Malgré les espoirs que l’on place en lui, Georges Clooney ne cesse de décevoir. La faute à un début de carrière flamboyant que l’acteur/cinéaste a bien du mal à rattraper. Et ce n’est pas un coup de pouce des frères Coen qui sauvera Bienvenue à Suburbicon.
Quand nous parlons cinéma, nous aimons toujours évoquer les galères de tournage, les problèmes de productions et tout autre mur que doit traverser un cinéaste pour pouvoir sortir son film. Paroxysme de ce sadomasochisme créatif, nous aimons évoquer jusqu’à l’indigestion ces œuvres mortes nées, lancées sur de bons rails mais qui ne nous laisserons finalement que des images de tournages, des concepts abandonnés ou de vagues idées de scénario. Le public semble avoir facilement assimilé l’idée que la création d’un film s’apparente plutôt à un chemin de croix, et les documentaires sur des œuvres inachevées sortent régulièrement pour nous rappeler ces films que nous ne verrons jamais, tels le Dune de Jodorowsky ou le Superman de Tim Burton.
En revanche, nous oublions qu’il arrive parfois que les choses se passent plutôt bien. Bien accompagné, le cinéaste arrive au bout de la production avec ce qui semble être une version définitive du film qui met tout le monde d’accord. Équipe de production efficace ou conjonction favorable des astres, le mystère demeure. Et pourtant certains cinéastes sans éclat arrivent de temps en temps à sortir un film qui détonne dans une filmographie médiocre. C’est ainsi que Chuck Russell, réalisateur de nanars avérés (L’Élue, Le roi scorpion), nous offrit une adaptation tout a fait honorable de The Mask en 1994. Michael Bay surprit également son petit monde en 2013, en canalisant son style outrancier et vulgaire pour réaliser No Pain no Gain qui se hissa rapidement au rang des grandes comédies du XXIe siècle. Étonnant de la part d’un type qui est fissa reparti filmer ses robots géants.
George Clooney cinéaste semble de plus en plus s’apparenter à ce genre-là, profitant d’un coup de bol créatif opportun. Sorti en 2003, Confession d’un homme dangereux marque son entrée dans le monde des acteurs qui s’essayent à la réalisation. Attendu au tournant, ce premier galop en a surpris plus d’un. Un scénario brillant de Kaufmann, une interprétation habitée de Sam Rockwell et, surprise totale, une mise en scène à la fois élégante et pleines d’idées formelles. De quoi déjà fantasmer un Georges Clooney presque punk et anti-système. Malheureusement, à la suite de ce départ canon, l’auteur a vite montré ses limites en présentant des copies décevantes, allant du correct (Good Night and Good Luck) à l’anecdotique (Jeu de dupe, Les marches du pouvoir) en passant par le vraiment mauvais (Monuments Men). Au point que nous en sommes presque à remettre en cause la paternité de ce premier grand film tellement il ressemble au film d’un autre. Bienvenue à Suburbicon, d’après une idée des frères Coen, laissait espérer un retour de cet auteur inattendu que nous aurions aimé défendre, il n’en sera finalement rien au point que le film se place rapidement du côté des mauvais ersatz coenniens.
Nous sommes projetés dans l’ambiance carte postale des banlieues américaines des années 50. Costumes cravates et robes fleuries sont donc le quotidien de cette communauté parfaite entièrement dédiée à l’American Way of Life. Curieux choix de cadre, tant le trope aura été plus qu’essoré, quelque soit le genre (science-fiction, polars, comédie etc). Ainsi, et comme à son habitude, la tranquillité du jardin d’Eden sera rapidement perturbée. De nouveaux résidents noirs réveillent le fond de racisme crasseux qui dort en chacun des résidents blancs, tandis que leur voisins font face à des événements qui secouent un peu les fondations familiales. Seul lien entre ces deux éléments, les deux enfants s’envoient amicalement des balles de base-ball. Pendant ce temps-là, les parents noirs font face à une foule de plus en plus hostile, les parents blancs eux doivent gérer leurs instincts primaires. Un premier problème saute alors aux yeux : le film semble hésiter un moment entre le discours sur le racisme ordinaire et celui sur l’ambition dévorante des banlieusards blancs, pour finalement choisir le deuxième (et donc le moins intéressant).
La présence des Coen au scénario peut à ce titre faire sourire les amateurs. Tentant le tout pour le tout, la carte du mystère qui se révèle au fur et à mesure, Clooney rate sa cible et évente un peu trop vite les éléments de l’intrigue. Nous comprenons rapidement que le père (Matt Damon) cache quelque chose, que la belle sœur (Julianne Moore) est une écervelée intéressée et que les deux cambrioleurs n’ont pas tué la mère par hasard. Tout cela principalement parce que la plupart d’entre nous avons déjà vu Fargo, et que ce type de ressort narratif commence un peu à sentir le renfermé. En attendant, le lien avec la famille noire, qui habite pourtant juste à côté, reste encore à trouver.
Mais l’échec du film n’est pas à chercher du côté de ses maladresses narratives mais plutôt dans ses erreurs de tons. Nous avions l’espoir une comédie noire capable d’attaquer de front l’Amérique de Trump par son versant idyllique, nous obtenons un film bâtard incapable de prendre ses différentes pièces dans le bon sens. Il faut attendre l’arrivée d’un assureur un peu trop curieux (Oscar Isaac) pour sentir un bref sursaut dans une intrigue qui se veut nébuleuse mais qui progresse lentement. Sauf que là où nous attendions un verni qui se fissure lentement, nous assistons finalement à l’arrachage violent d’un masque grossier. Tout cela pour assister à un feux d’artifice gore au cynisme mal placé en guise de final. Ainsi, l’image comique de Matt Damon, chevauchant un vélo trop petit pour lui, vue dans la bande-annonce, se révèle finalement moins drôle, tant le personnage nous est devenu antipathique (comme la plupart des habitants de cette banlieue).
Dernière surprise d’un métrage qui tente désespérément de tromper son monde, le père n’est pas le héros du film. Ce rôle échoue finalement à son fils, spectateur trop passif des horreurs qui l’entourent. Mais adopter de façon aussi frontale le point de vue d’un enfant achève de planter le film. Complaisant dans sa représentation de la violence, Clooney oublie qu’à peine le quart des événements vécus par cette famille suffirait à traumatiser n’importe quel enfant à vie. Les cinéastes seraient-ils à ce point désabusés pour oublier qu’un acte violent reste un acte violent ? D’un point de vue adulte, il est tout à fait possible d’en rire. Par les yeux d’un enfant cela devient tout de suite plus compliqué, surtout quand l’absence totale de liens affectifs entre les membres de la famille n’est pas expliquée.
Avec Suburbicon s’envole finalement le dernier espoir de voir en George Clooney le cinéaste caustique qu’il se promettait d’être. Il est vrai que le film est violent, qu’il attaque frontalement une certaine image de l’Amérique. Mais son cynisme trop premier degré l’empêche d’être drôle, ce qui fait de Bienvenue à Suburbicon l’un des films les plus embarrassants de l’année.
Bienvenue à Suburbicon : Bande-annonce
Synopsis : Suburbicon est une paisible petite ville résidentielle aux maisons abordables et aux pelouses impeccablement entretenues, l’endroit parfait pour une vie de famille. Durant l’été 1959, tous les résidents semblent vivre leur rêve américain dans cette parcelle de paradis. Pourtant, sous cette apparente tranquillité, entre les murs de ces pavillons, se cache une réalité tout autre faite de mensonge, de trahison, de duperie et de violence… Bienvenue à Suburbicon.
Bienvenue à Suburbicon : Fiche Technique
Titre original : Suburbicon
Réalisation : George Clooney
Scénario : George Clooney, Grant Heslov, Ethan et Joel Coen
Acteurs principaux : Matt Damon, Julianne Moore, Oscar Isaac et Noah Jupe
Genres : Policier, Comédie
Date de sortie : 06 décembre 2017
Durée : 1h44min
USA – 2017