Suprêmes d’Audrey Estrougo : le biopic qui claque sur les débuts du groupe NTM

Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné
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NTM est souvent associé aux seuls noms de JoeyStarr et Kool Shen, pourtant à l’origine, ils étaient 33 ! Suprêmes retranscrit cette fougue du groupe, l’esprit borderline du duo de rappeurs. Le tout est raconté avant la gloire ou du moins les premières grosses scènes. C’est au corps à corps que NTM se produit d’abord devant un public. Un biopic habité et punchy !

Du rap et de la rage

L’industrie de la musique aurait pu avaler ces deux-là, des potes qui se lancent dans le rap par défi, continuent parce que ça devient vital. Pourtant, Suprêmes raconte comment des rencontres déterminantes ont permis à NTM d’être plus que deux postes qui font du rap par défi, un soir, puis rentrent chez eux. Le biopic raconte donc bien cette ascension qui commence par pas mal de galères. Les premières galères, comme bien souvent, naissent du fait que personne, en 1983, ne les attend. Ils se lancent donc dans le vide avec leurs punchlines, leurs voix à caler sur des rythmiques créées par DJ S. Et ça marche car une énergie presque animale se dégage du duo de chanteurs sur scène. Une énergie incontrôlable qui est autant leur moteur que leur défaut. En effet, d’interminables scènes de disputes parsèment le film. NTM fait de la musique à 33, tout le monde fait partie des premiers déplacements. De quoi retourner un monde de la musique très codifié et trop sage. Toute cette énergie est au service du film, qui tente, tout en parlant du groupe, de parler d’une époque. Une époque où la fracture entre les banlieues et le reste du monde se fait sentir, où la violence grimpe. Il y a un cri, et c’est vers NTM que les médias se tournent pour l’entendre. Quitte à se faire jeter. Cela se traduit dans une scène mythique du film où une jeune journaliste compte interviewer  NTM à propos des émeutes à Vaulx-en-Velin. Elle se fait recevoir, le groupe refusant d’être catalogué comme la voix d’une génération. Pourtant, leur groupe traversera les années 80 et 90 avec une énergie jamais consommée. Et se voudra le « haut parleur » de cette génération justement, comme leurs textes le clament.

L’entrée fracassante de NTM, une société bouleversée …

Le film a l’énergie des débuts, des galères donc. Mais c’est avant tout une histoire de musique. Il est ainsi traversé par des lives parfois difficiles à mener à terme, soit des scènes d’affrontement ou des refus catégoriques qui se transforment en concerts clandestins. Il y a aussi la personnalité des protagonistes et particulièrement de JoeyStarr qui est parfois un frein à une pleine expansion. Le film jongle sans cesse entre des états de fébrilité très forte et un apaisement passager. Même signer un contrat devient ici un moment de tension joyeuse. Avec le choix de deux managers (Franck Chevalier et Sébastien Farran interprétés par les superbes César Chouraqui et Félix Lefebvre) très éloignés de leur univers, mais qui y croient à fond, le jeu des contrastes bat son plein. Le film est pétri de ces contrastes, voire de ces contradictions qui ont pu faire les gros titres concernant NTM. Plus discret concernant Kool Shen (qui l’est aussi dans la vie), le film est plus prolixe quant à l’histoire familiale malmenée de JoeyStarr. Le personnage est en perpétuelle quête du père, dans une perte des repères qui semble impossible à combler. A ce jeu-là Théo Christine (déjà très bon dans Skam) est impeccable, l’acteur étant souvent d’une fragilité extrême, d’une grande délicatesse aussi, avant de se transformer en une bête de scène incontrôlable avec des clashs mémorables. Sandor Funtek (repéré très tôt dans le magnifique Mourir d’aimer) complète le duo d’une très belle manière, plus en retrait dans la vie, mais parfait quand il s’agit d’exploser sa rage sur scène. C’est de ce duo surtout qu’il est question, le groupe étant un arrière plan joyeux et parfois un peu encombrant. Le film est tourné souvent de nuit dans de grands plans larges, les plans resserrés étant réservés à la scène, sublimés par une lumière légèrement bleutée. Tout semble se faire en silence, en catimini alors que tout explose sans cesse à la face du monde.

… mais incapable de changer 

Ce qui fait la force de Suprêmes, c’est qu’ Audrey Estrougo montre comment NTM s’est retrouvé malgré lui, ou plutôt par des choix musicaux, inévitablement entremêlé à la société. Une société qui voulait changer, mais ne faisait que sombrer comme l’a montré La Haine à la même époque. « Les NTM, c’était un coup de poing dans le monde musical français. Certes, le rap venait des États-Unis, mais dans les textes, il y avait déjà une conscience de ce qui devait changer. Ils avaient leur identité et ne s’en excusaient surtout pas… » expliquait  Sébastien Farran à Libération en 2007. C’est exactement cela que Suprêmes raconte avec une vraie fougue, et souvent une grande délicatesse, qui écoute vraiment ses personnages, les regarde grandir, se planter. Et qui surtout nous fait constater à quel point, à l’aube de l’an 2000, toute cette rage s’est fracassée contre une réalité bien triste : rien n’avait vraiment changé 17 ans plus tard. Reste des textes marquants et cette image de deux gars qui veulent y croire et se donnent du courage avant de monter sur scène ; l’un espérant tenir debout, l’autre comptant le nombre de spectateurs dans la salle. Premier gros concert pour NTM et pour Audrey Estrougo, la fin de son récit. C’est de cette frustration qu’elle joue jusqu’à la dernière seconde avant, encore, de balancer du gros son pour son générique. Depuis, on cherche désespérément à retrouver cette rage authentique, que le film retranscrit à merveille. Même s’il demeure un poil trop sage. Il aurait pu en effet être sans concession comme l’était NTM, le récit demeurant assez classique dans la manière de présenter les évènements. C’est ailleurs qu’il puise sa force dans sa manière de filmer les concerts au plus près des protagonistes, dans sa façon d’être dans l’affrontement permanent et de sublimer la force du collectif face à un individu toujours trop perdu en lui-même pour briller seul. En effet, la réalisatrice montre un concert qui vire presque au fiasco où JoeyStarr se retrouve seul sur scène, empêtré comme l’Albatros de Baudelaire. La caméra n’entre dans l’arène qu’au moment où les deux rappeurs sont réunis et jouent de nouveau au corps à corps leur vie sur scène.

Suprêmes : Bande annonce

Suprêmes : Fiche technique

Synopsis :  1989. Dans les cités déshéritées du 93, une bande de copains trouve un moyen d’expression grâce au mouvement hip-hop tout juste arrivé en France. Après la danse et le graff, JoeyStarr et Kool Shen se mettent à écrire des textes de rap imprégnés par la colère qui couve dans les banlieues. Leurs rythmes enfiévrés et leurs textes révoltés ne tardent pas à galvaniser les foules et … à se heurter aux autorités. Mais peu importe, le Suprême NTM est né et avec lui le rap français fait des débuts fracassants !

Réalisation : Audrey Estrougo
Scénario : Audrey Estrougo, Marcia Romano, avec la collaboration de JoeyStarr, Kool Shen, DJ S
Interprètes : Théo Christine, Sandor Funtek, Felix Lefebvre, César Chouraqui François Neycken, Chloé Lecerf
Photographie : Eric Dumont
Montage : Sophine Reine
Producteurs : Philip Boëffard, Christophe Rossignon,  Eve François Machuel, Pierre Guyard
Sociétés de production :  Nord-Ouest Films, France 2 Cinéma, Artémis Productions
Distributeur :Sony Pictures Releasing France
Date de sortie : 24 novembre 2021
Genre : Biopic
Durée : 112 minutes

France – 2020

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