Retour sur quelques nouveautés de ces mois de septembre et octobre 2022. Au programme : Le Best of des découvertes scientifiques les plus loufoques, Super Dickie, Typhon, Hanami et Le Chant du temps inversé.
Le Best of des découvertes scientifiques les plus loufoques. Dans une sélection de dix découvertes loufoques ou étranges, dans laquelle on aurait probablement pu retrouver l’asepsie d’Ignaz Semmelweis, le Téflon de Roy Plunkett ou le Viagra de Pfizer, les scientifiques Aleksandra Kroh et Madeleine Veyssié présentent de manière légère et succincte dix événements au cours desquels la recherche a provoqué la stupéfaction, et parfois le scepticisme. L’homéopathie de Jacques Benveniste, soutenue par le journal Le Monde mais traitée avec mépris par Nature, provoque la gêne de l’Inserm : aucune étude sérieuse ne viendra jamais étayer la prétendue mémoire de l’eau qui la sous-tend. Pourtant, un peu plus loin dans l’opuscule, on apprend que Dan Ariely a prouvé que plus un placebo est cher, plus son effet est visible sur ceux qui s’y exposent. Faut-il dès lors faire fi de la psychologie au point de se priver des potentiels bienfaits des granules ? Plus étonnant peut-être est cet intérêt du grand Richard Feynman pour les spaghettis et leur propension à se briser en plus de deux morceaux. Les auteurs en profitent pour revenir sur les travaux de Basile Audoly et Sébastien Neukirch, qui expliquent que c’est par la propagation d’ondes et la fragilisation de la structure que les tiges se fracturent à différents endroits. Le toucher thérapeutique, les enlèvements extraterrestres, la beauté artistique atténuant la douleur, l’élasticité de la mort quand il s’agit d’échapper à l’impôt figurent également en bonne place dans ce best of, qui risque par ailleurs de surprendre plus d’un directeur des ressources humaines. En effet, une entrée est consacrée à Alessandro Pluchino, Andrea Rapisarda et Cesare Garofalo. Leur postulat audacieux ? Avoir prouvé, à l’aide de modèles mathématiques, que des promotions purement hasardeuses seraient plus avantageuses pour une entreprise que si elles se basaient sur l’expérience, les compétences ou l’assiduité. Une conclusion pour le moins inattendue, et qui sied parfaitement à ce petit ouvrage aussi enrichissant que divertissant.
Le Best of des découvertes scientifiques les plus loufoques, Aleksandra Kroh et Madeleine Veyssié
Flammarion/Librio, septembre 2022, 112 pages
Super Dickie. La double page 24-25 est édifiante quant à la teneur du nouvel album de Dickie : Pieter De Poortere y met en scène rien de moins que Tintin, le Marsupilami, Boule et Bill, Astérix, Lucky Luke, Corto Maltese, Spirou, Hellboy, Mickey Mouse, Superman, Gaston Lagaffe ou encore Titeuf dans un maelstrom de références. Il faut dire que dans Super Dickie, le personnage débonnaire, bon enfant et taciturne va endosser tous les costumes et traverser tous les univers, de Marvel (Thor, Iron Man, Spider-Man, Hulk…) à DC (Batman) en passant par la culture populaire cinématographique, musicale ou littéraire (Madonna, Harry Potter, Tarzan, King Kong, Queen, Sherlock Holmes, Freddy Krueger, Indiana Jones, L’Agence tous risques, Game of Thrones…) et les grandes figures historiques (Gandhi, Nelson Mandela, Martin Luther King…). Le plus souvent en douze cases muettes, parfois moins, caractérisées par un trait rond et avenant, Dickie va pousser le sens de l’absurde à son paroxysme, exploiter à foison le comique de situation et de caractère, le tout en faisant preuve d’une inventivité permanente. Jugez plutôt : c’est un vendeur de costumes cherchant à irriter Bruce Banner de manière à lui vendre toujours plus de vêtements, un King Kong kidnappant une danseuse à seule fin de manger les bananes qui lui servent de cache-sexe, un Harry Potter victime de mouches écrasées en jouant au Quidditch ou encore un Luke Skywalker exploitant R2D2 et C3PO en tant que vulgaires robots ménagers. Irrévérencieux, serti de références, toujours aussi malin et efficace, Super Dickie se lit d’une traite, avec plaisir et dérision.
Super Dickie, Pieter De Poortere
Glénat, septembre 2022, 56 pages
Typhon. Le calme olympien est-il possible, ou même souhaitable ? Cette question moins évidente qu’il n’y paraît sous-tend la réflexion du philosophe et homme politique Luc Ferry, dans un passionnant dossier glissé à la fin de Typhon. Il faut dire que la mythologie grecque ne ménage pas vraiment les Dieux. Venant péniblement à bout des Géants après avoir affronté les Titans, voilà Zeus et ses acolytes confrontés à Typhon, le fils monstrueux de Gaia, prêt à fondre sur le mont Olympe pour y semer le chaos. Le dessinateur italien Federico Santagati, déjà croisé chez Marvel (Les Gardiens de la Galaxie), déploie alors des trésors d’imagination pour portraiturer une créature spectaculaire et le marasme qu’elle occasionne sur Terre et au-delà. Tandis que les Dieux fuient la menace, c’est Cadmos, le courageux (et intéressé) souverain de Thèbes, qui vient en aide à Zeus. En retour, ce dernier lui promet la main de la sculpturale Harmonie, ainsi que la présence des hôtes de l’Olympe à leur mariage. Typhon ne se contente pas d’adapter en bande dessinée les grandes lignes d’un récit de la mythologie grecque : Luc Ferry, Didier Poli, Clotilde Bruneau et Federico Santagati lui confèrent un souffle et des dessins (couleurs, lumière, agencement) dignes d’une épopée grandiose aux enjeux d’ampleur existentielle.
Typhon, Luc Ferry, Didier Poli, Clotilde Bruneau et Federico Santagati
Glénat, septembre 2022, 56 pages
Hanami. Un carnet de voyage en bande dessinée. Un couple de jeunes Espagnols découvrant Tokyo et ses environs, le Japon, son folklore, ses us et coutumes. En publiant Hanami, de la scénariste et dessinatrice d’origine argentine Julia Cejas, les éditions La Boîte à bulles proposent rien de moins que le récit, découpé en saynètes, d’un dépaysement. Un voyage dans les contrées nippones, à travers lequel le lecteur peut s’initier aux fêtes locales – dont le hanami du titre, célébrant les cerisiers en fleur –, mais aussi aux yokai, ces étranges esprits démoniaques, ou aux undokai, des épreuves sportives scolaires. Amusant de par les contrastes culturels mis en saillie – et parfois générateurs de malaise –, passionné par son objet, cet album restitue l’expérience de l’auteure au Japon, où elle a étudié et a dû composer avec un environnement nouveau et méconnu. Ce dernier s’appréhende essentiellement à la faveur des choses les plus anodines : des étiquettes incompréhensibles dans les supermarchés, des toilettes hyper-sophistiquées, le tabou consistant à se moucher en public, le port généralisé du masque (même en période pré-Covid), une gestion des déchets kafkaïenne, des programmes télévisés saugrenus, des bicyclettes abandonnées à la vue de tous sans la moindre protection antivol… Doté d’un code chromatique faisant la part belle au bleu, blanc et rouge, comportant toutes sortes de références à la culture japonaise – le jet d’eau d’un WC se pare ainsi des atours de La Grande Vague de Kanagawa –, Hanami est tout à la fois : une déclaration d’amour au Japon, le choc de deux civilisations, un récit initiatique… De quoi s’évader de manière ludique et en poésie.
Hanami, Julia Cejas
La Boîte à bulles, octobre 2022, 144 pages
Le Chant du temps inversé. Il a quinze ans, elle en a dix-huit. Il est cultivé et introverti, elle est tournée vers les autres mais peine toutefois à trouver sa place dans une famille amputée et dysfonctionnelle. Lui, c’est Paul, amateur de culture nippone, fidèle et discret client d’une boutique geek. Et pas n’importe quelle échoppe, puisqu’elle, Pandora, y travaille, assistant ainsi son oncle, propriétaire des lieux et tuteur de fait, bien que peu regardant sur ses actes – elle fume de l’herbe – ou ses fréquentations – elle voit qui elle veut quand elle le veut. Paul et Pandora se cherchent. Il a encore tout à apprendre de la vie, elle est déjà pleine de fêlures. Ils vont s’éveiller l’un à l’autre et nouer une relation complexe, ambivalente, bravant peu à peu les interdits – Pandora est en couple –, mais sans jamais l’avouer, la plupart du temps sous forme de jeu. Auteur et dessinateur, Galaad façonne un one-shot plein de sensibilité, en noir et blanc, partagé de manière quasi équivalente entre légèreté et gravité. Les références y sont nombreuses – de Miyazaki à Pokémon en passant par Star Wars ou Dragon Ball Z –, les adultes brillent par leur absence (parfois écrasante) et les deux principaux protagonistes se caractérisent par une justesse émotionnelle confondante. Quelque part, Pandora initie Paul autant que ce dernier la réconforte. Ils se trouvent au bon moment, le temps d’une découverte salutaire, bien que probablement sans avenir. Le Chant du temps inversé est typiquement le genre d’œuvre qui possède l’ampleur que le lecteur saura lui donner : certains n’y verront certainement qu’une bagatelle adolescente, d’autres des reliefs psychologiques et initiatiques vertigineux.
Le Chant du temps inversé, Galaad
Dupuis, octobre 2022, 216 pages