Les éditions Glénat publient ReV, du scénariste et dessinateur Édouard Cour. Immersion dans un monde futuriste où les psymulations mêlent la puissance informatique et algorithmique aux rêves humains, l’album se caractérise par une inventivité folle et une pluralité de styles allant de Tim Burton (ses croquis, L’Étrange Noël de Monsieur Jack) à Steven Spielberg (Ready Player One) en passant par le pointillisme, le cinéma des Wachowski, certains traits de Keith Haring ou d’Edvard Munch, voire un peu de Mœbius ou de Philippe Druillet.
ReV constitue une double expérience. D’une part, le lecteur est appelé à se fondre dans la peau de Gladis, qui s’initie à la psymulation, avec tous les tâtonnements partagés que cela implique, et, d’autre part, il fait face à un univers ultra-inventif, graphiquement débridé, jouant des textures, de l’onirisme, des formes ou des couleurs, le tout donnant lieu à des sensations rarement éprouvées devant une bande dessinée. Découvrant les secrets d’un jeu vidéo lié à la psyché humaine en même temps que son utilisatrice, seulement guidé par l’expérience en temps réel et les conseils minimalistes de Mr_iO (un joueur en mode « coopération passive »), le lecteur n’a d’autre choix, à l’instar de Gladis, que d’« accepter de ne pas tout savoir » et de se laisser transporter dans une réalité virtuelle où chaque étape est un saut dans l’inconnu et chaque planche, une proposition graphique dont l’inventivité n’a d’égale que la beauté.
Audacieux, d’une sophistication formelle inénarrable, ReV alterne les vignettes en noir et blanc aux arrière-plans rudimentaires et les débauches subtiles de couleurs et d’effets, comme c’est par exemple le cas pages 54-55. Édouard Cour recourt en fait à tant de trouvailles et de techniques picturales que l’on pourrait y accoler des références par dizaines. Mais son ambition se situe précisément là : Gladis vivant un voyage inédit et unique en son genre, le scénariste et dessinateur prend le parti de mettre en partage cette expérience, à travers un coup de crayon et des propositions artistiques empruntant tant au cinéma (de Shining à Henry Selick en passant par les plans symétriques à la Wes Anderson) qu’à la peinture ou la bande dessinée – il y a du Druillet, du Caza, du Murakami, du Kusama… Parfois, l’emprunt est plus fugace : page 63, on rencontre à la fois Alien et la dame en or de Gustav Klimt ; page 74, on pourrait penser que le Manhattan de Woody Allen s’est entremêlé avec le Under The Skin de Jonathan Glazer ; ailleurs, il y a du Francisco de Goya dans l’emploi du noir et du Magritte à travers le détournement.
Il est difficile de mettre des mots sur ce qui relève finalement des sens. Car ReV n’est pas une histoire que l’on pourrait résumer en quelques phrases, mais plutôt un cheminement artistique dont on ressent intimement chaque pulsion. Bien qu’Édouard Cour ne fasse pas le deuil de la narration, il s’inscrit, à la manière d’un David Lynch, au croisement de la forme, de l’onirisme et d’un propos diffus que chacun s’appropriera selon ce qu’il y aura puisé. C’est en tout cas inventif, stimulant, traversé d’influences et, souvent, à couper le souffle.
ReV, Édouard Cour
Glénat, mai 2022, 104 pages