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La plus belle pour aller danser : interview Victoria Bedos et Pierre Richard

Victoria Bedos n’est pas qu’une enfant de la balle. La scénariste de La Famille Bélier n’a que 38 ans, mais déjà une filmographie bien à elle, dont se dégage la volonté de faire un cinéma personnel qui s’adresse à tout le monde. Coup d’envoi derrière le combo, La plus belle pour aller danser entérine les grands traits de sa démarche artistique. À savoir trouver de la légèreté dans les choses graves, parler d’elle sans s’imposer à la fiction, prendre le temps de trouver la place de ses personnages dans un monde moins hostile qu’il n’y parait. À l’occasion de l’avant-première de son film, rencontre avec l’autrice bien accompagnée par Pierre Richard, légende décidément imperméable au temps qui passe.

LeMagduCiné : La plus belle pour aller danser raconte finalement la même histoire que La Famille Bélier : une adolescente qui essaie de trouver sa place dans un monde dont la famille vit en reclus. C’est quelque chose que vous aviez en tête en lançant l’écriture ?

Victoria Bedos : Je pense qu’il y a un aspect très inconscient dans l’écriture. Comme j’écris vraiment étape par étape, je n’ai pas tout de suite eu l’idée en me disant « oui c’est ça ! » Non, ça s’est fait au fur et à mesure. Et au final oui, je me rends compte que j’écris souvent les mêmes histoires (rires). Après, c’est ce qu’on appelle les obsessions d’un auteur. Je raconte quelque chose qui m’obsède, qui m’intéresse du coup. La seule chose qui était évidente dès le début, c’est l’idée de cette adolescente qui trouve pas sa place. Là oui j’avais compris qu’il y avait un parallélisme. Mais l’idée de la pension de famille pour personnes âgées est arrivée en un deuxième temps. Je voulais que le papa fasse un métier qui l’empêche de voir sa fille grandir, et de s’apercevoir qu’elle ne va pas très bien. Et comme j’avais un papa plutôt âgé qui lui-même n’était pas très en forme à ce moment-là, ça m’envahissait. Et peut-être que pour transformer la peine en quelque chose de plus joyeux, je l’ai mis dans l’écriture. Donc ça se fait de manière inconsciente. Ma famille n’a pas vécu reclus (rires) au fin fond de la campagne.

« Je trouve plus facile d’exprimer quelque chose de sérieux avec légèreté, dans la comédie. On touche plus directement au cœur. »(Victoria Bedos)

LeMagDuCine : La dynamique entre le personnage de Brune Moulin et celui de Pierre (Richard) est intéressante. On dans ce qu’on appelle une «coming of age story», avec une héroïne qui sort de sa coquille …

Victoria Bedos : C’est la chrysalide !

LeMagDuCine : Voilà. Mais ça concerne aussi le personnage de Pierre, qui sort de sa coquille sur le tard. Comme si vous disiez qu’il n’est jamais trop tard.

Victoria Bedos : Exactement. Finalement ils ont le même parcours narratif les deux. Ils s’aident l’un l’autre et arrivent à s’en sortir.

LeMagDuCine : Du coup, j’imagine que c’était important de trouver un acteur qui avait réussi à conserver ce caractère juvénile….

Victoria Bedos : Oui ! Pour que ça marche, il me fallait un acteur avec un regard d’enfant, et il y en a pas beaucoup qui n’ont pas tué l’enfant qui était en eux. Et chez Pierre, il est bien présent ! C’est comme ça que j’ai construit l’histoire. Elle est beaucoup plus sérieuse, moins audacieuse, moins « fraiche » que lui, qui est beaucoup plus ado dans son comportement. Il a un comportement plus border.

LeMagDuCine : Pierre, qu’est-ce qui vous a plu dans ce personnage ?

Pierre Richard : D’abord, il est très joliment écrit. Heureusement, si ce n’était pas le cas je me serais dit : « Quel dommage. Un si joli personnage, et des dialogues aussi pauvres. » Mais il est très bien écrit. Ça c’est pour la forme, maintenant pour le fond c’est vrai que ça me plaisait bien d’avoir cette relation. J’ai toujours aimé tourner avec des jeunes de manière générale. Brune avait 13 ans.

Victoria Bedos : 14.

Pierre Richard : Mais à l’époque ?

Victoria Bedos : Oui elle en avait 13. Maintenant elle en a 15.

Pierre Richard : Fin bref, c’est une adolescente. Ça me plait beaucoup parce que ce sont des comédiens et des comédiennes qui ont une fraicheur extraordinaire, et justement je m’en inspire. J’aime bien tourner avec des jeunes. C’est comme ça que je le reste ! Et elle était particulièrement bien, elle m’estomaquait à chacune des scènes qu’elle faisait avec moi. J’ai 50 ans de carrière, c’est son premier film. Je me disais « merde j’en ai raté 49 ! » (Rires). C’est aussi pour ça que j’ai aimé le rôle, je suis bien tombé avec elle. Et en plus, j’aimais bien ce personnage qui s’attache à une ado et qui sent très bien que le père ne fait pas attention à elle. D’autant plus que moi je n’ai pas fait très attention non plus quand j’ai eu moi-même un enfant… Du coup je me rattrape un peu sur la petite si je puis dire ! D’ailleurs c’est grâce à elle que je vais me rattraper avec les autres.

« J’aime bien tourner avec des jeunes. C’est comme ça que je le reste !  » (Pierre Richard)

LeMagDuCine : Votre personnage continue de se chercher qui il est finalement. Tant vis-à-vis de lui qu’avec les autres…

PR : Oui oui. Il sait bien qui il est, mais il regrette ce qu’il est. Enfin, il regrette surtout de ne pas avoir tellement pensé à ses propres enfants… d’avoir fui. Et là, il la défend un peu contre ce père qui est loin d’être méchant, mais qui a tellement à résoudre qu’il ne fait pas attention…. C’est pas facile je suppose. Moi-même j’ai pas toujours été à l’aise devant mes fils, une fille c’est peut-être différent mais… 14 ans c’est l’âge ou les enfants savent pas trop ce qu’ils vont devenir. Et là, la famille elle est un peu perdue devant un adolescent.  Elle sait pas trop comment la prendre, parce que c’est délicat.

Victoria Bedos : Tout est susceptible d’être grave à cet âge-là.

LeMagDuCine : Victoria, vous abattez la pyramide des âges dans le film. On s’attendrait à cette relation très verticale ou le personnage de Pierre jouerait le mentor, montrerait à cette jeune fille le chemin qu’elle doit prendre, qu’il fasse figure d’autorité. Là au contraire c’est plus son copain d’école à domicile.

Victoria Bedos : Complètement. Qui lui dit de faire des bêtises !

LeMagDuCine Oui. Et finalement jeunes et séniors se retrouvent sur le même pied d’égalité. C’est une dimension sur laquelle vous vouliez insister ?

Victoria Bedos : Bien sûr. Parce que je me suis aperçu, dans l’observation, qu’il y avait des vieux beaucoup plus jeunes que des « jeunes » dans leurs têtes, et vice-versa. Et que finalement l’âge mental n’a rien à voir avec l’âge physique. C’était aussi ce que je voulais raconter. Souvent les jeunes sont emprisonnés dans certaines peurs qui les empêchent d’être libres. Alors que les personnes plus âgées ont fait fi de tout ça, et ont une fraicheur liée à leur liberté, acquise avec l’expérience. Et comme j’ai construit ce film comme une famille nombreuse…. Albert le personnage de Pierre incarne toute la famille : il est à la fois la mère, le père, le meilleur pote, le frère etc. Firmine Richard c’est la grande sœur un peu fofolle qui parle de cul de manière hyper libérée, et qui du coup est gênante pour la petite sœur. Guy Marchand je l’ai imaginé comme le bébé qui vient de naître, et donc qui accapare toute l’attention et dont il faut qu’on s’occupe. C’est pour ça que j’ai abattu les âges, parce que je ne les ai pas envisagés comme des retraités, mais comme une famille nombreuse.

Pierre Richard  : C’est extraordinaire, parce qu’on parlait des jeunes mais dans le film les vieux sont tous un peu comme moi. Philippe Katerine, c’est pas non plus un adulte …

Victoria Bedos : Responsable ? (rires)

Pierre Richard : Firmine Richard c’est pareil, elle a rien d’une femme amortie.

Victoria Bedos :  « Femme amortie », j’adore cette expression !

Pierre Richard :  Il y a aussi celui que j’adore…

Victoria Bedos : Olivier Saladin.

Pierre Richard  : Qui cherche sa femme tout le temps…

Victoria Bedos  : Ne sait pas faire marcher un portable…

Pierre Richard : Je l’ai vu tellement de fois avec Les Deschiens, il était formidablement drôle.

Victoria Bedos : C’est une famille farfelue, et c’est presque Marie-Luce qui est la plus sérieuse dans tout ça. Trop sérieuse ! C’est une vieille âme avec des « personnes amorties » comme tu dis, un peu plus fantaisistes qu’elle. Et Albert essaye de la sortir de sa torpeur, parce qu’elle est comme enfermée en elle, parce qu’elle a peur de ne pas être aimée. Vas y, vis ! Ose !

« Je ne les ai pas envisagés (les personnages) comme des retraités, mais comme une famille nombreuse. » (Victoria Bedos)

LeMagDuCine :  Le film parle aussi du travestissement de cette ado qui va se déguiser en garçon pour avoir confiance en elle. Même en 2023, c’est un sujet qui reste délicat pour certains, mais la légèreté que vous insufflez là-dedans…

Victoria Bedos : Fait passer la pilule (rires).

LeMagDuCine : Oui, et très facilement ! Ça aplanit.

Victoria Bedos : Oui, c’est pas une question de genre.

LeMagDuCine : Voilà. Comment avez-vous fait pour retranscrire cette légèreté nécessaire ?

Victoria Bedos  : De toute façon c’est mon système d’écriture. J’essaie de parler de sujets profonds avec légèreté, de faire du drôle avec du triste. C’est mon père qui citait Kierkegaard – ce qui ne lui arrivait pas souvent- dans ces cas là…

Pierre Richard : Ça me fait penser à une phrase de Louis Jouvet, quand il dit à Bernard Blier : « Il faut jouer léger pour avoir du poids. »

Victoria Bedos : Ah j’adore !

Pierre Richard : Je trouve ça sublime.

Victoria Bedos : Il a tout résumé.

Pierre Richard : C’est ce qu’elle essayait de dire. (rires)

Victoria Bedos : Maladroitement ! Mais du coup c’est ce que Kierkegaard disait : « L’humour est la politesse du désespoir. » Et c’est vrai que je trouve plus facile d’exprimer quelque chose de sérieux avec légèreté, dans la comédie. On touche plus directement au cœur. Dans se travestir, il y a quelque chose de l’ordre du jeu, d’enfanter. Mais bien sûr que plus profondément ça signifie qu’elle ne s’aime pas, qu’elle a envie d’être quelqu’un d’autre. J’ai joué avec les deux facettes du travestissement, la légèreté et la profondeur.

« J’aime bien écrire une histoire ou on n’a pas tout les éléments, ou tout n’est pas dit. C’est une sensation, une pesanteur qui est là. » (Victoria Bedos)

LeMagDuCine : Et pourtant il y a cette gravité sous-jacente liée au deuil jamais fait de la mère…

Victoria Bedos : C’est ce qui plane sur la famille depuis le début du film. Sans qu’on sache vraiment ce qui s’est passé, pourquoi la relation entre le père et la fille est aussi cassée. Mais c’est un tabou, je l’ai travaillé comme un tabou dont on ne parle pas.  D’ailleurs les résidents n’en parlent pas, ça ressort à un moment et c’est pourquoi ça ne se passe pas bien. C’est un sujet qui m’intéresse depuis longtemps. J’ai écrit un livre quand j’avais 23 ans qui s’appelle Le Déni. Au départ le déni c’est pas forcément quelque chose de négatif. C’est lié à l’instinct de survie, on a quelque chose qui nous fait souffrir, donc on le cache le temps que l’on puisse le digérer, et notamment les deuils. Sauf que là ça pourrit, et quand c’est trop longtemps caché ça fait mal sur les côtés.  Et là ce que je raconte, c’est que finalement il est temps au moment du film que le père et la fille parlent de cette mère, sinon elle ne peut pas se constituer en tant que femme. Et lui ne peut pas continuer à vivre sans exprimer sa peine. Donc ils ouvrent leur cœur ont besoin de faire réexister cette mère.

Mais c’est difficile de parler de la mort, je trouve qu’on est pas une culture qui en parle très facilement. Je l’ai vu avec la mort de mon père, tout le monde réagit très différemment. Moi j’étais plutôt dans le déni, c’est plutôt mon style. Mais d’autres personnes dans ma famille avaient besoin d’en parler tout le temps. Mais je trouve ça plus intéressant narrativement de parler du déni, parce que quand ça explose il se passe quelque chose.

LeMagDuCine : Mais j’imagine que ça devait être un défi du point de vue de l’écriture. Parce que c’est le fil rouge que le spectateur doit pouvoir identifier dès le début, mais sans savoir de quoi il s’agit.

Victoria Bedos :  Exactement… Exactement. J’aime bien écrire une histoire ou on n’a pas tous les éléments, ou tout n’est pas dit. C’est une sensation, une pesanteur qui est là. On voit la petite qui part, mais elle aurait juste pu partir, pas mourir. Mais ça m’a intéressé de révéler plutôt la vraie chose sur la fin.

LeMagDuCine : Pierre, votre personnage et celui de Brune ont beaucoup tendance à se réfugier derrière les livres, et il y a ce rejet affiché des réseaux sociaux au début, avant qu’elle ne s’y mette par la force des choses. Est-ce qu’il y avait une volonté de casser un peu la dichotomie qu’on installe entre les deux ?

Victoria Bedos : C’est un film inscrit dans son époque. Il y a une scène de réseaux sociaux, il y a Albert (le personnage de Pierre Richard) à côté, elle voit qu’elle a pas d’amis sur les réseaux sociaux, et elle est pas invitée à la soirée. Mais les réseaux sociaux sont maintenant quelque chose de terrifiant. C’est un outil formidable, mais c’est une preuve immédiate de si on nous aime ou on nous aime pas, alors que c’est plus compliqué que ça les liens humains. Mais là je trouve que c’est une violence encore plus forte chez les adolescents. Quand on est rejeté, on ne l’est pas seulement dans la cour de l’école, on l’est aussi sur les réseaux, donc ça s’arrête jamais.

La littérature je l’ai aussi utilisée de manière assez ludique. Marivaux est présent parce que c’est un marivaudage moderne. Bien entendu que c’est un hommage. Mais Cioran je l’ai aussi utilisé de manière ludique, les messages sont passés à travers les livres. De l’inconvénient d’être né, c’est un signe du désespoir, et c’est là qu’Albert lui dit d’arrêter avec ses messages de désespéré.

Quand j’étais jeune, j’ai eu une période où j’étais pas très bien dans ma peau comme Marie-Luce, et j’utilisais Cioran pour faire passer des messages à ma famille. Je me baladais avec le bouquin : « Coucou. » « Ça va ? » « Non ça va pas, regarde ce qu’il y a d’écrit sur le livre. » (Rires). Pareil quand le personnage d’Albert a une famille qu’il n’est jamais allé voir, il lit Éloge de la fuite. C’est une façon un peu plus rigolote de faire passer des messages.

Et puis, c’est pour montrer aussi que la littérature c’est pas mal ! On peut y apprendre plein de choses. La preuve, je ne fais que reproduire un système de travestissement que Marivaux avait mis en place quelques années auparavant. Il y a de la modernité dans le passé.

LeMagDuCine : J’ai aussi perçu ça comme une interface. Vos personnages, celui de Pierre et celui de Brune, comprennent très bien les choses intellectuellement. Par contre, pour les expérimenter…

Victoria Bedos : Oui… C’est très juste ! C’est-à-dire que c’est un peu bloqué là (elle se désigne la tête). Ce sont des personnages très cérébraux, mais un peu coupés de leurs émotions. D’où leur comportement de peur ou de lâcheté vis-à-vis des autres. C’est un sentiment qui m’est arrivé très régulièrement quand j’étais jeune.

LeMagDuCine : C’est le cas de tout le monde je pense…

Victoria Bedos : Oui, c’est plus facile. On peut avoir conscience des choses sans vouloir les résoudre.

« Il faut jouer léger pour avoir du poids. » (Pierre Richard, d’après Louis Jouvet.) 

LeMagDuCine : Brune Moulin a reçu un prix d’interprétation au festival de l’Alpe d’Huez. Vous vous y attendiez ?

Victoria Bedos : Non pas du tout. Je ne m’attends pas à ce qu’elle reçoive un prix à la place de Catherine Frot, sinon je serais très prétentieuse. Mais je trouve qu’elle le mérite, elle est exceptionnelle. Elle m’a bluffé pendant tout le tournage. Elle était au-delà de mes espérances. Je suis heureuse pour elle, et c’est pas par hasard qu’elle est là. Elle a toujours voulu être actrice, depuis qu’elle a 7 ans. C’était son premier casting néanmoins, et je pense que cette jeune fille va avoir une carrière. Ça l’engage bien dans son histoire. Et je suis très touchée qu’elle ait eu le premier prix pour son premier rôle dans mon premier film. Quand elle était sur scène, je la regardais comme si c’était mon enfant (rires). Je fais un transfert total !

LeMagDuCine : Vous recherchiez précisément cette capacité à être une vieille âme dans un corps d’enfant ?

Victoria Bedos : J’ai vécu précisément ce décalage quand j’étais gamine. C’est pour ça que j’étais harcelée moi-même à cet âge-là. Ça a été un passage très compliqué. J’étais en avance scolairement, j’avais un corps d’enfant qui ne grandissait pas, et j’avais un esprit de femme de 92 ans (rires). J’ai eu une jeunesse de merde, j’arrivais pas à concilier les deux. Les gens me trouvaient bizarre, et ça m’a couté. Mais maintenant j’en fais une force. J’étais tout le temps collé aux adultes, j’ai appris plein de choses… Bon j’aurais bien aimé être invitée aux soirées,  j’aurais préféré même ! Et Brune elle-même, en tant que jeune femme, a ce truc-là. C’est une jeune fille très mature. Je ne sais pas si ça rend heureux quand on est jeune. Plus tard, c’est pas mal.

LeMagDuCine : Faut avoir confiance dans le long-terme.

Victoria Bedos : Voilà, à un moment ça se rejoint. Mais l’adolescence, c’est pas le meilleur passage, pour personne (rires). Je suis sûre que la fille cool du collège, en fait chez elle est pas si bien que ça. Elle ment mieux.

LeMagDuCine : Philippe Katerine, vous l’avez choisi pour son côté adolescent ?

Victoria Bedos : Le personnage de père tel que je l’avais écrit aurait pu très vite devenir une sorte de caricature de gros con, macho etc. Et Philippe Katerine apporte quelque chose de très particulier à l’image du père. Il a quelque chose de plus maladroit, de plus délicat, poétique dans son attitude, ce qu’il fait qu’on lui pardonne beaucoup plus. Il a un regard totalement émerveillé. Donc je pouvais charger la mule sur le personnage parce que je savais qu’il allait rattraper le coup. Et néanmoins, j’ai effectué un travail sur lui.

Déjà je lui ai mis une perruque, ça le changeait profondément. Et j’essayais de le banaliser, de le ramener vers le sol, d’en faire un père universel. On a travaillé la voix, pour qu’il ait une voix plus basse sinon il part très vite dans les aigus. Et comme il est une figure d’autorité, il fallait quand même appuyer le truc. Donc on a travaillé beaucoup à l’oreille. Et il a été très à l’écoute. Il avait peur de ne pas être capable d’être juste dans l’émotion, comme le moment du caméscope. Il m’a dit que dans la vie, il savait pas pleurer.  « Même quand je suis triste ça sort pas. » Donc j’ai fait un petit montage avec mon monteur avec une musique très triste, ça c’est implacable (rires). « T’es chiante quand même ! » Et donc il a pleuré !  Et depuis il repleure dans la vie. Il s’est découvert des choses. Par exemple il avait peur de se mettre en colère contre Pierre.

Pierre Richard : Pourquoi ?

Victoria Bedos : Bah vis-à-vis de toi déjà, mais il me disait que même contre ses enfants il n’arrivait pas à se mettre en colère. « J’ai pas ça en moi. »  Du coup il allait chercher des trucs dont il se sentait incapable, alors qu’il l’était. Il était souvent filmé en gros plan,  donc il fallait qu’il soit le plus simple possible dans sa manière de jouer, le plus juste, sans faire d’effets. Et je le trouve bouleversant.

Sur la virilité, il y avait un seul moment où… (rires). En fait il court d’une manière très particulière. Et il passe se voir au combo, et il dit « je cours pas comme ça quand même ? » Et si mec ! (Rires). À un moment, il doit imiter la fille pour construire son personnage de garçon. Je lui demande s’il peut pousser les curseurs de la virilité, pour que ça soit un peu chaplinesque ? Il me fait « bah non ». (Rires). Non mais genre marche un peu comme un bonhomme quoi. « Montre moi Victoria . Ah bah t’es beaucoup plus viril que moi. » (Rires).

LeMagDuCine : Pierre, c’est un film de famille recomposée, donc un film de troupe, de comédiens. Est-ce que c’est ce que vous recherchez aujourd’hui ?

Pierre Richard :  Oui j’aime assez ça pour mon plaisir, pendant le tournage, de se retrouver. Là je les connaissais tous plus ou moins, bien sûr plus ceux qui avaient mon âge… Du coup ça ressemble un peu au théâtre, quand on tourne pendant un mois ça finit par y ressembler. On ne se quitte plus, on mange ensemble… Et oui c’est quelque chose que je recherche. Là c’est bien parce que justement on est heureux de se retrouver. On rit avant, pendant parfois, et après. C’est la famille, et comme c’est une histoire de famille…

Victoria Bedos : Ça a pris super bien.

Pierre Richard : On était déjà une famille en dehors du film.

Victoria Bedos : Et comme on a tourné de manière resserrée toutes les scènes dans la maison, on a l’impression d’y habiter. Chacun avait sa chambre. La maison de famille.

Pierre Richard : En plus moi les jours ou je tournais c’est quasiment tout le temps dans la maison. On s’y retrouvait le matin avant de tourner, et le soir pour diner après la journée on se retrouvait dans le même restaurant.

Victoria Bedos : Les tournages de Province ça fait ça aussi, on rentre pas chez soi.

Pierre Richard : J’adore tourner ailleurs qu’à Paris.  Sinon à 19h on fait « salut à demain. » Là c’est « on va manger. »

Rédacteur LeMagduCiné