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Capture d'écran : Aliens, le retour

Space horror : les voyages de tous les dangers

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

C’est un sous-genre qui a le vent en poupe. Préfiguré par les romans de science-fiction, ébauché à travers des films comme It! The Terror from Beyond Space, codifié par la saga Alien, canonisé depuis les années 1980, le space horror envoie la mort en orbite et contagionne les jeux vidéo ou les séries télévisées.

L’espace est une immensité en comparaison de laquelle l’homme apparaît dérisoire, vulnérable, presque insignifiant. Son exploration a lieu par tâtonnements, dans un processus à la fois lent et coûteux, qui vaut à certains États majeurs une rivalité au long cours. La curiosité humaine préside à son étude scientifique. Chaque découverte est ainsi commentée par le menu, par les chercheurs comme par les journalistes, avec un enthousiasme presque sans égal. Ce monde mystérieux et sans finitude constitue un théâtre tout indiqué pour l’épouvante : parce qu’il n’est qu’extension, il renvoie à la solitude, la petitesse et la fragilité des hommes ; parce qu’il n’est qu’interrogations, il ouvre la porte à tous les fantasmes, même les plus terrifiants. « Dans l’espace, personne ne vous entend crier », postulait Alien, le huitième passager dès 1979. Et avant ça, Stanley Kubrick en personne avait décapé la conscience collective en reprenant à son compte une nouvelle d’Arthur C. Clarke : son 2001, l’Odyssée de l’espace rendait l’espace au dernier degré de l’anxiété, notamment à la faveur d’un supercalculateur HAL 9000 doté d’intelligence artificielle et mû par des algorithmes meurtriers.

Le space horror doit tellement à Alien qu’un boulier ne suffirait probablement pas à dénombrer les emprunts dont il fit l’objet depuis sa sortie. Dans le cargo spatial Nostromo, tout a déjà été codifié : le huis clos oppressant face à l’infini cosmique ; la créature étrangère, hostile et vorace décimant un équipage ; la vulnérabilité de quelques ouvriers spatiaux pris pour cible… Si l’horreur dans l’espace préexistait au film de Ridley Scott, c’était de manière éparse, sans contours bien définis, et dans une relative confidentialité – songeons un instant à It! The Terror from Beyond Space, la production indépendante qui inspira Alien. Dans les années 1950 et 1960, la littérature s’échina en revanche à donner une étoffe horrifique aux étoiles : Arthur C. Clarke, Howard Lovecraft, Stanislas Lem ou Pierre Boulle y sont tous allés de leur proposition, instituant chacun à leur manière une forme de malaise à l’endroit de l’exploration spatiale. Avant eux, dès 1898, Herbert George Wells pointait déjà l’au-delà extraterrestre comme un péril.

Trailer : Alien, le huitième passager 

Star Wars ontologiquement renvoyé dans les cordes, l’univers, désormais menaçant, n’a cessé de peupler le cinéma d’épouvante depuis les années 1980. Et quand il n’est pas directement question de reléguer l’homme au rang de chair à canon, quelque chose de grinçant reste malgré tout en suspens, comme si l’humanité ne pouvait rencontrer qu’antinomies en dehors de son atmosphère. Ont ainsi vu le jour des productions aussi diverses que Pitch Black, Ghosts of Mars, Life, Planète hurlante, Jason X, Event Horizon, Apollo 18, Supernova, Doom, Péril sur la lune, Dead Space, La Galaxie de la terreur, Leviathan, Starship Troopers, Last Days on Mars, Pandorum, Hellraiser 4 : Bloodline, Sunshine, Moon, Prometheus ou encore Passengers. Une liste exhaustive relèverait évidemment de la gageure.

Dans l’espace, la peur surgit soudainement ou sous-tend une angoisse à décantation lente. Elle peut être iconique ou larvée, palpable ou pas, chosifiée ou tapissée dans les méandres d’une réalisation « atmosphérique ». Parfois, comme dans Jason X, l’argument spatial revêt un caractère quasi factice, comme s’il s’agissait avant tout de décalquer une menace terrestre dans un décor étoilé. C’est alors le degré de servitude entre deux œuvres qui détermine l’originalité de la démarche. La saga Alien immortalise une bestiole visqueuse à double mâchoire, mais aussi des compagnies capitalistiques sournoises et malveillantes, pour qui l’être humain est quantité négligeable. Ghosts of Mars fait appel aux monstres de notre imaginaire, tandis que Sunshine se soumet plus volontiers à la discrétion de la métaphysique. Perdus dans l’espace exploite le gigantisme spatial pour accabler ses personnages, tandis que Gravity a recours au syndrome de Kessler pour façonner une menace létale. Si ces deux derniers films pourraient difficilement se réclamer du space horror, ils en exploitent toutefois la grammaire anxiogène. Et ils corroborent cette citation, tellement édifiante, issue d’Un ticket pour l’espace : « Pour les fourmis, nous sommes des géants ; mais pour l’espace, nous sommes des fourmis. »

Trailer : Sunshine 

D’autres longs métrages, de Plan 9 from Outer Space à Mars Attacks ! en passant par The Thing, Predator ou La Guerre des mondes, ont délaissé l’apesanteur pour la gravité : si la catastrophe vient du ciel, c’est bel et bien sur terre qu’elle donne sa pleine mesure. Le Jour où la terre s’arrêta, qui décrit l’arrivée d’une soucoupe volante à Washington, s’inscrit dans cette tradition. Sa spécificité tient cependant au fait que les extraterrestres apparaissent cette fois bienveillants, alors qu’en pleine guerre froide, les envahisseurs étaient généralement représentés comme originaires de la planète rouge et belliqueux. Dans un registre tout à fait autre, on peut se demander si James Cameron, qui réalisa Abyss trois années seulement après Aliens, le retour, n’a pas sciemment cherché à créer une sorte de space horror sans étoiles, enfoui dans les profondeurs de l’océan. Ses traits caractéristiques le rapprochent en effet du genre : environnement hostile, récit survivaliste, monstres, huis clos claustrophobique dans le sous-marin face à des étendues marines infinies…

Le genre a en tout cas contaminé tous les arts. Dans le jeu vidéo, Dead Space est parfois considéré comme l’équivalent d’Alien, tant pour son imagerie que l’horreur qu’il porte en son sein. La saga initiée par Ridley Scott a elle-même été déclinée plus de vingt fois sur console. Doom, Dino Crisis ou System Shock 2 ont eux aussi plongé les gamers dans un cadre cosmique phagocyté par l’horreur. Et naturellement, la téléfiction a été influencée par le grand écran – l’inverse étant également vrai. Si La Quatrième dimension accordait déjà une place de choix à l’espace, X-Files le propulsa au rang de trame narrative à part entière et Battlestar Galactica en fit son principal décor, avant que Black Mirror ou Love, Death & Robots ne lui consacrent des épisodes de la trempe de « U.S.S. Callister » ou « Helping Hand ».

Trailer : Dead Space 

Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray