Rouge comme la passion, rouge comme le filtre de la violence et enfin rouge comme le sang. Les Chambres rouges réunit tous ces symboles dans le regard robotique d’une figure angélique, dont la psychose et le pragmatisme peuvent se révéler destructeurs. Est-elle la groupie d’un tueur en série ou bien son bourreau ? Avec l’hygiène de consommation technologique comme socle de réflexion, Pascal Plante s’est lancé dans une quête obsédante au service d’un incontournable thriller psychologique.
Synopsis : Deux jeunes femmes se réveillent chaque matin aux portes du palais de justice de Montréal pour assister au procès hypermédiatisé d’un tueur en série qui les obsède, et qui a filmé la mise à mort de ses victimes. Cette obsession maladive les conduit à tenter par tous les moyens de mettre la main sur l’ultime pièce du puzzle, qui pourrait définitivement confondre celui que l’on surnomme le Démon de Rosemont : la vidéo manquante de l’un de ses meurtres.
Dans un rituel matinal peu commun, une femme se réveille aux aurores pour s’échapper de son modeste matelas de briques, non loin du Palais de Justice de Montréal. Les sièges pour assister au procès surmédiatisé du moment sont rares, mais Kelly-Anne est aux premières loges pour accompagner les familles endeuillées, qui espèrent que le couperet ne tardera pas à tomber sur celui que les médias surnomment le Démon de Rosemont. L’auteur présumé de trois meurtres, Ludovic Chevalier (Max McCabe), aurait eu recourt aux fameuses chambres rouges (red rooms), une zone de non-droit où les pires sévices sont exhibés et marchandés au plus offrant. La dernière vidéo disparue s’y trouve peut-être encore, à l’abri des regards indiscrets. Ce dark web, dont l’accès est méticuleusement contrôlé, constitue une boîte de Pandore moderne et cryptée que le film nous invite peu à peu à ouvrir aux côtés de sa protagoniste.
Dark web, bright aim
Malgré le triomphe récent des films de procès, avec Anatomie d’une chute et Le Procès Goldman comme ambassadeurs, Les Chambres rouges n’a pas la volonté de convoquer la même théâtralité (brillante) de ces œuvres. Dans un plan séquence qui distille astucieusement le temps de parole du juge et des avocats, le début du film prend curieusement la forme de plaidoiries, de façon à nous faire comprendre que les preuves ne sont pas assez incisives dans ce tribunal. Alors que la caméra joue à superposer des reflets sur la cage de verre qui sépare l’accusé de l’audience, elle se braque finalement sur Kelly-Anne, notre guide dans cette intrigue. Le plus gros des réponses se trouvent ainsi à l’extérieur de cette « chambre blanche », là où la justice n’a pas d’inertie.
Autant fascinée par le tueur que ses victimes, à tel point qu’un jeu morbide de mimétisme offre de quoi attirer l’attention de l’accusé pour de bon, Kelly-Anne n’a pas une condition de vie comme les autres. Vivant en haut d’un immeuble, sorte de donjon de verre qui surplombe la cité québécoise, elle semble se cacher dans les nuages. Isolée des interactions sociales et le dos tourné aux vitres, ses yeux sont plongés dans les limbes du numérique, comme en témoignent ces deux écrans qu’elle utilise, tels des hémisphères cérébraux. C’est entre deux audiences qu’elle s’y réfugie, telle la Lady of Shalott du poème d’Alfred Tennyson. De cette condamnation à voir la réalité du monde extérieur à travers un miroir, Plante tire de cette légende une anti-héroïne à l’obsession déroutante. En effet, Kelly-Anne a besoin de ce miroir, besoin cette fontaine virtuelle pour se ressourcer et pour comprendre la réalité qui lui échappe. Et ses compétences de cyber-piratage l’aident grandement à explorer les zones d’ombre de l’affaire.
Elle vend son image en tant que mannequin et tente de garder une forme physique et mentale saine, en enchaînant les burpees et les sessions fougueuses de squash. C’est dans cette petite salle blanche, entièrement vêtue de blanc et raquette à la main, qu’elle se persuade de purifier l’épisode psychotique qu’elle n’a pas fini de traverser. L’autre outil qu’elle a elle-même reprogrammé et qui la réconforte, c’est Guenièvre, une assistance vocale intelligente qui ne manque pas d’humour. Cette note de légèreté est d’ailleurs la bienvenue dans un récit qui comprime la tension à chaque instant. Et pour ne pas déroger à ses habitudes, qu’il s’agisse de courts ou de long-métrages, le cinéaste québécois invite Clémentine dans la discussion des groupies, afin d’étudier le dynamisme et la synergie d’un duo, comme chez les nageuses olympiques de Nadia, Butterfly ou dans la romance contrariée sur Les faux Tatouages.
L’horreur numérique
Leur dualité n’est pas sans rappeler certains duos dans les cinémas de Michael Haneke et David Fincher. Le film de Pascal Plante navigue entre ces deux artisans de l’horreur sociale, en peignant la chair de ses personnages d’un rouge écarlate que Dario Argento et Mario Bava emploient pour signifier leur angoisse. Kelly-Anne semble en être immunisée et Juliette Gariépy dégage une ambiguïté à couper le souffle dans ce rôle. Ce qui n’est évidemment pas le cas de Clémentine, avec une Laurie Babin qui incarne magnifiquement l’excès de confiance à la gloire de l’accusé. Quelques langues fourchues dans pléthore d’émissions sont également soucieuses de l’issue du procès médiatique, dont le sujet est traité comme un produit de consommation. Cependant, il est nécessaire que Clémentine puisse se défaire de cette emprise malsaine et Kelly-Anne joue un rôle crucial dans cette démarche.
À l’heure où les true crimes, et autres vidéos qui banalisent la violence, envahissent les supports littéraires et visuels, les meurtres sont ici suggérés et leur intensité passe essentiellement par la réaction des spectateurs. À ce jeu-là, le cinéaste prend judicieusement soin de laisser notre imagination recréer ces visions d’horreur. La composition originale et obsédante de Dominique Plante, le frère du réalisateur, a également de quoi la rendre plus viscérale et nous donner des sueurs froides jusqu’au lever de rideau. S’ajoute à cela la pierre angulaire de l’œuvre, Kelly-Anne, une joueuse de poker compulsive sans pitié qui est prête à doubler la mise, voire plus, pour obtenir ce qu’elle désire. Mais une fois encore, ce personnage reste difficilement perméable à la psychanalyse et cette larme qui coule sur sa joue dans la séquence d’exposition reste le plus grand mystère de cet incontournable film de genre de ce début d’année 2024.
Ce nouvel exercice réussit énormément à Pascal Plante, qui parvient à s’affranchir des contraintes de création en se laissant guider par les vertus sensorielles des codes cinématographiques. Ainsi, il consolide un peu plus cette passerelle culturelle qui nous vient du Québec et Les Chambres rouges s’ajoutent aux jalons d’un cinéma que l’on ne peut plus ignorer pour son audace, son efficacité et sa générosité. De ce fait, l’expérience de ce thriller judiciaire et psychologique ne s’arrête pas à la fin du générique. Ce film nous poursuit, nous hante et finit inévitablement par nous obséder.
Pour aller plus loin, retrouvez notre interview de Pascal Plante et Juliette Gariépy.
Bande-annonce : Les Chambres rouges
Fiche technique : Les Chambres rouges
Réalisation et Scénario : Pascal Plante
Productrice : Dominique Dussault
Producteur exécutif : Tim Ringuette
Image : Vincent Biron
Conception artistique : Laura Nhem
Costumes : Renée Sawtell
Maquillage : Marie Salvado
Coiffure : Nermin Grbic
Son : Martyne Morin, Olivier Calvert, Stéphane Bergeron
Montage : Jonah Malak
Musique originale : Dominique Plante
Ventes internationales : Sphere Films / h264
Production : Nemesis Films
Pays de production : Canada
Distribution France : ESC Films
Durée : 1h58
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie : 17 janvier 2024