Il marche seul et n’est pas d’humeur à chanter La Marseillaise. Ce n’est pas Jean-Jacques Goldman, mais bien le demi-frère de celui-ci dont il est question dans un procès qui porte son nom. Pierre Goldman est soumis aux préjugés d’un tribunal, qui doit statuer sur un crime qu’il n’aurait pas commis. Certains souhaiteraient le faire taire à jamais, mais ce lieu sacré, où la parole est d’argent, pourrait bien se retourner contre lui, contre sa volonté et son l’innocence qu’il clame haut et fort, si bien que toute provocation de sa part devient un argument social à développer pour Cédric Kahn.
Synopsis : En novembre 1975, débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine.
Après le procès grinçant d’un couple dans Anatomie d’une chute, le Festival de Cannes a gardé une seconde cartouche pour le même cadre, davantage resserré sur le jeu du procès qu’une intense réflexion sur « la vérité ». Nous ne nous situons pas dans le même sillage du récent Saint-Omer d’Alice Diop non plus, car ce que souhaite ardemment le cinéaste de L’Ennui, c’est bien de changer de philosophie, de montrer qu’il existe plusieurs vérités dans une affaire qui manque cruellement de preuves tangibles et accablantes.
Le silence dort
Présenté en ouverture de la Quinzaine des cinéastes cette année, Kahn et sa co-scénariste Nathalie Hertzberg élève le genre du procès au cinéma comme une tendance urgente face aux incertitudes des citoyens, soit accusés à tort, soit jugés pour d’autres raisons que les chefs d’accusation. Moins dramatisant que bon nombre de procès américains, c’est la Justice française qui est au cœur du débat. Nul besoin d’une bande-son et nul besoin d’envolée lyrique, si ce n’est lors du plaidoyer, pour se faire entendre. Ici, on grogne et on mord. Pierre Goldman emploie un langage si cru et campe sur des positions si radicales, qu’il serait fastidieux d’essayer de le raisonner ou de le contredire. Pourtant, il existe bel et bien un dialogue dans ce chaos, captivant et jubilatoire par instant.
Kahn fait le choix de nous enfermer dans les assises d’Amiens, où le ludisme est pleinement exploité à partir du siège du public et non celui du juré. Tout le monde participe activement à cette affaire, suffisamment médiatisée pour que l’on ait un avis à donner. Les différentes classes sociales, venues d’ici et d’ailleurs, toute la France de droite et de gauche sont réunies dans le colisée de la Justice. La présomption d’innocence de Pierre occupe une bonne partie de l’intrigue, car les témoignages convergent, puis divergent. Les contradictions s’additionnent, au détour de souvenirs un peu trop poreux pour qu’on y croit. Le courage et l’autodéfense de Pierre nous incite évidemment à passer de son côté. Il n’est pas « homme en or » pour autant, ni un héros qui porte fièrement l’étendard de l’extrême gauche. Il milite sans tact et son caractère transpire la haine, transpire le dégoût. Arieh Worthalter se donne à cœur joie de reconstituer les coups de sang de l’accusé, ne mâchant pas ses mots et ne refusant pas sa part de responsabilité.
La parole d’argent
À la défense, nous appelons maître Georges Kiejman, campé par Arthur Harari, comédien phare de sa compagne Justine Triet (La Bataille de Solférino, Victoria, Sibyl, Anatomie d’une chute) et scénariste d’exception depuis quelques années, sur Onoda : 10 000 nuits dans la jungle notamment. La prédestination de Kiejman en ministre de la Justice sous François Mitterrand n’est pas anodine. Il y a dans ce procès les prémices d’une nation qui cherche à structurer son temps de parole et à faire valoir les droits de chacun. De croire en ce que bon lui semble, bien que cette croyance ne doit en rien occulter les décisions judiciaires. Le format 4/3 permet de mieux encadrer le temps de parole de chacun, sans que l’on s’éparpille sur l’assemblée. La caméra pose ainsi son regard, suivant les différents échanges, rigoureusement bien documentés pour qu’on ne perde pas une miette des joutes oratoires qui ont eu lieu.
Pierre Goldman n’est sans doute pas le citoyen le plus honnête, mais son cas encadre tout un mouvement de xénophobie à son égard. Kiejman doit ainsi retenir cet homme indomptable, face à des accusations qu’il refuse d’entendre, même si ce n’est qu’une hypothèse. La dernière partie du récit joue sur ce même type de flou, tout en mettant le doigt sur la corruption institutionnelle et une autorité policière à la dérive. Avec ce Goldman qui a tout du gangster que l’on aurait déjà coffré, autant dire que le cocktail s’avère explosif dans la salle d’audience. Et enfin vient l’instant de conclure sur la problématique initiale : l’innocence ou non d’un homme qui en a trop dit… ou pas assez. Il s’agit d’une affaire qui est loin d’être résolue, même après la prononciation du verdict, et qu’il vous faut découvrir à tout prix, en compagnie de comédiens de prestige et d’une écriture aussi incisive que cocasse.
En attendant son Making Of, attendu dans les salles le 10 janvier 2024, relatant des conflits sociaux lors d’un tournage, Cédric Kahn s’amuse à tordre la structure d’un tribunal, éminemment politique. Le Procès Goldman n’est pas seulement celui d’un homme en colère, mais bien celui d’une France scindée en deux, scindée entre l’autorité et les révolutionnaires. Le portrait de la justice n’en est que plus pertinent, soulignant l’atmosphère hostile d’une époque pas si lointaine. Au fil d’un film au suspense triomphant, on nous invite ainsi à prendre conscience d’une déroutante démocratie.
Bande-annonce : Le Procès Goldman
Fiche technique : Le Procès Goldman
Réalisation : Cédric KAHN
Scénario et dialogues : Cédric KAHN et Nathalie HERTZBERG
1er assistant mise en scène : Romaric THOMAS
Directeur de la photographie : Patrick GHIRINGHELLI
Montage : Yann DEDET
Son : Erwan KERZANET, Sylvain MALBRANT et Olivier GUILLAUME
Décors : Guillaume DEVIERCY
Cheffe costumière : Alice CAMBOURNAC
Photographe de plateau : Séverine BRIGEOT
Directeur de production : Damien SAUSSOL
Directeur de post-production : Delphine PASSANT
Mixeur : Olivier GUILLAUME
Régisseur général : Charles MIAMBANZILA
Casting : Antoine CARRARD
Production : MOONSHAKER FILMS
Producteur : Benjamin ELALOUF
Coproduction : TROPDEBONHEUR PRODUCTIONS
Production associée : Nathalie DENNES
Pays de production : France
Distribution France : Ad Vitam
Durée : 1h56
Genre : Drame, Historique, Policier
Date de sortie : 27 septembre 2023