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« Le Cinéma de Jeff Nichols » décrypté par Jérôme D’Estais

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Jeff Nichols figure sans conteste parmi les meilleurs cinéastes de sa génération. Dans un essai passionnant paru aux éditions LettMotif en septembre 2017, Jérôme D’Estais revient sur ce qui constitue l’étoffe de son cinéma, cela allant de ses personnages populaires, abîmés et parfois enlisés dans des histoires familiales tragiques au récit initiatique ou au conte sur la violence prenant invariablement pour cadre le Sud des États-Unis.

Jérôme D’Estais fait les présentations : Jeff Nichols, c’est ce cinéaste touche-à-tout hybridant les genres, attaché à sa région natale, le Sud des États-Unis, influencé par Terrence Malick, Steven Spielberg, John Ford, Mark Twain ou Clint Eastwood et entouré d’une troupe de fidèles comprenant notamment le chef opérateur Adam Stone, l’acteur Michael Shannon, le compositeur David Wingo et l’ami/conseiller David Gordon Green. À peine formulé, ce portrait est déjà caduc, car incomplet : il faudrait y ajouter, et l’auteur le fait à raison, les références à Stanley Kubrick, une admiration éprouvée pour Paul Newman, la convocation occasionnelle de comédiens tels que Reese Witherspoon ou Matthew McConaughey et tout un symbolisme par lequel le jeune réalisateur (43 ans) saisit la nature, détourne les motifs (un fleuve, un bateau, un crachat, la figure du père) et s’attache à dépeindre des personnages marginaux à fort relief humain.

Le Cinéma de Jeff Nichols est un livre important, car il s’échine à saisir tôt, après cinq films passionnants, les tenants d’une filmographie encore en construction. Jérôme D’Estais papillonne autour des protagonistes nicholsiens, décrits comme « taiseux, stoïques, rugueux, pudiques, dévorés de l’intérieur, combatifs tout autant qu’anxieux, frappés par les déterminismes et les injustices ». L’auteur analyse leur rapport à la nature et à la famille, tout en rappelant que Jeff Nichols, qui se perçoit d’abord comme un scénariste, porte sur eux un regard empathique, conciliant, étranger à tout jugement. Plus largement, le cinéma nicholsien est exigeant, poétique, empreint d’humanité et souvent traversé de violence, parfois muette ou institutionnelle (comme c’est le cas dans Loving). C’est un cinéma qui met à nu les fragilités, les obsessions (on pense forcément à Take Shelter et Shotgun Stories), les failles affectives (Mud). Qui oppose l’individu, la structure, à son environnement, la superstructure, mais aussi l’intérieur et l’extérieur, l’amour et la paranoïa, la famille et l’incommunicabilité, autant d’éléments sur lesquels revient abondamment, et en clerc, Jérôme D’Estais.

« L’intime et l’universel ». Le sous-titre de cet essai semble porteur d’une promesse que Jeff Nichols est en passe d’honorer. Celle d’une œuvre effeuillant l’individu en impliquant le public le plus large possible, capable de s’affranchir des productions indépendantes et d’embrasser les circuits mainstream tout en conservant son essence. En moins de 200 pages aérées et agréables, Le Cinéma de Jeff Nichols fait état d’une mécanique filmique déjà bien rodée ; Jérôme D’Estais énonce précisément en quoi cet intime et cet universel qui caractérisent ensemble la filmographie nicholsienne en font, après seulement cinq films, un objet de fascination difficilement réfutable.

Le Cinéma de Jeff Nichols, Jérôme D’Estais
LettMotif, septembre 2017, 194 pages

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