L’enfance au cinéma est souvent un catalyseur de thèmes universels allant de l’innocence jusqu’à la violence du monde. Avec leur petite tête blonde, les enfants lèvent les yeux au ciel et observent avec candeur le monde dans lequel ils essayent de s’intégrer. Un monde créé, modelé, articulé ou détruit par un univers adulte qui n’échappe jamais à ses travers.
Le cinéma est une porte ouverte à toutes les imaginations et à toutes les permissions : l’enfance est un sujet qui a toujours fasciné ou façonné l’art cinématographique car cette période de la vie parle de l’essence même de ce qui nous construit et révèle par son angélisme cabossé, les répercussions des dérives humaines. Parfois réceptacles et premières victimes de l’âme humaine (Mysterious Skin ou A Beautiful Day pour les questions de pédophilie ; L’enfance d’Ivan, Le Tombeau des Lucioles ou Requiem pour un massacre pour les conséquences de la guerre ; Faute d’Amour ou Jusqu’à la garde pour l’absence et les violences parentales…), l’enfance a toujours su éveiller la conscience collective par le biais du 7ème art et toujours eu la possibilité de gratter une surface parfois bien sombre.
A défaut d’être naturaliste et de représenter la jeunesse dans ce qu’elle a de plus véridique et de plus documentariste – si l’on peut dire -, le cinéma de genre a souvent été un échappatoire et un miroir métaphorique aux marasmes de l’âge tendre, allant des phobies enfantines dans It ou dessinant le visage de la jeunesse comme deuil de l’apocalypse dans Akira. Outre la science-fiction ou le cinéma d’horreur, il y a également le genre vampirique qui s’inscrit dans cette thématique. Et c’est là que Morse place ses pions et se réapproprie à la fois le mythe du vampire et le thème difficile du harcèlement à l’école. Alors qu’Oskar est un jeune garçon timide, rêveur et presque torturé par certains de ses camarades de classe, il va faire la rencontre de la jeune Eli, petit être aux yeux délicats mais à la force sanguinaire surhumaine.
De là, une amitié – une fusion – va voir le jour. Avec un sens certain de la mise en scène et la froideur du décorum – la neige, la nuit, la banlieue périphérique, les classes d’école -, Morse est un petit bijou ténébreux, un conte sur la solitude et la violence du monde, sur la haine qui suinte en chacun de nous et cette injustice qui transpire par tous les pores ; un long métrage qui ne cesse de se questionner sur l’image de l’enfant et sa capacité à garder ou non son innocence. Au-delà d’être victime d’un système (les professeurs qui ne savent rien du harcèlement), l’enfant est également vu comme un coupable (les harceleurs d’Oskar), un tortionnaire sans une once de culpabilité. Victime, coupable, monstre : la jeunesse est disloquée avant même d’avoir grandi, elle est déjà jetée dans l’antre du monde et tuméfiée sans pouvoir se saisir de toutes les définitions du mode d’emploi de l’âge adulte.
Mais pendant que ce dernier se détériore par le biais de l’alcool et une misère abondante, Oskar et les autres sont voués à eux-mêmes. Dans une mélancolie stoïque mais non sans émotion, Tomas Alfredson arrive parfaitement à dévisager les rouages de l’enfance et sa traduction sensorielle. Qu’elle soit humaine ou surhumaine, la jeunesse prend des coups et reste toujours la proie d’un autre. A l’instar de Quelques minutes après minuit, l’enfance trouve son chemin de croix et fait son deuil grâce au fantastique. Pourtant au fond d’une piscine et d’un souffle d’air qui peine à venir, une main est toujours tendue. La fragilité s’éteint petit à petit pour faire naître le sourire de la vengeance mortifère. D’un regard ensanglanté, deux âmes savent au fond d’elles qu’elles ne seront plus jamais seules. Et pour la vie.