Dans le cadre de notre cycle sur les addictions au cinéma, focus sur des films qui creusent l’idée d’un pouvoir par le discours que les actes trahissent. Un pouvoir auquel s’accrocher est dangereux pour les personnages qui s’y frottent. On pourra y découvrir une employée un peu trop Corporate, une femme prête à tout pour être Numéro Une, plein de Promesses déçues …
A l’école du pouvoir
« Les addictions sont des pathologies cérébrales définies par une dépendance à une substance ou une activité, avec des conséquences délétères », c’est ainsi que l’Inserm définit les addictions. Ici, nous parlerons d’une dépendance à une activité (non, regarder des films n’en n’est pas une !) politique et comment le cinéma la met en scène, en images et surtout en mots. On se souviendra longtemps du passage du grand oral de l’ENA par le personnage incarné par Céline Sallette dans la série de Raoul Peck L’Ecole du pouvoir. Elle y défiait des hommes qui la regardait désirer ce pouvoir et la série mettait peu à peu fin à ses ambitions, jusqu’à la faire quitter ce monde, pour celui du militantisme. D’une addiction à une autre ? Ici, ce sont bien les convictions plus que le pouvoir lui-même qui guident le personnage. Or, ça n’est pas toujours le cas, loin de là. La saison de Borgen, diffusée sur Netflix dix ans après, venait souligner ce fait : être au pouvoir, c’est avant tout désirer y rester. C’est un pacte non pas avec ses idées, mais avec sa volonté de rester sur le trône ! Apprendre à maitriser ce pouvoir, c’est aussi résister à ceux qui servent leurs intérêts, on n’est pas loin de la dualité représentée par la maîtrise de la force dans Star Wars. Sauf, que bien souvent, même avant d’avoir accédé au trône, les personnages ont déjà basculé du côté obscur. Prenons à Baron Noir, qui nous fait penser que nous sommes tous accros à la politique.
L’exercice du pouvoir
Baron noir, c’est l’histoire de cet assistant de l’ombre qui rêve de pouvoir. Qui rêve d’abord, puis qui est plein de désillusions, et qui finit par désirer être calife à la place du calife. La politique marche ainsi en duo Dans Les Promesses, Clémence, pourtant prévenue par son directeur de cabinet, « t’as peur de devenir une droguée de la politique, comme eux tous ? », ne peut s’empêcher quelques mots de trop, des promesses qu’elle sait perdues d’avance. L’histoire de Clémence, c’est celle d’une femme qui doit quitter le pouvoir, qui en a pris la décision mais qui n’y arrive pas. Tout le film, pris dans l’action permanente, n’est que cette lutte d’une femme politique authentique rattrapée par l’ambition. Si au final, l’ambition du collectif gagne dans le film de Thomas Kruithof, nulle doute que l’exercice du pouvoir est une addiction pour d’autres. C’est sans aucun doute l’avis du ministre des transports représenté dans L’Exercice de l’Etat (Pierre Schoeller, 2011), par lequel nous sommes plongés, dès la première scène, dans les cauchemars d’un homme englouti à proprement parler. Il est presque un pantin à qui on dit ce qu’il faut dire et faire, pris de court par une réforme qu’il ne veut pas mettre en place mais qu’il doit se contraindre à accepter pour garder sa place. Ainsi, c’est un homme sans pouvoir qui est filmé, mais plein d’un corps qui « remplit le vide ». Il met en place des stratégies qui souvent, en fin de course, sortent de la piste, parfois aboutissent. C’est surtout avec ce regard froid et presque clinique sur la politique et ses sorties de route que filme Schoeller, au propre comme au figuré.
Des politiques qui veulent tout mettre en place tout de suite, à l’efficacité, comme ce chauffeur mutique qu’on embauche pour un stage lors d’un entretien rapide, vide, sans intérêt pour la personne embauchée. L’addiction au pouvoir peut donc aussi vider un personnage de sa coquille. C’est exactement le constat que fait Emilie dans Corporate où Céline Sallette incarne une DRH au service de son entreprise que le suicide d’une employée va remettre en question. Or, au début, elle applique bêtement les règles, se sert du petit pouvoir qui lui est offert, s’y accroche. Le plus faible s’écrase, tombe, se courbe. Le plus fort avance sans se retourner. Réfléchir à ses actes, c’est déjà ne plus être compétitif. A l’échelle de la ville comme de l’entreprise (on n’est pas ici à l’échelle nationale !), le pouvoir est déjà un tourbillon vertigineux duquel on ne s’extirpe que par des actes forts et irréversibles, qui consistent souvent à quitter ce monde. D’où le grand classique auquel n’échappe pas Les Marches du pouvoir, du naïf innocent qui se confronte à la réalité du monde politique. Le pouvoir est un défi qui en entraîne d’autres derrière lui tel que le découvre le bavard mais souvent brillant Miss Sloane.
Discours et renoncements
Avoir la parole, c’est maîtriser quelque chose. C’est ce que découvre, à sa petite échelle, le personnage principal de l’adaptation du Discours puisque plus il cherche à mettre des mots dans son discours de mariage, plus il fige la scène, imagine des drames, des rires, des larmes, il a le pouvoir. C’est aussi ce qu’ont bien compris les personnages poussés à l’absurde de Quai d’Orsay. On y voit évoluer Arthur Vlaminck qui est chargé du « langage » au ministère des affaires étrangères. Là encore ce sont les mots qui galvanisent, qui font l’homme de pouvoir, qui font l’addiction aussi. Dans Alice et le maire, cette réflexion sur la parole, qui fait la pensée et doit toujours précéder l’action, la contradiction par les mots en politique, est poussée à son paroxysme dans le duo formé par Anaïs Demoustier et Fabrice Luchini. Le désir d’avancer est plus fort, mais il y a un véritable jeu de mots qui se noue et combat l’action reine et irréfléchie qui fait l’adrénaline du pouvoir (avoir toujours un coup d’avance et distribuer les coups dans autre perspective que garder sa place). Combattre n’est donc pas toujours le seul désir dans cette accession au pouvoir.
On se souvient ainsi du discours qui clôture Numéro Une, le film de Tonie Marshall, sur l’ascension d’une femme à un poste de dirigeante d’entreprise. L’intérêt de Numéro Une n’est pas tant de savoir si Emmanuelle accédera au pouvoir, mais comment elle y accédera. Au final, la réalisatrice ne veut pas simplement filmer des femmes qui combattent, mais des moments de réussite et de pleine possession du pouvoir, sans pour autant en montrer exclusivement le côté négatif. On pense aussi au contrepoint apporté par Divertimento où une femme doit s’imposer comme une cheffe d’orchestre crédible, mais choisit non pas de diriger, mais de « faire corps » avec les musiciens de l’orchestre qu’elle a composé. Elle a ici le pouvoir de tous les amener à jouer ensemble et décide d’en faire non pas une gloire personnelle, mais un choix, fortement politique, de visibilité, d’échange, de partage. Voilà peut-être une nouvelle façon d’aborder l’addiction au pouvoir et de repousser les cauchemars et les compromissions que le cinéma a toujours fait naître de sa représentation du pouvoir, rien qu’à voir ce qu’en font les personnages que combattent les super-héros des films Marvel.