La plus belle pour aller danser est le premier film réalisé par Victoria Bedos. Son héroïne, Marie-Luce, est-elle la petite sœur de Paula (La Famille Bélier, 2014) ou de Laure (Tomboy, 2011) ? Un savant mélange entre émancipation adolescente et quête d’identité, autour de personnages hauts en couleurs. Plongée dans un monde qui paraît hostile, Marie-Luce apprend à en chercher la bienveillance à tout prix, à ne plus se cacher, en résumé à trouver sa place dans le monde et à l’assumer. Un programme que Victoria Bedos décline avec humour, douceur et légèreté.
Savoir qui je suis
Marie-Luce est confrontée au même problème que les petits héros de Un monde, la cruauté de la cour de récré. Cette illusion de normalité pousse les enfants puis les ados à se conformer, se ressembler, à une période de la vie où pourtant ils se cherchent et veulent être autres, uniques. Ayant quitté un collège devenu trop violent pour elle, arrivant dans un nouveau déjà affublée d’un surnom, Marie-Luce voudrait, comme les personnages du Marivaux qu’elle étudie, qu’on l’aime. Ce monde pourtant ne la voit pas, même son propre père souvent oublie qu’elle existe, tant qu’elle est là et qu’elle ne fait pas de vague. C’est en s’incrustant dans une fête déguisée (en héros du Parrain, le film préféré d’un des pensionnaires du lieu où elle vit) où elle n’est pas invitée que Marie-Luce devient Léo, non pas par désir d’être un garçon, mais parce que c’est ainsi qu’on la perçoit. Quand Marie-Luce est Léo, elle existe, elle est regardée, mieux : elle est aimée ! Plus le temps pour elle de revenir en arrière, elle se plonge dans le désir naissant entre Léo et Emile, au risque de ne plus rien maîtriser, d’aller « trop loin ». Autour d’elle, des ados virils, des filles amoureuses et superficielles, bref des apparences qui se heurtent chaque jour aux images qu’ ils et elles renvoient. De cette cruauté, Victoria Bedos (scénariste de La Famille Bélier, Normandie Nue…) se tourne vers la légèreté, l’humour.
Apparences et délivrance
La vie de Marie-Luce est joliment décalée puisqu’elle vit dans une grande famille recomposée avec un père aidant familial comme elle l’écrit sur sa fiche de rentrée. Dans les faits, un joyeux bazar presque figé dans les années 80, du moins branché sur Nostalgie, où cohabitent des retraités avec plus ou moins toute leur tête. Cette grande collocation où la barrière de l’âge est abolie, voit naître l’amitié de Marie-Luce, 14 ans et d’Albert, 80 ans. Les deux personnages en apparence très différents évoluent pourtant main dans la main sur le chemin de l’acceptation de soi et surtout ils tentent de s’affirmer, d’assumer leurs choix. Or Marie-Luce se prend les pieds dans le personnage qu’elle a créé et ne parvient toujours pas à être aimée pour qui elle est. A l’image de Laure pourtant, elle tente de copier les attitudes, les désirs des garçons, et se voit dans les yeux d’un autre comme un garçon qu’on peut aimer. Avec cette identité travestie, Marie-Luce rejoint l’héroïne de Tomboy qui parvenait à nouveau à exister après l’été, elle change, elle se transforme et assume ses choix, son décalage. Peut-être que Céline Sciamma y mettait plus de vérité, du moins de radicalité, ne lâchant jamais des yeux sa petite Laure, et elle seule, alors que Victoria Bedos y met plus de légèreté en ne s’attardant pas que sur Marie-Luce mais aussi sur d’autres parcours, quitte parfois à s’éparpiller ou à donner l’impression d’impasses qui s’éclaircirent un peu trop vite (la relation au père, la perte de la mère, le choix d’Albert de renouer avec ses enfants, Chloé qui assume son homosexualité…).
Marie-Luce a une force : elle est dansante, mouvante, jamais figée. Mieux, c’est une ado qui lit, qui réfléchit, qui pense, qui ose se planter et qui essaye brillamment d’exister. Les instants de drame ne sont presque que des accidents, tant c’est d’une chrysalide que Marie-Luce s’échappe. Aux côtés de l’enfant que Pierre Richard a su rester, faisant échapper son personnage à un cliché de jeunisme, la jeune Brune Moulin est époustouflante, son regard, la manière dont elle s’exprime et se meut offre à son personnage une force et une incarnation inattendues. La plus belle pour aller danser n’est pas un film militant, c’est une petite ritournelle qui offre à l’adolescence (et même au-delà), la capacité à renaître, se transformer, avancer et enfin se rencontrer, soi, en échappant à ce qu’on attend de nous et en se choisissant une place dans le monde. Marie-Luce est plus qu’une fille se prenant pour un p’tit gars (comme celui coincé dans un placard dans la chanson de Suzanne), c’est une enfant en sommeil qui se réveille et se révèle.
La plus belle pour aller danser : Bande annonce
La plus belle pour aller danser : Fiche technique
Synopsis : Marie-Luce Bison, 14 ans, est élevée par son père dans une joyeuse pension de famille pour seniors dont il est le directeur. C’est bientôt la soirée déguisée de son nouveau collège : son père ne veut pas qu’elle y aille … et de toute façon, elle n’est pas invitée. Mais poussée par Albert, son meilleur ami de 80 ans, Marie-Luce, s’y incruste, habillée en homme. Ce soir-là, tout le monde la prend pour un garçon… un garçon que l’on regarde et qui plait. Elle décide alors de s’inventer un double masculin prénommé Léo pour vivre enfin sa vie d’ado. Bien entendu, à la maison, la relation avec son père se complique.
Réalisation : Victoria Bedos
Scénario : Victoria Bedos, Louis Pénicaut, Eulalie Elsker
Interprètes : Brune Moulin, Philippe Katerine, Pierre Richard, Loups Pinard, Firmine Richard, Guy Marchand, Samy Belkessa, Iris Guillemin
Photographie : Pierre Aïm
Montage : Nathan Delannoy
Production : Lionceau Films, Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma, Synecdoche
Distributeur : Universal Pictures International France
Date de sortie : 19 avril 2023
Durée : 1h31
Genre : Comédie
France – 2022