Sociétés de production : 87North Productions, Eighty Two Films et Odenkirk Provissiero Entertainment
Distribution : Universal Pictures International France (France), Universal Pictures (États-Unis)
Pays d’origine : États-Unis
Format : couleur — 2,35:1 — 35 mm — Dolby Digital
Genre : action, thriller
Durée : 92 minutes
Dates de sortie : 2 juin 2021
France : interdit aux moins de 12 ans lors de sa sortie en salles
Distribution
Bob Odenkirk (VF : Gérard Darier) : Hutch Mansell
Connie Nielsen (VF : Micky Sébastian) : (Re)Becca Mansell
RZA (VF : Namakan Koné) : Harry, le frère de Hutch
Alexeï Serebriakov : Julian, criminel russe
Alexandre Pal : le frère de Julian
Christopher Lloyd (VF : Jean-Claude Montalban) : David Mansell, le père de Hutch
Colin Salmon (VF : Thierry Desroses) : Banion
Michael Ironside : Eddie Williams