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Lieux et Cinéma : les gares, des retrouvailles aux adieux

Gwennaëlle Masle Responsable Cinéma LeMagduCiné

De la douceur de retrouver son bien aimé au déchirement de devoir lui dire au revoir, de la joie des étreintes aux mains qui s’agitent à travers la vitre du train, qui n’a jamais frissonné sur le quai d’une gare ? Le cinéma en a fait des moments mythiques dans lesquels, qu’ils soient à quai ou dans le hall, les personnages du septième art ont fait vibrer nos cœurs. Tour d’horizon des gares au cinéma.

Une gare est le plus bel endroit pour des retrouvailles, parce que c’est normalement le lieu des séparations. En se retrouvant dans une gare, on a l’impression de conjurer le mauvais sort.

Daniel Poliquin

Il est évident que les gares ont toute leur importance quand on se remémore l’origine même du cinéma dans un plan de 50 secondes qui donnait à ce lieu et au train toute leur importance dans l’existence de cet art. Précurseur de ce que serait alors le septième art qu’une saisie de la réalité en mouvement, où l’attente et le bruit peuvent se correspondre et se mêler, bien qu’ici la seule attente soit celle des passagers sur le quai, et le bruit, celui que l’on imagine comme souvent présent dans les gares, au milieu des foules qui se déplacent, mais que l’on n’entend pas. Le cinéma débute donc dans une gare, celle de la Ciotat grâce aux frères Lumière en 1895 et la gare n’a cessé depuis d’être le théâtre de bien des histoires de pellicules.

Souvent un lieu sentimental, les quais des gares sont une romance à part entière au point de souffrir quelques fois de l’exploitation de ce romantisme dans des clichés à outrance qui pourtant, fonctionnent très souvent. À l’image de La boum 2 où ralentis et embrassades sont de sortie ou encore de Nos 18 ans où le champ contre champ sur les deux personnages qui se voient et marchent pour se retrouver, les techniques cinématographiques pour capter ces instants amoureux sont souvent les mêmes et parviennent à toucher leur public. Théâtre de l’Amour, les gares sont comme les aéroports sur-utilisées dans les scènes finales de comédies romantiques et pourtant, le baiser final fait toujours son petit effet.

Qu’ils se retrouvent passionnément sur le quai de la gare de Deauville dans Un homme et une femme ou se quittent dans une tristesse bouleversante sur celui de la gare de Cherbourg, les amoureux de Jacques Demy et Claude Lelouch ont offert les scènes les plus marquantes du cinéma français dans ce lieu si atypique et rempli de symbole. Catherine Deneuve chantait déjà sur le quai dans Les Parapluies de Cherbourg pour une scène mythique et rechantera des années après pour Christophe Honoré dans Les bien-aimés. Symboles de l’attente que le manque nourrit, les quais de gare sont l’allégorie même de l’Amour. Les trains passent comme se succèdent les histoires, certains voyageurs descendent tandis que d’autres montent, certains restent à quai, spectateurs des vies qui les entourent et d’autres y jouent leur vie, y donnent leur cœur. Dans La belle saison, Catherine Corsini parvient à faire ressortir du lieu une double émotion : l’euphorie des retrouvailles entre Carole et Delphine qui remplit le public de bonheur et le chagrin final de ce train qu’elle ne prendra jamais.

Les gares sont des fourmilières où les êtres se frôlent sans jamais se rencontrer. Les gens se croisent sans jamais se parler, les pas se mélangent, les directions se coupent, et parfois, les rencontres se font. Dans Gare du Nord de Claire Simon, les destins s’entrechoquent et se mêlent au sein d’un même lieu mais le temps s’arrête pour échanger, se découvrir ou trouver ce que l’on est venu cherché ; pourtant, autour de nous, tout grouille, tout va trop vite. Comme une nouvelle étape, comme l’escale d’un long voyage qu’est celui de la vie où certains rendez vous marquent davantage le cœur et l’esprit, pas toujours pour le meilleur. Dans L’inconnu du nord express, on suit les dédales du personnage dans la gare, puis l’arrivée du train qui choisit son chemin grâce à l’aiguillage. L’immersion est telle que l’on sentirait presque un instant l’importance du choix de la direction comme dans Mr Nobody où les dilemmes sont maîtres et les décisions une philosophie. Mais dans le film d’Hitchcock, l’importance est dans la rencontre qui se fera par la suite, on quitte la gare pour le train et en résulte une succession d’évènements au destin déterminé par cette simple question « Are you Guy Haines ? ». Au contraire, dans Eternal sunshine of the spotless mind, la rencontre amoureuse aura le rôle principal et sera la base des souvenirs que les protagonistes tenteront de retrouver. L’étincelle des premiers regards, la flamme de cette première rencontre. Quand la beauté symbolique du lieu se mêle à l’intensité ressentie à cet instant, nul doute que les souvenirs ne peuvent s’y tromper.

Les gares sont des lieux de transit où l’éphémérité de l’existence prend sa place comme une parenthèse enchantée où ces instants peuvent laisser d’importantes empreintes. Dans Le Pôle Express, chaque nouvelle maison est une gare où les enfants embarquent à quai de porte pour vivre une nuit de Noël inoubliable et construire des souvenirs magiques. On ne connait des villes parfois que leur gare, on croise des gens à qui l’on adresse que quelques mots et que l’on ne reverra jamais, elle n’est parfois qu’une fenêtre de transition entre deux moments de notre existence. La vie que l’on laisse et celle que l’on s’apprête à vivre, les choix que l’on perd, et ceux que l’on a faits. Les regrets laissés derrière le départ du train, et les rêves qui s’empressent à l’avant. La voie 9¾ de la gare de King’s Cross dans Harry Potter est l’exemple parfait de ce chemin transitoire que représentent les gares. Fenêtre ouvrant sur le monde magique de la saga, ce mur est alors devenu culte et offre une ouverture sur un nouveau monde, un passage obligatoire pour vivre ce dont on rêve depuis toujours.

Dans une ambiance bien plus dramatique, les gares étaient durant les guerres des lieux de passage coutumiers, en partie lors de la Seconde Guerre mondiale où les trains ont servi de moyen principal pour déporter les juifs. Spielberg le rendait alors de manière saisissante dans La Liste de Schindler où l’appel des noms à quai glaçait le sang. Afin de finir ce tour d’horizon ferroviaire sur de belles notes, on tentera de retenir la beauté romanesque des quais de gare et leur potentiel romantique à toute épreuve qui continue de nourrir l’imaginaire collectif et d’être un symbole des histoires d’amour au cinéma, ou en tout cas, des jolies rencontres.

Responsable Cinéma LeMagduCiné