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Vivants d’Alix Delaporte : le journalisme, côté travail

Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné
3.5

Vivants est le 3e film d’Alix Delaporte, et certainement le plus abouti. À travers les yeux de Gabrielle, la réalisatrice nous ouvre les portes d’un journalisme fouillé et incarné. Chaque personnage trouve sa place au sein d’un scénario qui va vite et à l’essentiel. Une immersion qui n’oublie jamais de parler de vérité tout en faisant constamment de la fiction.

À peine arrivée à Paris, Gabrielle fonce à la rédaction d’une prestigieuse émission de reportages en espérant l’intégrer. Sans réel diplôme et avec un bagage de guide de haute montagne, la voilà plongée, et le spectateur avec elle, au cœur du métier. Alix Delaporte filme un monde à la Engrenages où tout est question de vie et de mort dans ce métier où la nuit et le jour se confondent. Il n’est pas question d’y filmer des héros qui sortent une affaire, mais bien des travailleurs qui chaque jour remettent le couvert pour traiter l’info en prenant le temps qu’il faut. La force de Vivants tient dans son titre : tout bruisse, tout vibre, tout le monde est sur le pont. Pas de temps mort, de chichis. On découvre les personnages, leurs liens, leurs histoires au fil des plans, sans préambule. Le rythme est l’essence même du métier de journaliste (JRI ici) comme de Vivants. Gabrielle n’a pas le temps de se demander si elle est à sa place, elle est là et elle apprend en faisant.

Alix Delaporte n’a que peu de temps pour raconter alors elle place sa caméra au bon moment, au bon endroit, avec une belle finesse. On est loin du « cinéma du réel » qu’elle privilégiait dans ses premiers films, notamment Angèle et Tony. Ici, pas de place pour l’improvisation, le scénario est calibré et pourtant tout paraît très naturel, fluide. Dans Vivants, Alix Delaporte esquisse ses personnages, mais sans les enfermer, on sait qu’ils ont vécu avant des grands moments de journalisme, sur le terrain, et qu’elle les filme à un tournant, quand la fin d’un monde arrive. Gabrielle parle peu, filme peu, mais elle se nourrit de l’expérience, c’est avant tout cela que raconte Vivants, comment le regard se construit in medias res, sans grand discours moralisateur, mais par des actes. On le voit dans l’opposition entre Vincent et le « Big Boss » à propos de la manière dont Kosta a interviewé un invité : Vincent l’a regardé simplement avec l’impression que quelque chose d’important se jouait, quand le « Big Boss » y a vu une offense de plus à ceux qui donnent l’argent. Quant à Gabrielle, elle apprend à poser chaque question comme si c’était la seule à poser, la dernière.

La grande force de Vivants est la manière dont Alix Delaporte a fait naître une troupe, un peu à la manière des Ogres de Léa Fehner. Un monde presque à huis clos où tout se joue dans les relations entre les personnages, ce qui n’est pas dit mais qui se voit, ce qui est suggéré, tous les instants partagés. À l’écran, la famille se dessine sans besoin d’en faire trop, la chorégraphie est millimétrée, chaque personnage étant à une place bien précise. Lorsque Vincent et Kosta dansent presque en écho, leurs corps disent beaucoup plus qu’un discours ce qu’ils ont vécu sur les terrains de guerre. « Filmer, c’est ça notre métier », répond Camille lorsque l’un d’eux a tout capté d’un massacre avec sa caméra. La question, maintes fois posée, du rôle du journaliste de guerre, du « peut-on tout filmer ? » se trouve ici  mise en perspective, sans réponse toute faite, un peu comme avec Sympathie pour le Diable où le journalisme de terrain s’apparentait à une obsession, un besoin d’adrénaline, très loin des scènes refabriquées de France dans le film de Bruno Dumont. D’ailleurs, Alix Delaporte, qui se nourrit de sa propre expérience de caméraman pour l’agence CAPA, a utilisé de vraies images de terrain (dont certaines retravaillées avec les visages des acteurs) pour son film. On pense notamment à la séquence archive dans Sarajevo où des jeunes se rendent à une discothèque et courent pour échapper à la mort, s’accrocher à la vie. Ils se rendent en boîte tout en commentant les tirs d’obus à quelques centaines de mètres (vraies images d’archive de l’émission « 24H à Sarajevo », filmée par Pascal Manoukian).

C’est cet élan, cette recherche de vérité, de vie qui anime Vivants et qui rend la démarche artistique très sincère, plus qu’un « beau geste » de cinéma, le film d’Alix Delaporte s’engage en montrant, en racontant, sans chercher à embellir, « filmer bien en face » comme le martèle Vincent. « Je peux interroger le spectateur sur la nécessité de préserver la fonction du journaliste, à savoir la recherche de la vérité. Et pour l’obtenir, il faut aller sur le terrain et parfois se mettre en danger. Pour limiter ces risques, il faut avoir du temps » (voir dossier de presse du film). Un temps précieux, nécessaire à l’émergence de la vérité, mais qui aujourd’hui est menacée par les financiers qui dirigent le monde du journalisme. C’est ce monde qu’Alix Delaporte regarde se battre et finalement tomber. Pour mieux rebondir ? « Inventez vos trucs », c’est ainsi que Vincent répond à la jeune génération quand l’émission s’arrête. Tout reste à (re)constuire.

Vivants : bande-annonce

Vivants : fiche technique

Synopsis : Gabrielle, 30 ans, intègre une prestigieuse émission de reportages. Elle doit très vite trouver sa place au sein d’une équipe de grands reporters. Malgré l’engagement de Vincent, leur rédacteur en chef, ils sont confrontés au quotidien d’un métier qui change, avec des moyens toujours plus réduits, face aux nouveaux canaux de l’information. Habités par leur passion pour la recherche de la vérité, leur sens de l’humour et de la solidarité, ils vont tout tenter pour retrouver la foi de leurs débuts et se réinventer.

Réalisation : Alix Delaporte
Scénario : Alix Delaporte, Alain Le Henry
Interprètes : Alice Isaaz, Roschdy Zem, Vincent Elbaz, Pascale Arbillot, Pierre Lottin, Jean-Charles Clichet, Grégoire Leprince-Ringuet
Photographie : Inès Tabarin
Montage : Virginie Bruant
Durée: 1h23
Date de sortie : 14 février 2024
Genre : Drame

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