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Le cinéma d’horreur aujourd’hui : entre agacement et espoir

Le cinéma est vecteur d’émotions parmi lesquelles la peur peut sembler être le vilain petit canard. En effet, la peur est à première vue, tout comme la mélancolie, quelque chose que nous devrions craindre plutôt que rechercher. Et pourtant, le public souhaite se faire peur, en comptant sur de braves petites âmes pour lui offrir des frissons de terreur. C’est là toute l’ambiguïté du cinéma d’horreur, mais c’est aussi là que réside tout son génie. Génie qui, comme nous allons le voir, est aujourd’hui mis à mal par une industrie préférant la facilité à l’art d’envoûter son spectateur.

L’horreur, un genre historique

Si le genre de l’horreur est souvent associé aux Américains du fait qu’ils soient probablement les plus productifs en la matière, sa création est pourtant reconnue à George Méliès et son Manoir du diable de 1896. Le film, composé de plusieurs effets spéciaux novateurs comme la disparition, fascine et amènera à l’explosion du genre en Europe avant que n’arrive le son et que les Américains, avec leur argent mais aussi leur langue plus courante que le suédois (désolé La Sorcellerie à travers les âges), ne viennent révolutionner le genre dans les années 30.

S’en suit une évolution de l’horreur, à travers le monde et jusqu’à nos jours, où se distinguent dans le ciel rouge de Dracula deux tendances. Le cinéma d’horreur grand public, entraîné par le géant américain, qui a vu son aspect artistique délaissé au profit d’un frisson de peur « volé » au spectateur, en le prenant par surprise par l’utilisation du célèbre jumpscare et de sa sous-catégorie le screamer. Est-ce que cela signifie que les milliards de slashers dans les années 70 et 80 étaient meilleurs ? Vendredi 13 et Alice, douce Alice  peuvent témoigner que non. Est-ce que tous les gros succès horrifiques suivent la simple recette du jumpscare ? Pas forcément. La Cabane dans les bois, pourtant produit par Lionsgate, a su être une bonne surprise. Le film semble cependant passer pour une exception.

La seconde tendance est récente et apparaît comme un renouveau du genre, avec des auteurs inspirés, souhaitant offrir quelque chose de neuf. Et même si le résultat n’est pas toujours parfait, l’effort est là. Mais commençons d’abord par ce qui ne va pas, avec tout d’abord le retour en force du slasher entre la fin des années 90 et le début des années 2000, qu’il est important de présenter afin d’expliquer le cinéma d’horreur actuel.

Différent mais la même chose

Si le cinéma d’horreur américain connaît une certaine accalmie après que le public se soit lassé de la recette du tueur en série chassant des ados pleins d’hormones, un film redonne de la vigueur à l’industrie : Scream. C’est la même chose, sauf que les films d’horreur existent dans la diégèse et donc que les protagonistes, comme les tueurs, connaissent les codes du genre, donnant ainsi lieu à des situations plus réalistes et évitant les clichés de l’époque Freddy et Jason. De plus, le tueur n’est plus un surhomme qui survit à l’explosion d’un hôpital (coucou Halloween 2) mais bien un être humain, avec ses raisons d’agir. Enfin ça, c’est sur le papier, parce que les enfants du film de Wes Craven ressembleront plus à du Scooby-Doo gore qu’à autre chose. Donc le public se lasse, encore. Il redemande du fantastique, et d’autres clichés à poncer jusqu’à la moelle. Et une personne viendra changer les choses.

Le phénomène James Wan

Repéré après le succès planétaire de son sympathique et original Saw, le jeune cinéaste enchaîne avec cette fois des budgets plus importants et une qualité qui suivra le chemin inverse, avec d’abord la saga Insidious puis la création de l’univers des dossiers Warren, dont l’effroyable Conjuring se veut le porte-étendard. Son savoir-faire sera repris et copié jusqu’à l’overdose : Faire du bruit sans chercher à faire des bons films ; le but n’est pas l’art, simplement de faire frissonner le jeune public sans trop d’efforts et avec un retour sur investissement optimisé. C’est « presque » du cinéma d’usine sans âme. Presque, car si les scénarios ne brillent généralement pas par leur originalité, tous les réalisateurs ne sont pas des yes man et certains sont portés par l’envie de bien faire et de mener à bien le film qu’ils ont pour la plupart écrit. Ce malgré des conditions inadéquates dans des projets surcontrôlés pour répondre à la demande générale.

Le cas de Brightburn est intéressant et symptomatique de ce qui ne va pas dans ce système. Le film raconte l’histoire d’un Superman qui aurait mal tourné et devait lancer le projet de la Warner d’offrir des films horrifiques à partir de ses films grand-publics, avec notamment le film La Fosse. Ce dernier aurait dû apporter une histoire de monstres sous-marins dans l’univers d’Aquaman, et être réalisé par James Wan, comme Aquaman. Ce projet mourut cependant dans l’œuf avec le succès très mitigé de Brightburn qui disposait pourtant d’atouts marketing avec James Gunn à la production et ses frères Brian et Mark à l’écriture. Et si certaines idées du film sont bonnes, notamment le rapport de l’enfant psychopathe à la sexualité qui est très perturbant, l’horreur se résumera à faire du bruit ou faire apparaître brusquement le gamin volant, malgré encore une fois de vraies bonnes choses aussi bien visuelles que narratives.

Pour ce qui est de produire ce genre de film, Blumhouse est le grand champion du genre en étant responsable des Insidious, American Nightmare, Ouija, Action ou Vérité ou encore des suites de Paranormal Activity.

Et pourtant…

Et pourtant Blumhouse a aussi produit Get Out. Il s’agit cependant d’un exemple à part dans la production Blumhouse, Jordan Peele ayant bénéficié d’une notoriété antérieure lui garantissant une certaine autonomie. De plus, il passera à l’autoproduction pour ses longs-métrages suivants, peut-être car Jason Blum, directeur de Blumhouse, souhaitait faire de Get Out une franchise comme une autre de son studio.

Le projet ici est de faire monter la tension et créer une ambiance au lieu de se reposer sur la facilité permise par la trahison du spectateur qu’est le jumpscare. Cela rend la peur ressentie inhérente au visionnage dans sa durée, comme par exemple la scène du « tall man » dans It Follows de David Robert Mitchell. Elle n’est pas effrayante si elle est vue en dehors du film mais elle se combine parfaitement durant le visionnage à la panique du personnage principal, persuadé que quelque chose va arriver.  Même chose avec Hérédité où Ari Aster réussit à créer la peur en utilisant non pas le bruit, mais le silence qui devient dès lors assourdissant.

C’est ici l’occasion d’opposer le « style Blumhouse » aux expériences horrifiques que proposent des sociétés plus modestes comme A24, qui apportent un vent frais sur un genre peinant à offrir quelque chose de neuf depuis un certain temps. A24 est devenu producteur de films en 2016, en plus d’être un distributeur. Le succès est immédiat et la société produit de jeunes cinéastes qui s’imposeront rapidement, comme Ari Aster justement. A24 produira aussi des films européens, comme le surprenant Lamb de Valdimar Jóhannsson.

Car heureusement, il n’y a pas que les États-Unis pour produire de l’horreur. Pour ce qui est du reste du monde, ce sont souvent les plus gros succès ou les films ayant brillés en festival qui passent les frontières, à l’image de Martyrs de Pascal Laugier ou des films de Julia Ducournau. En Europe, certains pays ressortent plus que d’autres, comme l’Espagne avec du très bon (Les Autres, La piel que habito) et du honteux (les suites de Rec ou 28 semaines plus tard). Ironiquement, nous retrouvons les pays scandinaves un siècle après La Sorcellerie à travers les âges, avec notamment le culte Morse ou le récent The Innocents. La frontière de la langue ne semble plus être aussi importante de nos jours, permettant même aux américains de voir des films européens, et d’en faire des remakes moyens.

La résistance asiatique

Mais même si l’Europe voit émerger de nouveaux auteurs, avec d’ailleurs de plus en plus de femmes dans un genre très masculin, le continent qui brille le plus dans l’horreur au XXIème siècle reste l’Asie, dont les multiples cultures inspirent des histoires inédites au monde occidental. Il est impossible de faire l’impasse sur le cinéma japonais avec ses histoires de fantômes et son jusqu’au-boutisme assumé et présent depuis déjà bien longtemps, comme en témoigne la « mode » des films de viols dans les années 70. Le Japon offre donc dans les années 2000 des films déjà culte qui marquent et auquel s’ajoutera à l’époque une quasi-méconnaissance de la culture nippone, rendant le résultat terrifiant. Nakata, Miike, Shimizu et Kiyoshi Kurosawa pour ne citer que les auteurs les plus connus. Et même si le cinéma d’horreur japonais actuel ne possède plus la même envergure qu’il y a 20 ans, son influence a permis un nouvel élan de créativité en Asie mais aussi en Occident, pouvant même expliquer le regain d’attrait du public occidental pour le spiritisme et les démons en tout genre (en espérant bien sûr que cela ne soit pas du fait de Paranormal Activity).

Enfin, la Corée du Sud est probablement l’exemple hors États-Unis actuel le plus connu en termes d’horreur avec en premier le Dernier train pour Busan que le monde entier a vu, en exagérant un peu, et dont la suite Peninsula est affreuse. L’œuvre de Boon Joon-ho est aussi quelque chose de connu du public occidental, désormais féru des cultures d’Asie du Sud-Est. Le choc des cultures laisse donc place à de la curiosité. Il est d’ailleurs impressionnant de voir la part que représente l’horreur dans l’émergence du cinéma coréen. Il s’explique toutefois par le désir du public local de cinéma de genre afin de s’évader de la période d’après-guerre ainsi que par des plans de financement émis par le gouvernement coréen afin de soutenir son cinéma et ses jeunes réalisateurs. La Corée du Sud s’affiche donc comme l’un des meilleurs fournisseurs d’horreur à l’avenir, tant ses traumatismes à exploiter n’égalent que ses innombrables talents pour le faire.

Alors c’est quoi le problème ?

Même si le succès des films européens et asiatiques se veut croissant, ils ne représentent pas encore une grande partie de la consommation du grand public, ce qui peut s’expliquer par son contenu et les attentes des spectateurs. L’horreur dispose d’un public généralement jeune qui peut simplement chercher à se faire peur, sans vouloir regarder un film qui nécessite une attention particulière. C’est un genre à l’étiquette « pop-corn » dont l’histoire importe en général peu tant que les films proposés offrent ce que le public veut : passer un moment seul ou à plusieurs sans avoir forcément besoin de s’investir pour obtenir le frisson.

De plus, cela n’empêche pas une innovation et une recherche artistique de la part de certains auteurs afin de parler à un public, peut-être plus restreint, mais qui s’attend à quelque chose de différent que les mêmes histoires cousues de fil blanc à la Blumhouse ou New Line Cinema. Ce genre de studios offre simplement à une grande partie des spectateurs ce qu’ils demandent, car si les avis en ligne ne sont généralement pas incroyables, le succès de leur production démontre une certaine compréhension de ce qui marche. C’est la logique d’Aristote qui veut que ce soit la masse populaire qui décide de ce qui est vrai. Le grand public décide donc de ce qui est bon pour lui, car le client a toujours raison. Cela n’empêche que chacun peut regarder ce qu’il veut en s’arrêtant aux grandes productions, ou en décidant de chercher plus loin quelque chose qui lui correspond plus.

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