Mia Hansen-Love a présenté son septième long métrage, Bergman Island, lors du Festival de Cannes 2021. Elle y conte, à travers un montage en mouvement permanent, une histoire de mélancolie, de désir, de création, mais surtout une histoire de cinéma. Que ce soit à travers le fantôme de Bergman sans cesse convoqué ou par le destin heureux d’une réalisatrice un temps en panne d’inspiration, le cinéma est partout, il est la vie même. Son film est d’une extrême douceur au milieu de tous les monstres cannois et s’inscrit dans une filmoraphie marquée par la mélancolie et le mouvement. Une petite merveille baignée par la lumière de l’été.
S’évader
En 2015, Lionel Duroy proposait à travers son roman, Echapper, une rêverie sur la force des livres. En effet, son narrateur se perdait un temps dans les souvenirs d’un roman aimé et dont il souhaitait habiter les lieux. Il se rendait alors là où l’action du livre se déroulait et tentait de trouver les traces du roman idéal. C’est cette réflexion sur la force des oeuvres et notre capacité à les réstituer dans nos vies que poursuit Mia Hansen-Love avec Bergman Island. Chris est réalisatrice et admiratrice du travail d’Ingmar Bergman. Elle se rend donc sur l’île où le réalisateur a vécu et tourné quelques-uns de ses films majeurs. Pourtant, le travail du réalisateur est bien loin d’apaiser Chris, « c’est comme des films d’horreur mais sans la catharcis » dit-elle après une projection de Cris et chuchotements. Pourtant, elle aime ces films et ne peut expliquer pourquoi. Il est désormais question pour elle d’écrire son propre film. Pour cela, elle se rend dans un moulin aux allures de tour d’ivoire et s’imprègne du lieu. D’abord construit comme des scènes de la vie conjugale (autre film du réalisateur suédois) de Chis et Tony, son mari lui aussi réalisateur, le film bascule peu à peu. Il se centre sur Chris et son scénario. Ce dernier naît sous les yeux du spectateur petit à petit. Et ce, un peu à la manière des trois variations que proposait In another country en 2012, avec les ratures en moins. Chris a l’air sûre du chemin qu’elle souhaite emprunter, bien que la fin soit encore une surprise pour elle.
Double je
L’histoire contée par Chris est comme une variation de sa propre vie. Mia Hansen-Love sème en tout cas habilement le trouble. Ce qui compte au-delà d’histoires d’amour en partie étouffées, c’est le trajet des personnages. En effet, Mia Hansen-Love s’attache toujours à offrir des échappées à ses personnages. On pense notamment à Tout est pardonné, Un amour de jeunesse ou le plus récent Maya. Chaque fois, c’est en prenant des chemins nouveaux que les personnages, souvent féminins, se découvrent. Ils se plongent bien sûr dans la mélancolie, source de créativité dans le cinéma de la réalisatrice, mais c’est en marchant qu’ils trouvent leur voie. À l’image du chemin emprunté, encore une échappée belle, par Isabelle Huppert dans L’Avenir. Mia Hansen-Love refuse de figer ses personnages tout comme elle entreprend de ne pas figer Bergman, dont elle convoque sans cesse l’image dans son film, dans une seule posture. C’est ainsi qu’alors que Tony part pour une excursion « officielle » sur les pas de Bergman, Chris découvre un tout autre chemin. Ce sont les traces de Bergman dans l’esprit du jeune étudiant qu’elle rencontre qui lui seront offertes. Ces deux visions s’entrechoquent ensuite dans les discussions et les choix artistiques du couple de réalisateurs.
Création et déconstruction de soi
Amy et Joseph, les héros du scénario de Chris, sont eux aussi contraints au mouvement, ils se libèrent l’un de l’autre par ce mouvement. Tout est question de déplacement puisque pour se retrouver sur l’île de Faro, les personnages entreprennent de longs trajets où il est question d’avion, de bateau, de voiture. Les retrouvailles sont donc toujours un moment d’arrêt du voyage autant qu’elles sont le début d’une nouvelle fugue. La force de Bergman Island, et celle du cinéma de Mia Hansen-Love en général, est que tout en mettant en scène des rapports humains douloureux, le film est baigné d’une intense lumière et d’une douceur extrême. Ici, le temps est comme arrêté, même quand les corps tressaillent. Les portables se font discrets, les corps ne sont pas outranciers, bien que quelque chose se libère en eux. Le temps se suspend, les paysages magnifiques se déroulent sous nos yeux. Mia Hansen-Love montre la création comme un moment aussi douloureux que libérateur. Il est surtout un moment intrinsèquement lié à la vie de son auteur. Ce n’est donc pas du côté du diverstissement qu’elle se place, mais bien vers celui d’une mélancolie qui ose dire son nom. On ressort de Bergman Island comme de plusieurs films à la fois (sans réelle rupture de ton), et avec cet apaisement, ce bien-être si cher à Chris dans le cinéma. Un beau moment loin du tumulte cannois ou du bruit du monde, mais profondément ancré dans la vie et son mouvement permanent. Il s’agit d’avancer mais sans rien abîmer sur son passage, l’harmonie créatrice étant le seul objectif. Le film est sorti en salles en parallèle de sa projection cannoise, l’occasion de prolonger l’été, une saison chère au cinéma de Mia Hansen-Love. Et comme par miracle, son prochain film, Un Beau matin, est déjà en tournage.
Bergman Island : Bande annonce
Bergman Island : Fiche technique
Synopsis : Un couple de cinéastes s’installe pour écrire, le temps d’un été, sur l’île suédoise de Fårö, où vécut Bergman. A mesure que leurs scénarios respectifs avancent, et au contact des paysages sauvages de l’île, la frontière entre fiction et réalité se brouille…
Réalisation : Mia Hansen-Love
Scénario : Mia Hansen-Love
Interpètes : Vicky Krieps, Tim Roth, Anders Danielsen Lie, Mia Wasikowska,
Photograhie: Denis Lenoir
Montage : Marion Monnier
Sociétés de production : Neue Bioskop Film GmbH, Scope Pictures, Plattform Produktion, Piano Producciones, Arte France Cinema, CG Cinema, RT Features
Distributeur : Les films du losange
Durée : 112 minutes
Date de sortie : 14 juillet 2021 + Selection Officielle Cannes 2021
Genre : Drame