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Rétrospective Studio Ghibli : Princesse Mononoké, ou la reconquête de l’équilibre

Génie du dessin et de la poésie, avant-gardiste du féminisme et de l’écologie, Hayao Miyazaki a révolutionné l’animation japonaise en lui insufflant un souffle nouveau. Princesse Mononoké, par bien des aspects, représente le couronnement de son travail effectué depuis tant d’années au sein du studio Ghibli.

Synopsis : Ashitaka, un jeune guerrier japonais, affronte un sanglier géant et furieux qui attaque son village. Il tue la bête, mais se retrouve atteint par un mal mystérieux. Sur le conseil des sages, il part vers l’Ouest, à la recherche de ce qui a transformé l’animal en démon. Au cours de son périple, il rencontre San, la Princesse Mononoké, qui vit avec les loups. Ashitaka apprend que les humains sont à l’origine de tous ces maux, car ils détruisent la forêt, qu’ils exploitent pour alimenter leurs forges.

Face au chaos, aux maux profonds et sournois qui pourrissent notre quotidien, que peut faire le cinéma si ce n’est éveiller un tant soit peu les consciences. Une noble intention dont la réalisation se heurte, hélas, à un problème majeur : comment mettre en images un hymne à la vie et à la tolérance sans verser dans la pure naïveté ou la mièvrerie, dans la simple fable enfantine ? En faisant preuve d’intelligence et de subtilité, sans doute, à l’instar de Hayao Miyazaki dont les films d’animation s’adressent à tous les individus, quelle que soit leur génération ou leur culture. Une détermination que Princesse Mononoké concrétise à merveille, conciliant la complexification du propos avec la nécessité de donner chair à un univers sensible.

Que ce soit d’un point de vue esthétique ou conceptuel, Princesse Mononoké a tout du film somme. Dès le début des années 80, en effet, Miyazaki avait ce film en tête mais ne put le réaliser faute de moyens. Il dut passer par la confection de Nausicaä de la vallée du vent, en manga puis en film d’animation, pour poser les bases de son futur chef-d’œuvre : équivocation des personnages, du propos, etc. Ainsi, il s’extirpe de tout manichéisme, et invite son spectateur à poser un regard lucide aussi bien sur le monde que sur lui-même. Une approche que le personnage éponyme résume fort bien : la Princesse Mononoké, San, en faisant la jonction entre le monde de l’Homme et de l’animal, entre “l’esprit de la vengeance” et le désir de vie, est la preuve que nous sommes autant la cause que le remède à nos problèmes.

C’est d’ailleurs ce que les premières minutes du film suggèrent subtilement, à travers le personnage d’Ashitaka et la quête qui lui est dévolue : en considérant l’autre comme son simple antagoniste (le “démon” Nago), il est gagné par une haine (auto)destructrice (symbolisée par une tache grandissant le long de son bras). Son salut, dès lors, ne peut passer que par la découverte de “l’autre” et de sa complexité, du monde et de son ambivalence… C’est le principe du Yin et du Yang que Princesse Mononoké se propose d’illustrer, en rappelant que seul l’équilibre entre les contraires permet la paix avec les autres ou avec soi-même.

Le grand mérite de Miyazaki, ainsi, sera de sonder la question de l’altérité à travers un récit délicieusement aventureux, nous donnant à chaque fois autant à voir qu’à penser. Quelles que soient les épreuves endurées, les confrontations éprouvées (les Hommes contre les animaux, la modernité contre la nature, etc.), la rencontre avec “l’autre” sera toujours source d’ouverture d’esprit : si les animaux représentent un danger pour l’homme, ils ne font que réagir à la déforestation commise par ces derniers ; si les forges menacent le milieu naturel, elles sont également synonymes de refuge ou de seconde chance pour les exclus (les anciennes prostituées, les lépreux) …

De même, les différents personnages rencontrés seront autant d’illustrations de la notion d’ambivalence (les animaux ont des inclinaisons humaines, Dame Eboshi est aussi bien une guerrière qu’une protectrice, etc.). On le comprend bien, c’est l’équilibre entre les contraires qui permet l’harmonie, offrant au monde sa survie et à l’individu sa potentielle sérénité (l’apaisement des souffrances, la découverte de l’amour…).

Une recherche d’équilibre, un désir d’harmonie, qui s’affirme également et avant tout par un univers graphique fortement évocateur. L’image, en effet, dès les premiers instants, sera chargée d’exprimer le lien tacite qui relie entre eux les différents éléments constitutifs du monde : la haine prend la forme d’une substance visqueuse qui suinte du corps de Nago, entache les êtres et la nature environnante, avant d’envahir totalement l’écran ; l’empathie, au contraire, se matérialise par un bain de lumière protecteur, par des ondes de surface qui unissent l’homme et l’élément aqueux…

Miyazaki, en revendiquant clairement ses références philosophiques et culturelles (le shintoïsme, l’animisme), nous expose ainsi sa vision du monde : “Moi, et les biotopistes que je fréquente, considérons que si cet arbre ou ce poisson se trouve à cet endroit, il faut le laisser vivre où il est. Il n’y a pas d’ordre à imposer aux êtres vivants. Nous respectons la nature telle qu’elle est, et pas telle qu’elle devrait être. Nous nous rapprochons de la doctrine de Gaïa, “ la Terre nourricière “, selon laquelle il n’existe pas de différence entre le vivant et le non-vivant, la Terre et les animaux”. Une vision que le cinéaste concrétise esthétiquement, poétisant la fragile symbiose (la magnificence de la forêt, véhiculée par l’alternance des plans et le jeu sur les luminosités, l’harmonie naturelle qu’expriment les Kodamas…), figurant l’instabilité ou l’harmonie par la présence d’un fluide commun à toutes choses.

Rompre ce lien, c’est se couper de la nature, c’est prendre le risque de basculer dans le chaos. Une idée suggérée une nouvelle fois par la finesse graphique de l’auteur, lorsqu’il évoque la “folie” de l’Homme enferré dans sa modernité (les pics entourant la forge sont synonymes de ruptures, les paysages arides environnants vont renforcer le sentiment de perdition). Mais rompre ce lien, c’est également se couper de sa nature, c’est prendre le risque de perdre ses propres racines.

Les préoccupations écologiques se doublent alors d’une vraie réflexion identitaire, comme l’indique clairement Miyazaki : “Si l’on détruisait la nature, on perdrait la dernière fondation de l’esprit japonais”. Même si la question de l’identité sera plus amplement explorée par Le Voyage de Chihiro, Princesse Mononoké l’aborde également avec tact et poésie, comme lors de cette dernière partie qui voit le Dieu Cerf perdre sa tête : l’équilibre naturel s’effondre, le chaos submerge aussi bien la forêt que les villes. C’est seulement en retrouvant son intégrité, identitaire et culturelle, que le Japon pourra reconquérir son équilibre.

Face à la condition moderne japonaise, à la difficulté d’entamer un dialogue avec le passé, le cinéma apparaît comme un révélateur utopique, un moyen par lequel on peut concevoir un équilibre. En ce sens, la réussite de Princesse Mononoké est flagrante, en imaginant la réconciliation de l’Homme avec son milieu, avec lui-même, avec ces liens qu’il croyait définitivement perdus.

Princesse Mononoké : Bande-Annonce

Princesse Mononoké : Fiche Technique

Réalisation : Hayao Miyazaki
Scénario : Hayao Miyazaki
Photographie : Atsushi Okui
Musique : Joe Hisaishi
Production : Studio Ghibli, Tokuma Shoten, Nippon Television, Dentsu Music and Entertainment, Nibariki
Genre : animation, aventure, drame, fantasy
Durée : 134 minutes
Date de sortie : 12 janvier 2000 (France)

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