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Julie Andrews, la mélodie d’une vie : portrait d’une icône

Sévan Lesaffre Critique cinéma LeMagduCiné

Icône disneyenne pour les uns, égérie edwardsienne pour les autres. Julie Andrews a enchanté Broadway et la comédie musicale hollywoodienne à travers une poignée de rôles mythiques passés en revue dans le documentaire d’Yves Riou disponible en replay sur Arte.tv. Retour sur la prolifique carrière de la comédienne anglaise à la voix cristalline et à l’aura ensorceleuse, descendue si gracieusement des nuages du ciel londonien en 1964 dans le classique de Walt Disney. 

Sobrement intitulé Julie Andrews, la mélodie d’une vie, le portrait inédit de 52 minutes réalisé par Yves Riou permet de redécouvrir la comédienne britannique aux multiples visages, souvent cataloguée dans les rôles qui ont fait d’elle une vedette, et qui a pourtant su se renouveler afin d’inscrire son parcours cinématographique dans la modernité. Le documentaire revient sur les temps forts d’une carrière étonnante faite de rencontres déterminantes et de choix artistiques audacieux. 

L’étoile du music-hall 

Née Julie Elizabeth Wells à Walton-on-Thames en 1935 d’un père menuisier et d’une mère professeur de piano, Andrews va très tôt faire de sa voix unique un véritable atout. Enfant prodige aux traits « disgracieux » à l’instar de Shirley Temple ou Judy Garland toutes deux castées dans les années 1930, la soprano se produit devant le roi et la reine d’Angleterre alors qu’elle n’a que 13 ans, puis débute sa carrière à Broadway dans The Boy Friend de Sandy Wilson.

Bien avant que Walt Disney ne l’engage pour jouer aux côtés de Dick Van Dyke dans sa comédie musicale culte Mary Poppins réalisée par le britannique Robert Stevenson — rôle pour lequel elle obtiendra l’Oscar de la meilleure actrice en 1965 —, Julie Andrews donne la réplique à Sir Rex Harrison dans la comédie musicale My Fair Ladyinspirée de la pièce de George Bernard Shaw créée en 1914. De quoi subjuguer la cantatrice Maria Callas, effrayée d’apprendre que la jeune fille de 17 ans donne huit représentations par semaine (rythme pouvant endommager ses cordes vocales).

En 1957, Julie interprète la princesse à la pantoufle de verre dans Cinderella de Rodgers et Hammerstein puis la reine Guenièvre dans Camelot d’Alan Jay Lerner et Frederick Loewe. Elle épouse le décorateur et costumier Tony Walton en 1959. Une étoile est née.

« Juste un morceau de sucre qui aide la médecine à couler… »

Trahie par le nabab Jack Warner et dépossédée, au profit d’Audrey Hepburn, du rôle légendaire d’Eliza Doolittle dans l’adaptation cinématographique de George Cukor, l’actrice prend une éclatante revanche grâce à l’oncle Walt, qui, ensorcelé par sa voix d’or aux cinq octaves, lui offre le rôle de Mary Poppins et la propulse sur la scène des Oscars.

Mettre en scène les aventures de la célèbre gouvernante-magicienne représente un défi technique et artistique pour les studios d’animation : acteurs et personnages de cartoons doivent se côtoyer dans un univers enchanteur, sur la musique fameuse des frères Sherman. Malgré les réticences de la romancière australienne Pamela L. Travers, qui refusa pendant plus de vingt ans de céder ses droits à Disney (l’adaptation a d’ailleurs fait l’objet d’un biopic en 2013, Dans l’ombre de Mary), le long-métrage est récompensé par cinq Academy Awards.

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Julie Andrews sur le plateau de Mary Poppins mis en scène par Robert Stevenson (1964).

Nommée une nouvelle fois un an plus tard pour La Mélodie du Bonheur (The Sound of Music) de Robert Wise (West Side Story, La Maison du diable) où elle interprète Maria von Trapp, jeune autrichienne qui se prépare à devenir religieuse, Julie Andrews devient une star planétaire. Composées par Richard Rodgers, les chansons phares « The Sound of Music », « Edelweiss », « My Favorite Things » et « Do-Re-Mi » sont des succès tandis que les chorégraphies signées Marc Breaux et Dee Dee Wood innovent sur le plan formel avec des ballets riches en inventions scéniques. La Mélodie du Bonheur rapporte 80 millions de dollars à la Fox et ne sera probablement jamais égalée par une autre comédie musicale en termes financiers ou artistiques. À l’exception du Magicien d’Oz de Victor Fleming, élu aujourd’hui « film musical le plus influent ».

L’actrice tourne ensuite Millie sous la direction de George Roy Hill, enchaîne à la télévision avec le lancement de sa propre émission, « The Julie Andrews Show » et appose ses empreintes dans le ciment frais du Grauman’s Chinese Theatre le 26 mars 1966. 

Highs and lows

Hantée par la déchéance de ses parents alcooliques, Julie Andrews multiplie les tournages (et les fours dont le néanmoins sublime Rideau déchiré d’Hitchcock aux côtés de Paul Newman et Hawaï, dénonçant le puritanisme, l’intolérance religieuse et les méfaits de la colonisation) à une cadence effrénée.

Divorcée en 1967, blacklistée par les studios, elle épouse deux ans plus tard le cinéaste Blake Edwards (The Party, La Grande Course autour du mondeLa Panthère Rose), rencontré sur le plateau de Darling Lili, drame musical dans lequel elle donne la réplique à Rock Hudson. Elle retrouve le chemin du succès le temps de l’anticonformiste Victor Victoria, recevant une dernière nomination à l’Oscar de la meilleure actrice en 1983.

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Julie Andrews habillée par Jean Louis dans la comédie musicale Millie réalisée par George Roy Hill (1967).

La réalité nourrit parfois la fiction. Ironie du sort ou parallèle fantaisiste : Andrews remplace Hepburn, sa concurrente, dans le cœur du metteur en scène de Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s), et va devenir sa muse. Plus étonnant encore, si dans le film de Cukor, la pauvre marchande de fleurs Eliza Doolittle se métamorphose en une femme du monde façonnée par son pygmalion Rex Harrison, Andrews, elle, poursuit la même destinée à l’écran, magnifiée par Edwards dans Top Secret (The Tamarind Seed) aux côtés d’Omar Sharif, Elle (Ten), S.O.B. et L’Homme à femmes. Ensemble, ils assistent au déclin de la comédie musicale classique au milieu des années 1960 Sweet Charity de Bob Fosse et Hello, Dolly! réalisé par Gene Kelly marquent la fin de la période pour laisser place à l’insolent Cabaret , le genre n’ayant plus les faveurs d’Hollywood et du public.

Désormais icône queer épanouie dans le registre de la comédie, Julie Andrews transporte le succès de Victor Victoria à Broadway en 1995, jusqu’à ce que sa voix, épuisée, se brise à jamais en 1999 lors d’une opération catastrophique sur ses cordes vocales.

À bientôt 85 ans, elle demeure une égérie de la maison Disney au même titre que sa collègue Angela Lansbury (toutes deux ont été nommées « Disney Legends ») qui fut la vedette de L’Apprentie Sorcière, autre comédie musicale réalisée par le même Robert Stevenson. Julie Andrews continue d’enchanter le jeune public entre doublage de films d’animation (Moi, moche et méchant), émissions de télévision et livres pour enfants illustrés par son ex-mari Tony Walton.

Si on apprécie la démarche de cette mise en perspective bien documentée (l’enfance, le star-system, l’amertume concernant le choix du producteur Jack Warner pour My Fair Lady et autres anecdotes relatives à la vie privée de la star), La mélodie d’une vie souffre probablement de quelques ellipses qui ratatinent la filmographie de Julie Andrews, la résumant ainsi à trois rôles musicaux majeurs : Mary Poppins, Maria von Trapp et Victor/Victoria. Ayant opté pour un format court, le réalisateur expédie certains chapitres qui méritent que l’on s’y attarde davantage tels que l’enregistrement des célèbres compositions des Frères Sherman (« Chim Chim Cher-ee », « A Spoonful of Sugar » et « Jolly Holiday »), les effets spéciaux de la mythique séquence Supercalifragilisticexpialidocious — alors que Mary et les enfants Banks plongent dans le dessin à la craie du trottoir, se mêlant aux pingouins, chevaux et autres tortues animées —, la scène d’ouverture de La Mélodie du Bonheur tournée avec un hélicoptère, ou encore le chaotique tournage du Rideau déchiré d’Hitchcock.

Mais dans l’ensemble, le documentaire exploite un grand nombre d’archives très pertinentes pour tenter d’analyser les différents virages de sa prolifique carrière. L’actrice évoque notamment ses relations complices avec ses partenaires Rex Harrison, Richard Burton ou encore Christopher Plummer et défend le « Director’s Cut », en opposition au montage imposé par les producteurs tout-puissants.

Yves Riou et Zadig Productions rendent ici un bel hommage à cette femme libre, énergique, joyeuse et facétieuse, star incontestée de Broadway et d’Hollywood. Le film sera rediffusé le samedi 20 juin sur Arte. Il est également disponible en replay jusqu’au 9 juillet. À ne pas manquer. « Allez, les enfants. Youpla! »

Sévan Lesaffre

Julie Andrews, la mélodie d’une vie – Fiche technique

Réalisation : Yves Riou
Montage : Suzanna Kourjian
Produit par : Félicie Roblin
Production / Diffusion : Zadig Productions, ARTE France
Pays : France
Durée : 52 minutes
Genre : Documentaire
Année : 2019

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Critique cinéma LeMagduCiné