Pour ce huitième volet des Fous de Pilotes, la sélection des séries est toujours aussi éclectique, entre City on a Hill, de Showtime, une plongée dans le Boston des années 1990, gangrenée par la corruption et le racisme, la série Too old to die young, présentée hors compétition au dernier Festival de Cannes, où Nicolas Winding Refn nous embarque dans une oeuvre de déchaînement de violence ultra stylisée, dans la ville de la cité des anges. après Titans et Doom Patrol, la plateforme DC Universe, nous envoie dans les marécages glauques de Houma, en Louisiane, avec Swamp Thing, adapté des comics des 70’s, le teen drama Euphoria, la série ado coup de poing de HBO, et la chaîne Cinemax, nous propose, Jett, un thriller pulp, porté par Carla Gugino.
Jett : Pulp Fiction porté au féminin
Écrite et réalisée par Sebastian Guiterrez, cette nouvelle série de gangsters s’inspire fortement des films de Tarantino. Une ambiance similaire à Pulp Fiction, avec des scènes très ressemblantes dont la scène d’introduction des deux tueurs à gages dans la voiture, jusqu’à l’utilisation du split screen comme dans Kill Bill. Un premier épisode bien mené du début à la fin, malgré un aspect assez explicatif dû aux flashbacks, qui peut porter par moments à confusion.
Notre héroïne, Daisy alias Jett, est une arnaqueuse professionnelle qui vient de sortir de prison. Un peu comme un personnage de Orange is the New Black, qui serait retourné à la vie réelle, on assiste à sa seconde chance dans la société et auprès de sa fille. Mais les vieilles habitudes ont la peau dure et une nouvelle proposition de job par son ancien boss et amant, Charlie Baudelaire lui font renoncer à sa nouvelle bonne conduite.
Carla Gugino, connue pour ses seconds rôles, est un choix intéressant dans ce rôle de femme fatale. À l’image des films noirs, ce personnage féminin use de son sex-appeal comme d’une arme redoutable pour mieux arnaquer les hommes. Mais loin d’être une femme passive, elle fait également preuve d’ingéniosité et de charisme qui la rendent d’autant plus dangereuse.
L’intrigue se développe sur ce nouveau vol à la Havane, qui de prime abord, semblera facile pour notre experte, mais finira par se compliquer… Un pilote qui se finit sur un cliffhanger et laisse présager une série de qualité. En espérant que sera plus développée aussi sa relation en tant que mère, et comment elle parviendra ou non à concilier cette double vie.
Céline Lacroix
Swamp Thing : le marais infesté…
Le premier épisode de Swamp Thing va surtout servir à planter le décor, tant géographique que social et même psychologique, dans lequel se déroulera le reste de l’action.
Nous voici dans le petite ville de Marais, en plein bayou de Louisiane. Une ville qui vit presque totalement sur et de ces marécages. Des marécages qui imposent d’emblée son ambiance à la série : nous sommes dans un monde glauque, bourbeux, humide et poisseux. Et dès le début, on comprend qu’il se passe dans ces marais quelque chose de pas commun…
Cette ambiance est essentielle au pilote : elle permet de rendre crédible tout le reste. C’est parce que la réalisation prend le temps de planter cette atmosphère que toute la suite de l’histoire peut se développer sans heurts.
C’est dans ce décor qu’une jeune docteur, Abby Arcane, est envoyée par le CDC (Center for Disease Control, Centre de contrôle des maladies) pour juguler une mystérieuse épidémie qui semble d’origine végétale. Là, le scénario emploie des ressorts classiques qui ne brillent pas par leur originalité : la jeune femme qui rentre dans sa ville d’origine et y retrouve aussi bien ses anciens camarades d’écoles que les ennuis qu’elle pensait avoir abandonnés derrière elle ; les souvenirs douloureux qui remontent à la surface ; et le jeune et beau scientifique marginal rejeté par le milieu et qui, pourtant, pourrait bien détenir une vérité…
Alors, certes, le déroulement de l’action n’est pas original, mais c’est vraiment efficace. Le pilote se ménage un rythme soutenu, sans le moindre temps mort. Il présente les multiples personnages et les interactions qui les unissent. L’action démarre immédiatement et s’annonce très vite liée à l’environnement. Le pilote ne présente pas encore de scène horrifique, mais la série à proprement parler ne commence réellement qu’à la fin du pilote… C’est un début prometteur en tout cas.
Hervé Aubert
City on a Hill : civiliser Boston
Co-produite, entre autres, par les acteurs Ben Affleck et Matt Damon et le réalisateur James Mangold (CopLand, Logan) City on a Hill nous entraîne à Boston à la fin des années 80. A la fin de l’épisode pilote, un agent du FBI, Jackie Rohr (Kevin Bacon, toujours impeccable quand il s’agit de jouer un pourri), s’associe à l’assistant du procureur, DeCourcy Ward (Aldis Hodge) pour enquêter sur un hold up qui a mal tourné et a abouti au meurtre de trois convoyeurs de fonds.
Mais avant d’arriver à cela, l’épisode de City on a Hill va surtout présenter la situation et les personnages, tous complexes.
En cette fin des années 80, la police de Boston est accusée de mener des enquêtes à charge contre la population noire de la ville. Les règlements sont enfreints régulièrement, comme dans cette scène où, lors d’une intervention, les policiers lisent mal l’adresse indiquée sur leur mandat et se trompent d’appartement. Certes, la nouvelle équipe dirigeante de la ville fait des efforts pour « civiliser » les pratiques, mais les policiers refusent de se plier à ces nouvelles règles de déontologie. Pire, une commission d’enquête, la Commission St Clair, a abouti à l’idée d’une responsabilité des forces de l’ordre et préconise l’incarcération de plusieurs d’entre eux. Ce qui crée une situation extrêmement tendue entre la police et le département de la justice.
Jackie Rohr est parfaitement issu de cette ambiance. Agent du FBI old school, travaillant toujours seul, il affirme dès la scène d’ouverture regretter l’époque où les policiers avaient tous les droits, y compris celui d’employer des mots comme « tapette » ou « nègre ». Jackie est un personnage haut en couleurs et complexe : d’un côté il est pourri jusqu’à la moelle, jouant avec les limites de la légalité (voire même parfois carrément hors-limites). D’un autre côté c’est un flic talentueux, le seul à avoir arrêté un groupe mafieux, et il semble fidèle envers ses indics.
DeCourcy Ward ressemble beaucoup à un arriviste. La rumeur prétend qu’il vise la mairie de Boston. Avocat talentueux, il souhaite nettoyer la ville de ses flics ripoux. D’un autre côté, il semble ne pas connaître grand chose concernant le terrain : c’est un théoricien, un homme de bureau, qui juge les autres à partir de ses belles conceptions sans avoir la moindre idée de la pression qui repose sur les policiers.
Pire : Ward était un des membres les plus acharnés de la Commission St Clair, ce qui fait que les policiers le voient comme un ennemi.
Le troisième personnage qui complète le tableau s’appelle Frank. Il travaille dans un supermarché et doit gérer une situation familiale pour le moins compliquée. Est-ce cela qui le pousse à diriger une équipe de cambrioleurs qui s’attaquent aux convois de fonds ?
Ce qui est passionnant dans ce pilote, c’est le refus de toute simplification abusive. L’épisode montre toute la complexité des personnages et des situations, et refuse de caricaturer. C’est cela qui confère à City on a Hill son aspect aussi passionnant. Comme dans tout bon polar, l’histoire permet de dessiner un portrait social de l’Amérique de cette époque. Du très bon travail.
Hervé Aubert
Too old to die young : violences dans un monde désincarné
Lorsqu’un réalisateur devenu célèbre sur grand écran crée sa propre série, c’est généralement un événement. On songe, bien entendu, à David Lynch et son fameux Twin Peaks, mais aussi à Lars Von Trier avec L’hôpital et ses fantômes. Désormais, il faudra compter aussi avec le Danois Nicolas Winding Refn et son Too old to die young.
Que ce soit par ses qualités visuelles ou son écriture, le pilote nous immerge immédiatement dans un univers typique du réalisateur. Mouvements de caméra amples et lents, plongée dans une ville nocturne et marginale souvent vidée de ses habitants, éclairages aux néons colorés qui teintent les visages d’un hâle verdâtre ou rougeâtre irréel, personnages comme momifiés dans des attitudes inexpressives : l’artificialité assumée de l’univers du cinéaste peut au moins surprendre, voire rebuter ceux qui n’y sont pas habitués.
C’est donc dans ce Los Angeles déshumanisé, comme désincarné, que nous retrouvons deux flics ripoux, Larry et Martin. Deux policiers qui n’hésitent pas à soutirer le plus d’argent possible aux personnes qu’ils prennent en infraction routière. Larry est un séducteur qui ne peut s’empêcher de draguer tout ce qu’il trouve, mais qui n’arrive pas à se débarrasser de son actuelle maîtresse ; il souhaite même la tuer alors qu’elle lui fait du chantage. Martin (interprété par Miles Teller, l’acteur de Whiplash) sort dans la plus complète illégalité avec une lycéenne de 17 ans.
Larry se fait abattre en pleine rue, au moment où il prenait un selfie pour sa maîtresse. Son tueur apparaît donc sur la photo et cela suffit à Martin pour se lancer dans un quête personnelle.
D’emblée, le Los Angeles de Refn apparaît comme un lieu uniquement peuplé de criminels, de tueurs et de mafieux plus ou moins sauvages. La violence est présente en chaque personnage dès le début, même si elle ne commence à se manifester qu’à la fin du pilote (qui, comme chaque épisode, fait 90 minutes). Une violence qui, même stylisée, apparaît brute. Too old to die young se présente comme une plongée dans un monde d’avant (ou d’après) la civilisation, un monde barbare. Le rythme lent se propose comme une immersion dans ce qui risque de devenir un enfer.
Un pilote hors du commun, intriguant, qui développe les thèmes et les procédés habituels du cinéaste danois.
Hervé Aubert
Euphoria : autopsie de l’adolescence
Après 13 Reasons Why et Elite récemment produits par Netflix, c’est au tour de HBO de nous montrer sa propre vision, plus crue, plus sincère de l’adolescence. Dès son pilote, la série Euphoria aborde beaucoup de thématiques propres à cet univers lycéen (addiction, dépression, sexualité) mais systématiquement de manière honnête, réaliste et sans tabous. Zendaya incarne Rue, une lycéenne à peine sortie de désintox mais qui ne peut s’empêcher de retomber dans la drogue. Extrêmement convaincante en ado solitaire, elle est également aidée par une mise en scène virtuose, assez inédite pour une série HBO, qui retranscrit à la perfection l’état d’esprit de la jeune fille et nous permet de l’accompagner dans chacun de ses trips et de ses phases dépressives.
Ce premier épisode est un excellent pilote et promet un potentiel incroyable à la série, à condition qu’un récit suffisamment intéressant soit rapidement mis en place, au-delà des thématiques d’ores et déjà explorées dans cet épisode. Car en effet, pour l’instant, alors qu’on découvre progressivement les différents adolescents que l’on va suivre tout au long de cette première saison, il ne se passe pas grand-chose. Mais tout est maîtrisé à la perfection et l’on pense peu à la progression du récit car la série se concentre sur ses personnages.
Le personnage de Rue sert de narrateur omniscient et par ses réflexes, ses tocs que ses parents ne comprennent pas ou ses manières d’agir lorsqu’elle est ivre, on ressent une justesse et un réalisme dans ce récit auquel il semble très facile de s’identifier, que l’on ait été en désintox ou non. A peu de choses près, l’adolescence que tout le monde a connu. Les personnages principaux sont très humains, parfaitement caractérisés. Quelques rôles paraissent encore stéréotypés (cela semble inévitable dans ce registre) mais devraient certainement être explorés plus en profondeur dans les prochains épisodes.
D’une pertinence captivante, on pourrait presque parler de pilote parfait tant il attise la curiosité et instaure à la perfection autant le cadre que Rue, le personnage principal qui s’avère aussi touchant que complexe. On peut également s’attendre à aborder de nombreuses thématiques importantes liées à la jeunesse dès les prochains épisodes. HBO fait très fort en 2019.
Thomas Gallon