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« Mirages et folies augmentées » : pavé de bonnes inventions

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Philippe Druillet n’est pas étranger à la réinvention de la bande dessinée française dans les années 1970-1980. Ce touche-à-tout (peinture, photographie, opéra-rock) prend rang aux côtés de Mœbius ou Gotlib pour son inventivité et ses partis pris radicaux. Mirages et folies augmentées, réédité chez Glénat, renferme quelques histoires courtes qui, déjà, témoignent de la patte singulière du scénariste-dessinateur.

Philippe Druillet fait étalage d’une maîtrise graphique telle qu’on peine à lui trouver des équivalents dans la bande dessinée francophone. Ses cités futuristes, ses personnages aux typographies changeantes, ses traits précis et abondants, vifs et ardents, font de chaque planche un spectacle qui se suffit à lui-même. Mirages et folies augmentées comporte des récits en couleurs et en noir et blanc, placés sous le sceau de la science-fiction ou du récit social sordide, en continu (relatif) ou en bulle autarcique (quelques planches seulement). Ce volume est aussi l’occasion de retrouver des figures devenues emblématiques, telles que Lone Sloane, et des expérimentations dont l’artiste est familier, certaines explorant, et ce n’est pas une surprise, l’univers lovecraftien.

À la fin de Mirages et folies augmentées, Gotlib fait dire à Philippe Druillet qu’il carbure à « l’énergie pure ». Il est probablement impossible de définir plus justement, en si peu de mots, ce qui fait la force du scénariste et dessinateur français. Capable de rebuter avec un viol collectif suivi d’un règlement de compte sanglant, mais aussi de transporter ses lecteurs dans des récits érotico-fantaisistes à triple fond, l’homme dessine comme un chirurgien sectionne des tissus organiques : avec science et sans ambages. La structure de ses planches est d’une liberté contagieuse. Les personnages qui y transitent vivent d’épiques ou absurdes aventures, mais toujours avec cette imagination débridée qui surplombe l’histoire autant qu’elle la guide.

La ville fait l’objet de toutes les attentions dans cet album, au point que les premières planches lui sont entièrement dévolues. Mais celui qui se distinguera dans la revue culte Métal hurlant s’en empare aussi à travers des conceptions rétro-futuristes, parfois verticales, toujours très inventives. Les ruptures dans ses représentations, entre la science-fiction et le récit anthropologique franco-français (« Le Garage à vélos »), agissent comme un écho. Car de ruptures, il sera également question dans les tonalités, enjouées, graves ou spectaculaires, ou dans l’élaboration des planches (très chargées/bavardes ou davantage épurées/contemplatives), voire les genres explorés (de la genèse de Sloane à « Firaz et la ville fleur » en passant par le terre-à-terre le plus absolu).

Sous toutes ses formes, Mirages et folies augmentées mérite le coup d’œil. Il porte les germes d’un artiste fécond et génial, dont les fautes de goûts (il y en a) sont instantanément reléguées à l’arrière-fond d’une créativité sans bornes ni rivages. Et c’est finalement en cela que Philippe Druillet demeure le plus marquant.

Mirages et folies augmentées, Philippe Druillet
Glénat, décembre 2020, 368 pages

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