Parmi les 48 longs-métrages d’une carrière de réalisateur démarrée en 1966, Woody Allen a plus d’une fois fait une référence appuyée à son métier et/ou à son milieu professionnel. On ne compte plus les œuvres où ses protagonistes sont des comédiens, scénaristes ou metteurs en scène, et cette liste s’allonge encore si l’on étend le champ d’analyse aux autres arts dont l’homme aux lunettes noires est friand (musique, théâtre ou littérature)… Dans cette filmographie longue comme le bras, aux accents souvent autobiographiques, trois films nous semblent néanmoins traiter du cinéma et du métier de metteur en scène de manière nettement plus frontale. Trois longs-métrages, trois époques, trois styles bien différents. Mais plusieurs traits communs : le génie facétieux, l’humour irrésistible et la sensibilité romantique du maître new-yorkais.
Stardust Memories (1980) : le cinéma est plus simple que la vie
Dans la longue carrière de Woody Allen placée essentiellement sous le sceau de la comédie (quelle qu’en soit la forme), on trouve, à intervalles réguliers, des œuvres singulières, souvent très intéressantes, à travers lesquelles le cinéaste s’est laissé aller à des envies différentes. Lorsqu’on le résume par ses qualités de dialoguiste brillant, l’on oublie que derrière ce don indéniable d’Allen se cache, tout simplement, un grand metteur en scène. Pour s’en convaincre, un petit retour par les cases Intérieurs (1978), Hannah et ses sœurs (1986), Une autre femme (1988) ou les plus récents Match Point (2005) et Blue Jasmine (2013) devrait suffire amplement. Woody Allen, maître du drame ou du thriller ? Assurément !
Stardust Memories mérite naturellement sa place dans cette sélection d’œuvres insolites du réalisateur new-yorkais. Le film est un des plus inclassables, mais aussi un des plus ambitieux de son auteur, qui y incarne un personnage qui lui ressemble encore plus qu’à l’accoutumée : Sandy Bates, un metteur en scène célèbre et adulé qui traverse une crise existentielle. Sa participation à une rétrospective de son œuvre tenue dans l’hôtel Stardust sera, pour lui, l’occasion de faire une « rétrospective de sa vie ». L’écriture virtuose d’Allen opère des allers-retours incessants entre réalité, mise en abyme (les nombreux extraits des films de Bates), souvenirs, rêves et imaginaire. Ces alternances de styles, de registres, de tons et de temporalités sont effectuées sans transition ni introduction, mais au contraire dans une continuité fluide, comme si l’on pénétrait dans l’esprit encombré de l’artiste. Le principe du brassage est parfois poussé jusqu’à une confusion savamment orchestrée ; ainsi les spectateurs commentant les images d’un jeune garçon exécutant des tours de magie, sont en réalité les proches (certainement décédés) de Sandy Bates qui regardent les propres souvenirs du réalisateur en livrant à la caméra des anecdotes embarrassantes à son sujet. Tout cela n’est que le fruit de son imagination, un melting pot de souvenirs réarrangés.
Le film n’est pas qu’un exercice d’écriture vertigineux, c’est aussi une vraie réflexion sur la condition de l’artiste. La formidable séquence d’ouverture résume le projet à la fois esthétique et narratif du film. Dans un wagon de train, Sandy Bates se trouve au milieu de voyageurs mutiques et au visage fermé. Il jette un regard angoissé autour de lui alors qu’on entend le bruit d’une horloge invisible. Soudain apparaît à sa gauche un autre wagon, cette fois rempli de gens rieurs qui font la fête. Le joli noir et blanc de l’image (signé Gordon Willis) semble confirmer qu’il s’agit d’une scène onirique, mais soudain la bobine s’arrête, révélant au spectateur la mise en abyme : nous regardions simplement un extrait du dernier film de Sandy Bates. Pourtant, le doute ne nous quitte pas tout à fait. L’image en noir et blanc demeure et la suite du récit ressemble autant à un rêve que la scène introductive : un à un, une poignée d’individus vocifèrent leur détestation de la scène qu’ils viennent de voir et réclament que Bates revienne à la légèreté des comédies qui ont fait son succès. Un homme corpulent à grosses lunettes et nœud papillon souhaite même que l’on retire le film des mains du réalisateur pour en retourner des scènes et le remonter. Le même se demande de quoi le cinéaste peut bien souffrir pour se mettre à tourner des films aussi étranges, lui qui « possède le don le plus précieux qui soit, celui de faire rire ». Le thème de l’incompréhension entre le créateur et son public est permanent dans le film : Bates est sans cesse poursuivi par une horde de fans qui le pressent de renouer avec la comédie. Même les extraterrestres qu’il rencontre dans une de ses rêveries déclarent préférer ses premières réalisations !
Woody Allen a toujours nié la part autobiographique de Stardust Memories. Pourtant, nombre d’indices y renvoient inévitablement. En 1980, le cinéaste s’est en effet essayé pour la première fois, avec le sublime Intérieurs (1978), à un drame très éloigné des comédies loufoques de sa première partie de carrière. Tracer un parallèle avec le parcours de Sandy Bates est pour le moins tentant… Plus généralement, ce film condense toutes les obsessions de Woody Allen : le choix impossible entre trois femmes (l’instable Dorrie au spleen perpétuel (Charlotte Rampling), la jeune intellectuelle Daisy (Jessica Harper) et la chaleureuse et maternelle Isobel (Marie-Christine Barrault), que les désirs d’engagement de Sandy ennuient), la judaïté, les névroses, les retournements de situation irréalistes, la rêverie, les gags, le monde du spectacle, etc. Les images de l’enfant apprenti magicien, décrites plus haut, sont également une référence autobiographique évidente, Woody Allen ayant lui-même pratiqué avec talent la magie dans son enfance.
On retrouve dans le film deux autres sujets de prédilection du metteur en scène, qui se retrouveront notamment dans Hollywood Ending (lire plus bas). D’abord, les parasites qui essaiment autour de l’artiste : l’assistante incompétente, les agents, les assistants, la cuisinière inconsciente, etc. Ensuite, Allen se moque des prétentions intellectuelles, comme le montrent les différentes séquences de séances de questions-réponses avec des spectateurs, au cours de la rétrospective consacrée à Bates. Ceux-ci ont beau réclamer à cor et à cri le retour du cinéaste à ses débuts comiques, leurs questions sont elles-mêmes tristement sérieuses et ennuyeuses, et c’est Sandy Bates qui profite de ses réponses pour se lancer dans un véritable numéro de stand-up (là encore, difficile de ne pas y voir un clin d’œil autobiographique d’Allen).
Stardust Memories présente un point commun avec La rose pourpre du Caire : l’opposition constante entre les aspects tragiques ou pénibles de la vie (les pressions professionnelles, les attentes du public, les cadres du studio qui veulent modeler le cinéaste à leur guise) et la liberté de l’imagination (les souvenirs et les rêves qui irriguent son inspiration artistique). Ainsi, cette œuvre déroutante est une vision aigre-douce du métier d’artiste, une vie faite de contradictions, d’obsessions, de tiraillements, de succès et d’échecs. L’influence du cinéma européen y est évidente. Woody Allen cite le film comme un de ses préférés dans sa propre filmographie, aux côtés notamment de La Rose pourpre du Caire (un hasard ?). Il s’agit sans aucun doute d’un de ses projets les plus personnels, même si cet artiste modeste se cache avec toujours autant de pudeur derrière un humour irrésistible.
La Rose pourpre du Caire (1985) : le cinéma est plus beau que la vie
Une des œuvres les plus célèbres de Woody Allen, ce film est aussi un des plus personnels du metteur en scène, et celui où l’enchantement du cinéma est au cœur même du sujet. Influencé notamment par Sherlock Junior (Buster Keaton, 1924), Hellzapoppin (H.C. Potter, 1941) ou la pièce de théâtre Six personnages en quête d’auteur de Pirandello (1921), trois comédies s’amusant à faire interagir des créateurs avec les fruits de leur création, Allen va aller au bout de cette idée, avec la légèreté et l’espièglerie qui le caractérisent.
Dans un New Jersey de 1935 écrasé par la Grande Dépression, Cecilia (Mia Farrow) mène une vie malheureuse entre un emploi alimentaire de serveuse et un appartement miteux qu’elle partage avec Monk (Danny Aiello), son mari macho, caractériel et sans emploi (un nouvel exemple de couple on ne peut plus mal assorti à ajouter à une longue liste, chez Woody Allen !). A l’évidence, Cecilia s’accommode mal des affres de la réalité, a fortiori quand celle-ci prend la forme d’un quotidien aussi morose et d’un avenir bouché. Sa seule échappatoire est la salle de cinéma du quartier, dans laquelle elle s’engouffre aussi souvent que possible, quitte à revoir le même film cinq fois. C’est le cas de La Rose pourpre du Caire, une comédie bourgeoise de la RKO qui est à l’affiche, dans laquelle le personnage de Tom Baxter (Jeff Daniels) fait rêver la jeune femme, elle qui, une fois rentrée, retrouvera un époux aux antipodes de ce héros séduisant et candide. C’est alors qu’elle revoit le film pour la énième fois que Woody Allen « brise le quatrième mur » : Tom Baxter la remarque dans la salle et, sous le charme, sort de l’écran pour venir à sa rencontre. Le rêve ultime de tout amateur de cinéma !
Si Woody Allen ne joue pas lui-même dans tous ses films, ceux-ci contiennent très souvent un personnage qui lui ressemble. Dans La Rose pourpre du Caire, son alter ego est évidemment Cecilia, jouée par son épouse de l’époque. Cecilia est une rêveuse romantique, serveuse maladroite et naïve, dont le langage du corps et la manière de formuler ses répliques font immédiatement penser à Allen. Le cinéaste est un nostalgique qui s’assume. Le cadre du film renvoie ainsi à son enfance dans les années 30 : l’âge d’or d’Hollywood, le jazz et le cinéma. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si 1935 est précisément l’année de naissance du metteur en scène. Le film transforme en réalité ses rêveries de jeune garçon, et cet aspect autobiographique se retrouve jusque dans les choix de décors : Allen parvint notamment à tourner au Kent Theater de Brooklyn, dans le quartier de Midwood où il a grandi.
La Rose pourpre du Caire n’est pas le film le plus drôle d’Allen, loin s’en faut. Les saillies hilarantes du dialoguiste génial laissent ici la place à la rêverie de l’incorrigible romantique. La scène de danse entre Cecilia et Tom est très révélatrice : alors que la jeune femme lui décrit son époque (la pauvreté, le chômage, la Grande Guerre qui s’est achevée) et les épreuves de la vie (la vieillesse, la maladie, les gens qui ne trouvent jamais le véritable amour), son drôle d’amoureux transi lui réplique que, là d’où il vient, les gens ne déçoivent jamais… Ce regard désabusé sur l’absurdité de la vie humaine, l’échappatoire du cinéma, qui permet de vivre l’existence dont on rêve : c’est du Woody Allen pur jus.
Il y a au cœur de ce récit simple et touchant, l’idée que, si le cinéma permet d’oublier la réalité, c’est parce qu’il est plus beau qu’elle. Lorsque Cecilia choisit en fin de compte son amour pour Gil Shepherd (Jeff Daniels, également), l’acteur qui incarne Tom Baxter à l’écran, accouru dans le New Jersey par crainte que la folle aventure de son personnage ne nuise à sa carrière prometteuse, notre héroïne fait explicitement le choix de la réalité. Avant de faire ce choix fatidique, la frontière était brouillée puisqu’avec Gil, Cecilia a vécu un début de romance purement cinématographique, qui n’existe pas dans « la vraie vie », avec même un épisode de pure comédie musicale dans un magasin d’instruments de musique (Gil entonne « Alabamy Bound », qui fut chanté par Al Jolson dans le musical de Broadway Kid Boots en 1923, et au cinéma dans un film du même nom avec Eddie Cantor, en 1926). La confusion entre les deux mondes culmine lorsque Tom fait franchir à Cecilia le « quatrième mur » dans le sens inverse, et le duo de se retrouver dans un monde magique en noir et blanc (précisons ici que le chef opérateur sur le film est à nouveau le grand Gordon Willis). Dans ce monde de tous les possibles, Tom peut réaliser ce qui ne fonctionnait pas dans celui de Cecilia, qu’il s’agisse de payer au restaurant avec des faux billets ou attendre le fondu au noir lorsqu’il embrasse la jeune femme. Alors, entre les deux romances, quelle est la vraie histoire d’amour ?
Pour Woody Allen, la réponse est simple : Cecilia scelle son sort en privilégiant la réalité à ses fantasmes. Tom l’aimait sincèrement, alors que Gil est un acteur vain obsédé par la reconnaissance, qui confond amour et flatterie. Lorsqu’elle plaque tout (boulot et mariage) pour le retrouver devant le cinéma, l’acteur est déjà dans un avion qui l’emmène bien loin de la misère des gens ordinaires… Alors, Woody Allen nous offre une dernière scène somptueuse. Dépitée, ayant tout perdu, Cecilia entre dans la salle de cinéma où est joué Top Hat (1935). Devant la grâce de Fred Astaire et Ginger Rogers dansant sur la chanson « Cheek to Cheek », la caméra en gros plan saisit le visage de Mia Farrow qui, d’une peine sentimentale déchirante, s’illumine doucement d’un sourire enchanteur.
Lorsque tous nos rêves ont été trahis, le cinéma est toujours capable d’en faire naître de nouveaux.
Hollywood Ending (2002) : le cinéma est plus drôle que la vie
Dix-sept ans plus tard, Woody Allen replace le cinéma au centre d’un récit, mais son approche est ici radicalement différente. Là où La Rose pourpre du Caire était consacrée à l’effet enchanteur qu’il produit sur le spectateur, à son aspect créatif et « magique », Hollywood Ending est une métafiction parodique sur les coulisses du cinéma. Par le truchement des hommes et des femmes qui, ensemble, « fabriquent » les films, Allen partage son regard moqueur, éminemment drôle, sur la face matérialiste de l’usine à rêves.
Val Waxman (ce nom !), incarné par Allen, une ancienne gloire névrosée désormais réduite à tourner des publicités pour la télévision (au début du film, il en tourne une pour un déodorant dans le blizzard canadien), se voit proposer un dernier ticket pour la gloire par son ex-femme Ellie (Téa Leoni). Celle-ci convainc en effet son nouveau compagnon Hal (Treat Williams), un gros bonnet hollywoodien, de confier la réalisation de son nouveau blockbuster à gros budget à Val. Peu inspiré par ce « rival » amoureux qui traîne une réputation de personnalité ingérable, Hal accepte du bout des lèvres pour faire plaisir à sa compagne à qui il a confié la responsabilité du projet, et qu’il compte proposer en mariage. Val, quant à lui, n’est guère plus enthousiaste de travailler avec son ex-épouse et cet homme qu’il exècre mais, désespéré, il n’a d’autre choix que d’agripper cette perche inespérée qui lui est tendue.
Hollywood Ending est pour ainsi dire le seul film de Woody Allen où il dézingue avec autant de plaisir jouissif le microcosme hollywoodien, bien éloigné, il est vrai, de son univers créatif… L’histoire commence d’ailleurs par une parodie hilarante d’une réunion de production, suivie d’une scène où Hal, installé au bord de sa piscine, trouve « très malin » une idée débile lue dans un script pour teenage movie. Le duo de producteurs masculins est gratiné, entre le mâle dominant qui croit tout savoir (Hal) et le vieux beau trop bronzé qui ne sert à rien sauf à contrôler le respect du budget sur le plateau (Ed/George Hamilton). Entre Val Waxman et ces deux pontes du « business », le dialogue semble impossible. Lors de leur première rencontre, Val, qui est de la vieille école, n’a aucune idée de ce que ses interlocuteurs veulent dire par « démographie » ou « public visé ». A l’inverse, ses idées arty (film en noir et blanc – clin d’œil à Manhattan lorsque Waxman parle de New York comme « une ville en noir et blanc » –, bande originale de Cole Porter) sont rejetées : nous avons affaire à deux mondes et deux époques inconciliables. L’art n’a que peu de place dans cet univers de financiers, de parvenus et de parasites, cette « usine à gaz » où le seul langage que l’on maîtrise est celui des analyses de marché et des estimations budgétaires, à tel point que personne ne remarque que, frappé de cécité psychosomatique, Val dirige le film aveugle comme une taupe depuis le premier jour ! Une autre critique vise les journalistes invités sur les plateaux de tournage, vautours manipulateurs et plus intéressés par les ragots que par les secrets de tournage.
Contrairement à La Rose pourpre du Caire, Hollywood Ending est une vraie comédie dans laquelle le roi de la répartie fait mouche presque à chaque scène. Quelques one liners désopilants qu’on ne résiste pas à citer, juste pour le plaisir : (en parlant de la collection de old timers de Hal) « Si moi je conduisais une Mercedes de 1939, les gens me prendraient pour Himmler » ; (à propos du directeur photo chinois que Val veut engager sur son film) « Il a fait des choses fantastiques, surtout pour l’Armée rouge » ; (concernant un acteur atteint d’une tumeur cérébrale) « Il est devenu aveugle. Et après quelques mois, il est mort, ce qui est pire car tu as moins d’options. » ; « Je n’autorise pas quelqu’un qui a un herboriste à voir mes rushes ! » ; « L’inertie représente deux tiers des mariages en Amérique », etc. etc. Malgré la durée inhabituelle (près de deux heures) pour un film du cinéaste, on se bidonne toutes les cinq minutes.
La critique distillée avec talent fait d’autant plus mouche que, comme il en a l’heureuse habitude, Woody Allen ne se prend guère au sérieux et ne rate pas l’occasion pour s’attaquer également aux intellectuels. Lors d’une petite fête chez Val et sa starlette décérébrée Lori (Debra Messing / premier couple improbable du film), le metteur en scène se moque ouvertement des cinéphiles prétentieux. Waxman qualifie Les Enchaînés de chef-d’œuvre… car il déteste la fin (il pense toujours que les Allemands vont attraper Cary Grant et Ingrid Bergman !). Lorsqu’un invité assène que Hitchcock était un artiste qui faisait des films commerciaux, Waxman réplique « tu dis ça comme si c’était une qualité ! ». Une autre invitée poursuit en affirmant qu’un artiste qui rejette l’attrait commercial de ses œuvres est un narcissique qui pratique de la masturbation intellectuelle, ce qui incite Waxman à défendre la masturbation ! Il faut ensuite voir Waxman s’entourer de collaborateurs impossibles sur le plateau, d’un directeur photo chinois qui ne parle pas l’anglais à un chef décorateur voulant reconstituer Central Park alors qu’on tourne à New York, en passant par sa propre poule écervelée qu’il pistonne maladroitement. Enfin, la cécité temporaire de Waxman passe inaperçue car, tout autour de lui, les observateurs qui régurgitent des références et formules toutes faites (la journaliste invitée sur le plateau se demande s’il n’est pas un de ces génies qui se sentent à l’aise dans le chaos, « comme Fellini » !) n’y connaissent en réalité strictement rien.
La conclusion du film est très drôle. Val a retrouvé la vue mais le film est parfaitement incohérent et est rejeté partout par le public et la critique. Partout, sauf… en France, où il est considéré comme un des cinquante meilleurs films américains et où Waxman est qualifié de génie ! Le metteur en scène s’écrie alors « Dieu merci, il y a les Français ! » et part s’installer à Paris avec Ellie, son amour retrouvé (encore un couple totalement improbable). Un clin d’œil humoristique au cinéma d’auteur français, certes, mais aussi et surtout une nouvelle occasion pour Woody Allen de se moquer de lui-même. Après tout, ce cinéaste plus européen qu’américain n’a-t-il pas cité dans ses dix meilleurs films de tous les temps (Sight & Sound, 2012) La Grande Illusion, Les Quatre Cents Coups et Le Charme discret de la bourgeoisie ? Même quand il ridiculise ce cinéma hollywoodien aux antipodes de son univers, notre homme ne se prend jamais au sérieux. Ce n’est pas la moindre de ses qualités.