Outrance et décadence
Avec une outrecuidance galvanisante et une outrance cathartique, Jean-Christophe Meurisse dézingue toutes les macro-folies de notre époque dans un film amoral et hilarant.
Dialogue avec le mal
Fondateur de la compagnie de théâtre iconoclaste les chiens de Navarre, J.C Meurisse (dont c’est le troisième long métrage après Apnées et Oranges Sanguines) impose dans le cinéma français un ton puissamment hirsute et désinhibé, frontal et éhonté de nature à expulser les diktats bien-pensants sur le bon ou le mauvais goût et autres moralines castratrices.
Ce qui caractérise précisément le cinéma de JC Meurisse c’est une impudence insituable moralement. Un dialogue avec le mal et ses avatars (la bêtise, la médisance, l’ignorance, les croyances de masse) porté à l’acmé du jeu, du burlesque, de la bouffonnerie, du cynisme, voire du grand-guignol.
Des acteurs en Majesté
Toutes nos fascinations névrotiques sont catapultées, condensées et torpillées dans ce qui pourrait s’apparenter à des sketches (façon les Vamps pour le duo d’enquêtrices du web génialement interprétées par Delphine Baril et Charlotte Laemell) ou numéros d’acteurs éblouissants (et ce serait déjà énorme!) si le réalisateur se contentait d’une juxtaposition de scènes choc. Ce n’est pas le cas. Le film jubile d’une esthétique forte corollaire de l’extravagance du propos et d’acteurs tous en majesté. Citons une scène parmi d’autres à l’aéroport de Copenhague avec un acteur sosie danois (?) d’un Depardieu jeune parlant français déployant un jeu totalement déjanté, inattendu, à mourir de rire.
Les Pistolets en Plastique va mouliner le matériau barbare des pulsions morbides de nos sociétés avides de faits divers trash et d’identification douteuse et masturbatoire au malsain pour fabriquer une œuvre percutante, impétueuse et hérissée, borderline et cohérente, délirante et désopilante.
C’est ici l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès (le massacre de toute sa famille qui lui est imputé, le tueur le plus recherché de l’hexagone) rebaptisé Paul Bernardin qui sert de point de cristallisation à la satire sanglante de Meurisse.
Quoi de plus excitant qu’un tel fait divers, qu’un tueur a priori comme tout le monde, devenu l’ennemi public numéro 1 ou le fantasme number one d’une civilisation décadente pour venir faire converger toutes les arches narratives du scénario des Pistolets en Plastique et les torpiller en jeu de massacre affolant, nous plongeant nez à nez avec nos violentes névroses.
Le Cinéma : Art Du Stand-Up Majeur
Gonflé à l’humour macabre version Fabrice Eboué et à l’impertinence démente d’un background du meilleur café-théâtre , Meurisse fait de tout son cinéma un art du stand up majeur.
Beaucoup plus cinglant et sarcastique que Dupieux, follement plus drôle mais travaillant sur les mêmes matériaux de réservoir pulsionnel, exhibant une direction d’acteurs hallucinée et survoltée (voir le monologue ahurissant de Anne-Lise Heimburger), Meurisse nous met sous les yeux un cocktail explosif de nos alarmantes bêtises, racismes en tous genre et cruautés latentes.
Les vingt dernières minutes poussent le curseur du pistolet balle à blanc un peu loin nous infligeant un sadisme quelque peu gratuit. Et le film eût pu se clore avant.
Il n’en reste pas moins que Meurisse crée un genre qui n’existe pas où le rire radical, offensif et sans-gêne demeure possible, soulevant et renversant toutes les hypocrisies sociales ou garde-fou vertueux, un genre où la parodie s’exerce de haute volée avec des acteurs débridés, où l’absurde projeté de face réveille les consciences par l’envers nous forçant à observer ce que c’est de mener collectivement une vie indécente et abjecte.
Bande-annonce : Les pistolets en plastique
De Jean-Christophe Meurisse | Par Jean-Christophe Meurisse
Avec Laurent Stocker, Delphine Baril, Charlotte Laemmel
26 juin 2024 en salle | 1h 36min | Comédie, Policier
Distributeur : Bac Films