Sauvages est le nouveau long métrage d’animation de Claude Barras, huit ans après le succès de Ma vie de courgette. Sauvages se présente comme un conte écologique au cœur de la forêt tropicale avec, une nouvelle fois, l’enfance comme regard sur le monde. Un film engagé qui n’est jamais excessif ou manichéen, mais qui se révèle d’une grande beauté.
Sauvages commence un peu comme Bambi quand une mère orang-outan est tuée sous les yeux de son bébé et de la jeune Kéria, jusqu’alors absorbée par son smartphone. Kéria n’ira pas à la fête d’anniversaire à laquelle elle est invitée et rencontrera bientôt son cousin Selaï, et surtout la forêt qui lui était jusque-là interdite. Le nouveau film de Claude Barras n’est pas un Disney, la morale n’est jamais excessive ou manichéenne puisqu’on y combat avec les tripes, au corps à corps. Le réalisateur propose un nouveau conte initiatique, cette fois emprunt d’écologie, dans lequel il s’agit pour Kéria de trouver sa place dans le monde. Sauvages est un long métrage d’animation ultra documenté qui colle à la réalité sans la fantasmer. Jusque dans sa forme, l’œuvre est une résistance à un monde trop moderne et sans nuance où tout peut être recommencé à l’infini : « je crois que le stop motion est pour moi une forme de résistance au monde de la virtualité et des ordinateurs ». Chaque acte a ici un impact certain et cette idée est inscrite au cœur du scénario. L’immersion dans la forêt de Bornéo est totale, une plongée dans un décor magnifique à la Douanier Rousseau dont Claude Barras reconnaît l’influence. On pense notamment à une scène de nuit avec une panthère, qui fait également écho à une autre séquence culte de Princesse Mononoké. Les deux scènes se déploient entre l’eau et l’animalité, deux points forts de Sauvages.
Kéria est elle aussi, comme la princesse du conte animé de Miyazaki, une tisseuse de lien entre le monde moderne et la forêt primaire. Son histoire est celle d’un trajet, d’une prise de conscience et surtout d’un passage à l’acte : « Le chemin en effet m’importe beaucoup plus que le résultat final ». Il s’agit pour Kéria de retrouver son chemin comme le lui confie son grand-père, Penan vivant encore en nomade contrairement à son père qui a quitté la forêt pour la ville, dans une magnifique scène de transmission. Kéria y reçoit un nouveau nom – « Obilung », la femme panthère – et par lui découvre son identité, son lien ancestral à la forêt. Claude Barras filme d’abord la peur de Kéria, sa résistance à la nature, sans pour autant opposer technologie et nature (le grand-père de Kéria utilise lui aussi son smartphone, c’est un post sur les réseaux sociaux qui sera le déclencheur d’une ferveur collective). C’est pourtant bien en acceptant de regarder le monde, de s’émerveiller et donc d’interagir avec la nature que Kéria va avoir envie d’agir : » la vraie pierre d’achoppement, c’est le passage à l’acte (…) l’émerveillement, ce n’est pas seulement être admiratif : c’est se nourrir et être en lien. C’est un peu le parcours que j’ai fait faire à Kéria, ma jeune héroïne : elle part d’une réalité « par écran interposé » avant d’être amenée à ouvrir les yeux ». À travers la voix de Gaël Faye depuis le poste de radio de la famille de Kéria et Selaï, la résistance s’organise. Il s’agit de marcher, de dire « non », d’être collectivement contre la destruction en marche. À un moment Selaï, perdu dans la forêt avec une Kéria encore apeurée, chantonne les paroles de Tous les cris les S.O.S, la chanson de Balavoine, qui revient en écho habiller le générique de fin de Sauvages. Entre-temps, Kéria aura essayé de « ramasser tous les morceaux » et de « recoller les bouts de verre ».
Sauvages est une œuvre qui convoque de multiples références tout en faisant de nombreux clins d’œil à Ma vie de courgette, le premier long de Claude Barras. On pense notamment à la relation entre Kéria et Selaï, un temps moqué pour que Kéria appartienne au groupe avant qu’elle comprenne à quel point son regard est précieux. C’est une œuvre inventive, enfantine, qui n’infantilise pas. Prenons Oshi, l’orang-outan, que le réalisateur ne dote jamais de parole mais qui interagit avec le vivant tout en étant « mignon », sans perdre sa valeur sauvage (on le voit dévorer une sangsue et sans cesse vouloir fuir malgré sa tendresse pour Kéria). Kéria comprend qu’elle ne pourra jamais le posséder, pire le domestiquer. Il fait partie, avec les Penan et la biologiste campée par la voix de Lætitia Dosch, de ce qui « reste debout » et entre en résistance. Une génération de « fous » magnifiques qui tentent de jeter à la mer mille bouteilles et puis espèrent qu’on pourra lire un message de résistance à travers, surtout de ne pas disparaître. Nos héros sont-ils là, complètement changés, prêts à croire et à agir avec l’idée que « le plus beau reste à faire » ? C’est en tout cas le message de Claude Barras, un choix de poète, un rêve de militant, c’est déjà ça.
*Toutes les citations de Claude Barras sont issues du dossier de presse du film.
Sauvages : Bande annonce
Sauvages : Fiche technique
Synopsis : À Bornéo, en bordure de la forêt tropicale, Kéria recueille un bébé orang-outan trouvé dans la plantation de palmiers à huile où travaille son père. Au même moment Selaï, son jeune cousin, vient trouver refuge chez eux pour échapper au conflit qui oppose sa famille nomade aux compagnies forestières. Ensemble, Kéria, Selaï et le bébé singe baptisé Oshi vont braver tous les obstacles pour lutter contre la destruction de la forêt ancestrale, plus que jamais menacée.
Réalisation : Claude Barras
Scénario : Claude Barras, Catherine Paillé
Décors : Jean-Marc Augier
Montage image: Claude Barras, Anne-Laure Guégan
Montage animatique :Valérie Leroy
Production : Haut et court, Nadasdy Film, Panique
Distribution : Haut et court
Date de sortie : 16 octobre 2024
Durée : 1h27
Genre : animation
France – 2024