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« Bandes originales » : Thierry Jousse esquisse un portrait de la musique au cinéma

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions EPA devraient contenter plus d’un cinéphile : la publication de Bandes originales est une occasion quasi unique de faire, en compagnie de l’excellent Thierry Jousse, le bilan de l’évolution de la musique de films. Avec passion et didactisme.

Il suffit de quelques notes de musique pour identifier instantanément Halloween, la nuit des masques, Psychose ou Massacre à la tronçonneuse. Le cinéma d’horreur a, peut-être mieux que n’importe quel autre genre, conféré à la bande-son de ses films une fonction séminale, d’orchestration et d’accompagnement, que les accords répétitifs et stridents de Bernard Herrmann dans le Bates Motel incarnent parfaitement. Les trois œuvres mentionnées ci-avant répondent toutefois à des logiques différentes : Tobe Hooper a opté pour des partitions bruitistes en adéquation avec une imagerie minimaliste ; Bernard Herrmann a fait son deuil d’un certain classicisme influencé par Claude Debussy ou Maurice Ravel pour privilégier des cellules rythmiques plus courtes et saccadées ; John Carpenter a lui-même composé ce qui deviendra, on peut le dire, l’hymne du slasher. Thierry Jousse cite également, dans ses Bandes originales passionnantes, l’exemple du giallo, indissociable d’une certaine esthétique sonore.

Certaines des plus belles pages de l’histoire du cinéma se sont écrites par la conjugaison parfaite de la mise en scène et de la mise en musique, de l’image et du son. Les coups d’archet de Bernard Herrmann portent l’effroi dans Psychose, mais la collaboration entre le compositeur et Alfred Hitchcock comprend d’autres chefs-d’œuvre tels que Sueurs froides, La Mort aux trousses ou Les Oiseaux. D’autres duos sont passés à la postérité : Steven Spielberg et John Williams, Tim Burton et Danny Elfman ou Sergio Leone et Ennio Morricone. Difficile en effet d’évoquer l’un sans mentionner l’autre. Thierry Jousse verbalise avec érudition les synergies nées de ces collaborations répétées. Pendant que le cinéaste sculpte l’espace et l’image, le compositeur vient en appui, donne des élans, colore les séquences en les nappant d’ambiances sonores créées sur mesure. Si le rôle des compositeurs de musiques de films demeure généralement sous-estimé, il faut rappeler que les bandes originales ont pris leur essor, irréversible, dès les années 1930 et l’avènement du cinéma parlant. Max Steiner, Franz Waxman ou Dimitri Tiomkin façonnent alors, parmi d’autres musiciens souvent venus d’Europe, le son hollywoodien.

Au fil des décennies, les évolutions sonores ont foisonné. Bandes originales ne manque pas de rappeler quelques-unes de ces étapes itinérantes sans lesquelles le septième art n’aurait certainement pas eu la même saveur. Le jazz qui s’invite dans les salles obscures dans les années 1950, la Nouvelle vague facilitant la percée d’une nuée de nouveaux compositeurs en France (Georges Delerue, Michel Legrand, Antoine Duhamel…), la musique électronique qui apporte une touche nouvelle dans les années 1980, l’apparition des metteurs en scène-DJ tels que les deux Quentin (Tarantino et Dupieux). Si Max Steiner est reconnu pour avoir posé les jalons des principales techniques de composition en prise avec l’image (il s’occupe notamment des comédies musicales interprétées par le duo Ginger Rogers/Fred Astaire), la mécanique sonore n’a cessé de muter au cours des années et des personnalités-phares qui l’incarnaient. Parmi elles, Thierry Jousse met en exergue John Williams, Quincy Jones, Henry Mancini, Jerry Goldsmith, James Horner ou encore Howard Shore.

Beau-livre, Bandes originales dispose un espace considérable, propice aux illustrations. Ces dernières accompagnent des textes succincts qui, une fois rassemblés, possèdent un réel caractère encyclopédique. Traversant les époques, les genres et les compositeurs, l’ouvrage fait passer le lecteur de la carrière de Max Steiner à celle de Bernard Herrmann, des partitions rejetées les plus célèbres à l’usage du vieux jazz dans les films de Woody Allen, des années 60 coincées entre le classicisme et l’irruption prochaine du Nouvel Hollywood aux comédies musicales ou à l’attelage durable entre le rock et le septième art. Le langage musical contemporain est le fruit d’une patiente construction, dans laquelle chacun des éléments rapportés par Thierry Jousse a eu son importance. Comment, en effet, comprendre le parcours d’un John Williams ou d’un Ennio Morricone sans expliciter les liens de l’un avec Henry Mancini et Bernard Herrmann ou la formation classique de l’autre, doublée d’une expérience d’arrangeur sonore à la RAI ? Comment mieux décrire le premier qu’en mettant en lumière le mariage parfait entre l’exigence artistique et le succès populaire (de Star Wars à Harry Potter), ou le second, dont l’auteur énonce les sonorités variées caractérisées par un savant mélange de cris sauvages, de clavecin, de flûte à bec ou de cordes rythmiques et psychédéliques ?

De par sa générosité et la passion qui s’en dégage, Bandes originales devrait satisfaire aux attentes des cinéphiles et des mélomanes. Il a en outre l’immense mérite de raconter un récit suivi, aux imbrications diverses, de l’évolution de la musique de films à travers les époques. Car des Etats-Unis à la France en passant par le Japon ou l’Italie, la bande-son d’un long métrage a toujours eu des fonctions séminales, de suggestion, d’émotion, voire de citation (la présence de Bernard Herrmann au générique des films de François Truffaut ou Brian De Palma n’est évidemment pas innocente quand on considère l’influence d’Alfred Hitchcock sur leur cinéma respectif). On peut conclure, sans courir le risque de se fourvoyer, que le livre de Thierry Jousse a sa place dans la bibliothèque de tous les amoureux du cinéma.

Bandes originales, Thierry Jousse
EPA, novembre 2022, 288 pages

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