Si la majorité du public occidental a découvert Soi Cheang avec le tétanisant Limbo, ce virage radical nous donne à découvrir une nouvelle collaboration sous l’égide du studio mythique Milkyway depuis Accident (2009). Connaissant le pedigree d’un producteur-réalisateur comme Johnnie To, dont les effets de styles et les changements de ton récurrents sont gages de qualité, Mad Fate ne lésine donc pas avec son humour décalé et son scénario alambiqué. Les personnages peuvent-ils seulement lutter pour changer leur destin et réprimer leurs pulsions meurtrières ? À force de tirer tous les filons divinatoires, la réponse est amenée avec beaucoup de confusion malgré la merveilleuse idée de peindre la folie sous une pluie qui appelle le sang.
Synopsis : Par une nuit d’orage, un maître de feng shui tente de sauver une prostituée d’une mort certaine, mais le destin en a décidé autrement. Arrivé à son domicile, il découvre le corps de la jeune femme, victime d’un abject serial killer. Un livreur déboule à son tour sur la scène de crime, hypnotisé et fasciné par ce qu’il voit. Le maître de feng shui prédit au garçon un avenir sombre et meurtrier. Mais cette fois, il jure de tout faire pour changer le cours des choses. Sauf que l’inspecteur chargé de l’enquête est convaincu que le livreur est un psychopathe-né dont la soif de sang ne peut être arrêtée…
Après l’impitoyable et l’implacable Limbo, Soi Cheang nous revient dans un registre pour le moins inattendu. Hong-Kong est peuplé de laissés-pour-compte et de vilains en tout genre. Comment Le Maître peut-il espérer sauver une vie, alors que les cadavres pleuvent sous les yeux attristés ? Ce diseur de bonne aventure, campé par un Gordon Lam (Lam Ka-tung, de son vrai nom) toujours aussi impliqué, tente alors de tromper le destin de ses clients dont le sort ne leur réserve ni fortune ni bonne santé. Entre coïncidences et superstitions, on se laisse transporter dans une course contre la montre pour sauver l’âme de Siu-tung (Lok Man Yeung), en proie à ses pulsions meurtrières, qui ont débuté avec le massacre de chats dans son enfance. Son retour derrière les barreaux ne surprendrait ni l’inspecteur qui attend le flagrant délit, ni sa famille. Commence alors une bataille contre ces mauvaises ondes, afin de ne laisser substituer qu’une seule croyance, celle d’une ferme et durable rédemption.
La folie des tueurs
Au milieu d’une nuit pluvieuse et orageuse, on démarre par une fausse scène d’enterrement qui donne lieu à un décalage comique bluffant, tout en préservant le mystère sur la suite du programme. Les personnages que l’on suit font effet partie d’une chaîne dont le destin se délecte de les voir se débattre pour rien. Ce n’est pas faute d’essayer, car c’est ce que Le Maître tente de défier à chaque instant. Il est de ceux qui aiment croire que le destin reste imprévisible, car l’avenir est toujours en mouvement. Peut-être pour se moquer de lui, ce dernier est amené à croiser la route d’un livreur au regard vide et noir, qui s’excite à la vue d’une scène de crime. Le destin place alors tout un arsenal de lames aiguisées sur sa trajectoire et c’est au Maître de faire en sorte de préserver d’innocentes victimes d’une disparition, à la fois commune et tragique dans les bas-fonds d’une cité qui a perdu tout optimisme. On le constate à travers le mode de vie et les individus qui la peuplent.
Pourtant, Mad Fate s’inscrit avant tout comme une étude symbolique sur Hong-Kong et sa névrose. Peuplée de prostituées, de psychopathes, de fous et d’une police qui boîte, la cité ne s’écarte pas du portrait que le cinéaste en fait, comme à son habitude. Mais dans cette noirceur et cette puanteur indescriptible, est-il possible d’y trouver de la lumière ? De la vie ? Est-il possible de pardonner et de changer son destin ? Ces interrogations font partie d’un refrain mis en défaut par un changement de ton permanent, dont les bienfaits ne dépassent pas la demi-heure de visionnage. L’écriture est confuse et la narration s’emmêle. On ne sait jamais si on a affaire à un thriller policier ou à une comédie surnaturelle, là où son principal modèle, Mad Detective, avait réussi à conjuguer les deux registres. Ajoutons à cela une débauche de CGI affligeante, en passant par le ciel nuageux en mouvement ou bien par un chat noir (en partie en animatronique), symboles évidents pour les plus superstitieux. Pourtant, entre les temples, les cérémonies et les cimetières, le cinéaste porte un soin particulier à brosser une ville-monde en proie à la démence.
Est-on finalement destiné à vivre ou à mourir selon notre karma ? Est-il possible de changer son destin ? En attendant la castagne de City of Darkness, ce dernier Soi Cheang, à l’intrigue difficilement lisible, peut toutefois trouver une pertinence si on la considère comme une version taoïste du Minority Report de Steven Spielberg. Le cinéaste hongkongais compense toutefois les défauts d’écriture de ses personnages en insistant sur les symboles qui alimentent les superstitions du médium, jusqu’à effacer cette frontière entre le réel et le surnaturel. Le rythme survitaminé du film et ses effets de style à outrance font que l’on s’égare dès que l’on entre dans la psyché des protagonistes. Contrairement à Only the River Flows, qui a choisi d’insister sur cet exercice, Mad Fate se heurte à ses bonnes intentions qui ne font pas bon ménage avec l’aura du thriller qu’il aurait souhaité être.
Bande-annonce : Mad Fate
Fiche technique : Mad Fate
Réalisation : Soi Cheang
Scénario : Yau Nai-Hoi, Melvin Li
Histoire de : Yau Nai-Hoi, Au Kin-Yee
Directeur des combats : Wong Wai-Leung
Directeur de la photographie : Cheng Siu-Keung
Décors : Bruce Yu
Directrice artistique : Cat Leung
Costumes : Karen Yip
Montage : Allen Leung
Musique : Chung Chi-wing, Ben Cheung
Producteurs : Johnnie To, Yau Nai-Hoi, Elaine Chu
Production : MakerVille Company, Noble Castle Asia, Milkyway Image
Pays de production : Chine, Hong-Kong
Distribution France : Carlotta Films
Durée : 1h48
Genre : Thriller
Date de sortie : 17 juillet 2024