L’un des événements de cette fin d’année, en terme de série, est la diffusion de la première saison de Watchmen, orchestrée par le créateur de The Leftovers, Damon Lindelof. Et au vu des deux premiers épisodes, Watchmen dissimule bien des surprises.
Que nous apportent alors ces deux premiers épisodes de la série Watchmen ? Beaucoup de qualité, de symbolisme, une iconisation graphique certaine (le fabuleux interrogatoire de Looking Glass), une envie déjà d’en savoir plus sur l’univers déployé mais aussi beaucoup d’incertitudes. Damon Lindelof, qui comme avec Lost et The Leftovers, aime couvrir son récit de mystères, avance ici avec son habituelle narration qui se veut en perpétuel questionnement sur l’univers et les personnages, cachant d’innombrables zones d’ombres, et qui, sans doute, amènera ses réponses au compte-gouttes. Ce qui a le don de conférer de la force à ses personnages et dans le même temps, d’accentuer un flou plus ou moins mystique à son contexte. De manière superflue ou non, la suite de la série nous en dira un peu plus.
Mais Watchmen semble prendre la même direction que ses aînées malgré un aspect plus orienté vers l’action que précédemment. Malgré des rouages qui se veulent encore incertains, la série semble s’acheminer vers quelque chose de plus immédiat et agressif, voulant peut être se conformer au genre super héroïque et à ses quelques codes. Et ça fonctionne à l’écran avec par exemple cette excellente scène de bataille dans la ferme de certains membres de la 7ème Cavalerie. La chose qui va aussi en ce sens est l’utilisation systématique de la bande sonore : là où Max Richter donnait une émotion souterraine aux scènes de The Leftovers, celle de Trent Reznor et d’Atticus Ross donne de la puissance « badass » et de l’amplitude à la violence même de l’environnement, rappelant la bande sonore du Millenium de Fincher ou le côté Indus de NIN.
La série n’est pas un reboot ni de l’oeuvre d’Alan Moore ni de celle de Zack Snyder : la série se déroule 34 ans après ces deux dernières, à Tulsa, en notre époque. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conflits sociaux, raciaux et l’interrogation sur la teneur même d’une démocratie seront des thèmes, qui sans nul doute seront les piliers de cette première saison. Les premières minutes du pilote reviennent sur « l’émeute raciale de Tulsa » en 1921, où de nombreuses personnes de couleur noire se firent assassiner. Scène où nous verrons un jeune garçon s’échapper de ce massacre grâce à la noblesse d’âme de ses parents. Pourtant, presque 100 ans plus tard, les choses n’ont pas sensiblement évolué dans nos rapports raciaux : un policier de couleur noire perdra la vie suite à un contrôle de véhicule par un membre de la « 7ème cavalerie », qui a comme symbole particulier le masque de Rorschach.
Ce qui est le cœur de ces deux premiers épisodes est le contexte volcanique entre les forces de police, – qui vivent avec une identité dissimulée et sous un masque jaune lorsqu’ils sont en uniformes – , et les suprémacistes blancs de la 7ème cavalerie. Mais au delà de nous conformer à une sorte de manichéisme simpliste, le rapport de force entre les deux camps se veut moralement plus ambigu, surtout lorsqu’on voit les méthodes plus ou moins violentes, voire fascistes de la police de Tulsa, à l’image du personnage principal, Angela Bar, ancienne membre de la police, victime de la « Nuit Blanche », mais qui se bat toujours à ses côtés sous le costume de Sister Night. Paradoxalement, c’est comme si Sister Night était à cette série, le Rorschach du film de Zack Snyder dans son comportement violent et autonome, comme aimerait le montrer la scène qui fait écho au film : cette flopée de sang qui coule sous la porte suite à un meurtre.
Même si la série ne cesse de faire référence à l’univers même de Watchmen, comme en atteste cette goutte de sang qui coulera sur l’écusson du chef Crawford à la fin du pilote (comme celle du Comédien dans le film), l’utilisation du vaisseau du Hibou, de la présence de Dr Manhattan sur Mars, ou la présence de la série télévisée « American Hero Story » que regardent les habitants de Tulsa et qui rappelle celle qui est diffusée dans l’oeuvre d’Alan Moore, ou même le discours de Rorschach repris dans un contexte bien différent, Watchmen la série est bien une série estampillée Damon Lindelof.
Il serait facile de crier à la série qui se déroule « dans l’Amérique de Trump », mais comme dans The Leftovers, Watchmen est plus théorique et symbolique que démonstrative dans sa capacité à visualiser les stigmates de la société américaine : l’univers est flou, presque post apocalyptique, sombre et au bord du chaos et demande bien des réponses, une nouvelle fois. Le fonctionnement de la police, la symbolique de Rorschach, l’implication du Dr Manhattan dans les dérégulations climatiques, le rôle de Crawford dans la « Nuit Blanche », l’existence et la temporalité d’Ozymandias et ses clones, le petit garçon de Tulsa qui est l’homme mystérieux en chaise roulante et apparemment le grand père d’Angela, la liaison entre le Dr Manhattan et les enfants d’Angela (la construction brisée du château de l’enfant comme celui d’Ozymandias)…. Encore beaucoup de choses sont en suspens.
Tout cela amène bien du grain à moudre à une série qui arrive autant en deux épisodes à bâtir sa propre mythologie, avec ces nouveaux personnages et son environnement fictionnel, tout en étant un hommage singulier à l’univers préalablement existant de Moore ou de Snyder. Car l’aspect qui détonne le plus est le schéma narratif qu’il y a autour du genre super héroïque, qui est presque effacé de ces deux premiers épisodes : l’étude de cas autour des super héros n’a presque pas encore commencé. Loin d’être asphyxié sous les références et de se sacrifier sur l’autel de la « fanbase » , Watchmen de Damon Lindelof est à l’image de ce que le créateur a déjà pu faire : un décorum qui aime s’amuser de manière récréative avec le mystère et notre envie jouasse de savoir mais qui arrive tout de même à mettre l’humain et ses fêlures au centre du sujet, grâce notamment à son incarnation, à l’image de l’excellente Regina King et du magnétique Jeremy Irons (très belle scène de reconstitution de la naissance du Dr Manhattan). Comme si les super héros de Watchmen était « The Departure » de The Leftovers.
Watchmen – Bande annonce