Jodo-Dune-affiche

Jodorowsky’s Dune, un film de Frank Pavich : Critique

« Le prophète du cinéma de science-fiction. » C’est en ces termes pour le moins apologiques qu’Alejandro Jodorowsky lance sa présentation de ce qui fut longtemps sa lubie d’adapter pour le grand écran le roman Dune de Frank Herbert.

Synopsis : Au milieu des années 70, soit à mi-chemin entre 2001 L’odyssée de L’espace et Star Wars, le cinéaste chilien Alejandro Jodorowsky se met martel en tête de révolutionner la science-fiction en livrant sa vision très personnelle du roman fleuve de Frank Herbert. Mais une pareille production ne peut se faire qu’avec le soutien d’Hollywood qui n’aura jamais le courage de financer le long-métrage. Les deux ans et demi de travail de préparation n’aboutiront donc à rien, sinon à une intarissable source d’inspiration et de fantasmes.

Une exploration des bornes de l’imagination cinéphilique

Il faut dire que cette obsession messianique était déjà omniprésente dans ses précédents films, El Topo et La montagne Sacrée, laissant présager chez lui une vision clairement religieuse de sa propre œuvre et une confiance en soi digne d’un monomaniaque illuminé. C’est cette approche pleine de grands espoirs qui irrigue le documentaire qu’a consacré Frank Pavich aux préparatifs de ce film qui n’a jamais été fait. Narré à la manière d’une fable, alimentée par l’enthousiasme de ses intervenants, la véracité de l’intégralité de cette aventure avortée est par moment difficile à avaler. L’objectivité du documentaire se retrouve ainsi mise à mal par les extravagances d’un Jodorowsky  beau parleur mais surtout par l’absence de partialité dans l’anticipation du succès qu’aurait rencontré le film s’il avait vu le jour. Mais peut-être est-ce cette question du flou entre la fiction et la réalité qui fait de Jodorowsky’s Dune une intéressante mise en abyme de ce qu’est le cinéma et de l’exaltation qu’il peut provoquer, autant du coté de ses producteurs que de ses consommateurs.

Pour ceux qui voudraient n’y voir qu’un documenteur fallacieux, la folie des grandeurs qui caractérise la vision qu’avaient Jodororowsky et son équipe de « guerriers » de son projet fera apparaitre la version romancée de chacun de ses choix artistiques comme complétement délirants, mais en même temps la naïveté de sa quête perdue d’avance, digne d’un Don Quichotte du 7ème art, a un arrière-gout de mélancolie à laquelle il est difficile de rester insensible. A l’inverse, ceux qui accepteront dans leur intégralité ce qu’aurait pu être le Dune de Jodorowsky, c’est incontestablement vers un profond sentiment de frustration ne pas pouvoir le voir que pousse ce documentaire. Les documents très détaillés que nous présente Pavich (story-board et les dessins de préparation) et les anecdotes purement improbables qui nous sont racontées (les rencontres « par hasard » des membre de l’équipe) laissent à chacun le choix de placer le curseur entre ces deux extrêmes. Ainsi, les sentiments mitigés que peut susciter les propos contestables que contiennent ce documentaire ne l’empêchent en aucun d’être une pure curiosité que se devrait de voir tout fan de science-fiction désireux de découvrir comment l’ambition d’un visionnaire aurait pu ébranler les codes de son genre de prédilection. Ou pas.

A posteriori, ce que l’on aperçoit des préparatifs du film laisse y entrevoir une œuvre qui aurait effectivement pu être une pièce maitresse dans le genre. Toutefois, l’expérience nous a appris qu’il est impossible de juger un film sur des concept art et moins encore sur les témoignages dithyrambiques et les arguments promotionnels de ses propres artisans. Entendre Jodorowsky dire qu’il n’avait pas lu le roman avant d’en écrire l’adaptation puis ensuite qu’il comptait complétement en changer la fin (« violer Frank Herbert » selon ses termes) -et pas uniquement puisque des décors absents du livre furent conçus-, quand bien même on songe à la frénésie du surréalisme mystique de ses précédents films et à son impossibilité de la mêler à une narration cohérente (chose qu’il apprendra à faire plus tard, en écrivant des bandes dessinées) peut sérieusement donner des doutes quant à l’accueil qu’aurait reçu son scénario. Incontestablement, la portée politique de l’œuvre d’Herbert aurait été -en bien ou en mal- absorbée par un symbolisme métaphysique auquel le grand public est farouchement hermétique. Esthétiquement aussi, toutes les excentricités d’une direction artistique outrancièrement bariolée et d’effets spéciaux irréalistes (rappelons que le technicien Dan O’Bannon était loin du génie de Douglas Trumbull qu’il était chargé de remplacer) auraient très largement pu faire du résultat final, non pas le plus grand film de l’histoire du cinéma, mais bel et bien le nanar le plus kitsch jamais réalisé. Encore une fois, ce sera à chacun d’émettre sa propre théorie sur la qualité de ce film qu’ils ne verront jamais. Mais n’est-ce pas la nature même du cinéma que de nous faire rêver de choses qui n’existent pas en vrai?

Il semble au final évident que le chef d’œuvre autoproclamé de Jodorowsky ait bien fait de ne pas ne se faire, tant c’est en tant que non-film qu’il a su acquérir son statut de film culte. Ce paradoxe est un phénomène passionnant comme seul le cinéma peut en générer et sur lequel il est vraiment captivant de se pencher si l’on veut réfléchir à la nature même de l’Art en général.

Jodorowsky’s Dune : Bande-annonce

Jodorowsky’s Dune : Fiche technique

Réalisateur : Frank Pavich
Intervenants : Alejandro Jodorowsky, Michel Seydoux, H.R. Giger, Brontis Jodorowsky, Richard Stanley…
Directeur de la photographie : David Cavallo
Montage : Alex Ricciardi, Paul Docherty
Musique : Kurt Stenzel
Producteurs : Frank Pavich, Travis Stevens, Stephen Scarlata
Production : City Films, Caméra One, Endless Picnic
Distributeur : Nour Films
Genre : Documentaire
Date de sortie : 16 mars 2016

Etats-Unis – 2014

Rédacteur