Priscilla, le retour en force de Sofia Coppola

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Beatrice Delesalle Redactrice LeMagduCiné

Priscilla, de Sofia Coppola : les héroïnes de la cinéaste se suivent et se ressemblent. Au lieu de nous lasser, on admire un ensemble qui figure une œuvre de plus en plus maîtrisée et cohérente.

Synopsis :  Quand Priscilla rencontre Elvis, elle est collégienne. Lui, à 24 ans, est déjà une star mondiale. De leur idylle secrète à leur mariage iconique, Sofia Coppola dresse le portrait de Priscilla, une adolescente effacée qui lentement se réveillera de son conte de fées pour prendre sa vie en main.

Anatomie d’une chute

Oui, c’est un véritable examen clinique d’une déchéance annoncée que Sofia Coppola opère dans ce huitième long métrage, Priscilla. Produit entre autres par l’intéressée elle-même, le film n’a pourtant rien d’un film de commande. La patte de la cinéaste est là, et bien là.

Priscilla est dans la droite ligne de sa filmographie. Elle a toujours été investie dans des récits relatifs à de jeunes et de très jeunes femmes prises dans un système qui les isole, dans un carcan qui les emprisonne, dans une vie qui n’est pas la leur. Des héroïnes plus ou moins diaphanes et évanescentes, un peu à son image d’ailleurs, ses Virgins, sa Marie-Antoinette, ou encore ses Proies pour ne citer qu’elles, et maintenant cette « Cilla » que l’on découvre du haut de ses 14 ans et de son mètre cinquante. Ce n’est pas faire de la psychologie de comptoir d’imaginer que son appartenance à l’écrasante dynastie qui est la sienne a pu façonner ce cinéma qu’elle forge film après film.

Ce nouveau métrage, qui se focalise donc sur les quelques années de vie de Priscilla avec Elvis Presley, du point de vue de la première puisque basée sur ses mémoires, est l’antithèse du récent film de Baz Lurhmann, Elvis. Plus minimaliste que jamais, Sofia Coppola opte avec son chef opérateur pour une colorimétrie neutre et discrète, à l’inverse du réalisateur australien toujours tout en flamboyance. La musique, prise en main par Phoenix, est délicieusement anachronique : en plus de leur propre composition, de nouveaux arrangements à l’ancienne pour des musiques actuelles, ou au contraire des reprises modernes des classiques de l’Americana Music, procédé déjà utilisé dans Marie-Antoinette. À peine un ou deux morceaux du King.

Au-delà de cette forme très maîtrisée, dans un décor luxueux reconstituant Graceland, le fond de sa narration est également à l’opposé de celui de Baz Lurhmann. On obtient ainsi deux Elvis pour le prix d’un. Celui des faubourgs, une victime de ses démons et du fameux Colonel Parker qui n’a plus aucun secret pour les cinéphiles ; et l’autre, celui de Priscilla, un bourreau, qui a manipulé (le mot grooming n’a pas son équivalent dans notre langue) une gamine et ses parents au point qu’elle vienne vivre à Graceland à même pas 18 ans, un inconscient qui l’initie aux drogues, un homme violent physiquement et psychologiquement. Le tout est déroulé sans pathos, sans emphase particulière, ce qui rend la violence des situations encore plus aiguës.

Mais le vrai sujet du film est bien entendu elle et non lui, sa solitude, son ennui, ses cent pas dans un salon trop vaste pour sa minuscule personne. La manière dont elle accepte l’emprise de son mari (il faut la voir aller se servir toute seule tel un petit soldat bien dressé dans la boîte à comprimés « magiques »), et dont petit à petit, elle essaie de se défaire, seule, sans alliée, abandonnée de tous y compris de ses parents, mue uniquement par l’intuition que tout ceci n’est pas normal. Plus sa choucroute prend du volume sur sa tête, sous les injonctions de son mari, plus son épiphanie se renforce pour se dire qu’à 28 ans, elle a une vie propre à vivre.

La nouvelle venue Cailee Spaeny, lauréate justifiée d’un prix à la Mostra, a parfaitement rempli le contrat avec beaucoup de conviction, passant d’une mineure belle et ingénue, presque difficile à regarder  dans ses rapports malsains avec cet homme de dix ans son aîné, à la jeune femme sous emprise, désirante et non désirée, et qui passe du désarroi à la prise de conscience. Face à elle, et contrairement à Austin Butler dans le film de Lurhmann, Jacob Elordi a compris qu’il n’est pas le protagoniste, et réussit à effacer le plus possible Elvis au profit d’un mari qui coche toutes les mauvaises cases.

Priscilla est sans doute un des meilleurs films de sa réalisatrice, comme étant le résultat d’un polissage constant et méticuleux de sa thématique principale, de sa connaissance intime de son sujet, celui de l’émancipation de la femme emprisonnée dans des cages plus ou moins dorées, aux barreaux plus ou moins lâches.

Priscilla – Bande annonc

Priscilla – Fiche technique

Titre original : Priscilla
Réalisateur : Sofia Coppola
Scenario : Sofia Coppola, sur la base du livre de Priscilla Presley et Sandra Harmon :  « Elvis and me »
Interprétation : Cailee Spaeny (Priscilla), Jacob Elordi(Elvis), Ari Cohen (Capitaine Beaulieu), Dagmara Dominczyk (Ann Beaulieu), Tim Post (Vernon Presley), Lynne Griffin (Mamie ‘Dodger’)
Photographie : Philippe le Sourd
Montage Sarah Flack
Musique : Phoenix
Producteurs : Sofia Coppola, Youree Henley, Lorenzo Mieli, Priscilla Presley, Co-producteurs : Charles Finch, Bumble Ward
Maisons de production : American Zoetrope, The Apartment, Fremantle
Distribution (France) : ARP Sélection
Durée : 113 min.
Genre : Drame
Date de sortie : 03 Janvier 2024
Italie, Etats-Unis– 2023

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Redactrice LeMagduCiné