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La plage au cinéma : Les Dents de la mer, Les Plages d’Agnès, La Dolce Vita…

Alors que chacun reprend sa routine quotidienne avec cette rentrée 2020, l’odeur de vacances n’est pas encore si lointaine. Encore grisée par le soleil, la rédaction du Magduciné liste quelques films où le lieu qu’est la plage prend alors toute son importance.

Moonrise Kingdom de Wes Anderson

Sur une plage qui ne ressemble pas aux paradis habituels, deux enfants improvisent une danse. La chanson est en français pourtant nous sommes chez Wes Anderson. La gamine a improvisé en plus de la danse des boucles d’oreilles insectes alors que son partenaire est toujours coiffé de son inimitable couvre-chef d’aventurier. Toute la fantaisie de cette histoire d’amour, d’enfance et de fuite se lit dans cette scène en apparence galvaudée. Sauf qu’ici les deux enfants se cherchent des conventions qu’ils ont pourtant brisées auparavant. Ainsi, la plage n’est plus le synonyme du farniente mais bien de la liberté, celle de décider d’être à deux et d’attendre un peu plus tard pour rejoindre le morne monde des adultes.

Chloé Margueritte

Les Dents de la mer de Steven Spielberg

Aujourd’hui encore, lorsque l’on va prendre un bon bain de mer sur la plage, il est difficile de ne pas penser à l’attaque du requin géant et monstrueux des Dents de la mer. Le scène commence par une ordinaire journée de baignade en famille. Martin Brody, le chef de la police locale, reste cependant sur ses gardes. En effet, après la découverte macabre du corps d’une jeune femme quelques jours plus tôt, il craint la présence d’un requin sur le bord de mer. Même s’il a officiellement conclu, sur l’avis du médecin légiste de l’île et sous la pression du conseil municipal, à une mort accidentelle, il sent que le danger rôde et surveille étroitement les baigneurs, pensant voir surgir le dangereux squale à chaque instant. La tension s’accroît progressivement grâce à la musique oppressante de John Williams, jusqu’à ce qu’un enfant, nageant sur un matelas gonflable, soit happé par l’énorme requin. Le sang finit par alerter les baigneurs, qui sortent paniqués de la mer hostile. Cette scène dramatique, qui marque la deuxième apparition du monstre, constitue le véritable tournant du film. L’existence du requin, confirmée par de nombreux témoins, ne peut plus être contestée. De plus, cette scène souligne tragiquement l’inertie du pouvoir municipal, qui a choisi de privilégier l’activité touristique de l’île aux dépens de la sécurité des vacanciers, en refusant d’interdire la baignade sur la plage. Elle sonne ainsi le lancement de la chasse au requin par un conseil municipal soucieux de préserver sa réputation et de maintenir la prochaine fête nationale américaine.

Ariane Laure 

Dunkerque de Christopher Nolan

Christopher Nolan transforme la très agréable plage de Dunkerque en terrain miné, où la mort guette derrière chaque monticule de sable. La musique millimétrée d’Hans Zimmer donne le ton angoissant et sans relâche de ce long-métrage qui a déçu beaucoup de spectateurs français, tant on a l’impression que les personnages sont exclusivement britanniques, sur un territoire français où beaucoup de nos aïeux se sont battus. Soit, passons sur le fait que Dunkerque soit un film pensé pour le public britannico-américain (comme Nolan) et concentrons-nous sur ce que le réalisateur nous dit de ce lieu.
Ceux qui connaissent la plage de Dunkerque auront l’impression d’être plongés dans un nouveau monde : l’ambiance qui règne dans Dunkerque (le film) est apocalyptique. Les Anglais essaient de fuir la ville et la plage, mais chaque tentative est contrée par l’armée allemande dont le slogan pourrait se résumer à « Pas de quartier ». L’image est donc bien différente du front de mer habituel qui borde Dunkerque et continue jusqu’en Belgique, sous le regard des belles demeures anciennes, mais surtout des cabines de plage et des glaciers.
En cela, Christopher Nolan touche au but de son film : rappeler l’Histoire, nous remettre en mémoire ce qui a eu lieu. La plage de Dunkerque n’est qu’un exemple : en Europe, beaucoup de nos lieux aujourd’hui paisibles ont été le théâtre des massacres de la guerre. Mais cela, les Dunkerquois s’en souvenaient : des blockhaus construits par les Nazis sont toujours visibles sur les plages du Nord.

Sarah Anthony 

La Dolce Vita de Federico Fellini

Fellini et la plage, c’est une longue histoire d’amour, mais surtout d’amertume. Que ce soit dans La Strada, Les Vitelloni ou encore Huit et Demi, la plage a toujours un rôle de miroir pour les personnages principaux, souvent en bout de course et faisant face à une frontière naturelle qui leur renvoie le reflet de leur échec. Dans La Dolce Vita, le personnage incarné par Marcello Mastroianni finit son errance nocturne dans la ville sur une plage encore quasiment déserte : la soirée a battu son plein, la fatigue se fait sentir, et à mesure que le soleil pointe le bout de son nez, les artifices de la nuit s’évanouissent. Le désœuvrement et la crise existentielle atteignent leur paroxysme, mais pas où l’on pouvait l’attendre : non pas dans la débauche de la nuit, mais dans l’intimité du bord de mer, où le bruit des vagues couvre tout dialogue, histoire de symboliser un peu plus la perte de sens généralisée. Le plan final, sur cette jeune fille à qui Mastroianni lance un regard d’incompréhension, et qui elle aussi, comme toutes les autres, « passait par là », achève ce chef-d’œuvre de Fellini où tout est aussi fragile qu’un grain de sable, où chaque relation est comme une vague, remplacée par la suivante, et où le retour à la nature n’est pas le signe d’une libération, mais la constatation d’un nouvel échec.

Jules Chambry

Eternal Sunshine of Spotless Mind de Michel Gondry

Rarement le mois de février évoque la plage. C’est pourtant le cas dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, film cultissime de Michel Gondry, sortie en 2004. Le film s’ouvre sur une des plages de Montauk, dans l’état de New-York, une plage de Février couverte de neige et triste et déprimant comme Joel, le protagoniste immortalisé merveilleusement par Jim Carrey. Le film est d’une inventivité folle et déconstruit le temps et l’espace jusqu’à l’étourdissement. Après une relation passionnelle qui se termine dans les larmes, Joel et Clementine (une Kate Winslet comme plus jamais on n’aura l’occasion de la voir) prennent tour à tour la décision, grâce à des scientifiques fous, de gommer le souvenir de l’autre de leur mémoire. La majeure partie du film se passera dans la tête de Joel qui, au beau milieu du processus, réalise qu’il ne souhaite plus cet effacement. Le film montre les souvenirs que les scientifiques effacent un à un du plus récent (les plus moches) au plus vieux (le temps de la rencontre, le temps de l’amour). Parmi ces souvenirs, certains, très marquants, se passent à la plage.
Ils sont les plus émouvants, correspondant au moment très joyeux de la rencontre, mais très compliqué aussi, car Joel a très peu d’aptitude dans les relations socio-amoureuses. Ils sont également les plus drôles et les plus inventifs, comme cette scène où, se cachant des effaceurs fous, Joel, accompagné de Clementine, se réfugie dans un coin obscur de sa tête, un moment gênant où l’adolescent qu’il était fut surpris par sa mère dans une activité solitaire. Tout d’un coup, le lit de son adolescence est propulsé sur la plage de Montauk, glissant dans la neige, joyeusement mais dangereusement, car le mettant à nouveau à découvert vis-à-vis des fous furieux de la société Lacona.
La plage, c’est le bonheur, la vie, l’amour. A contrario, le Kang, un restaurant chinois, sera le théâtre de scènes conjugales où l’ennui commence à poindre. Le marché aux puces sera le témoin de l’indécision de Joel (« j’ai envie d’avoir un bébé », lui dira-t-elle ; « on en reparlera un autre jour », répondra-t-il). Il est alors normal que le spectateur, quand il repense à ce film merveilleux, ait immédiatement cette plage de Montauk en tête. Comme Clémentine à Joel, on aimerait aussi que quelqu’un nous dise aussi « Meet me in Montauk » pour faire et refaire encore la plus romantique, la plus folle, et la plus improbable des histoires d’amour, et plus que ça encore…

Béatrice Delesalle

Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg

Depuis 1945 énormément de bottes de yankees sont déjà passées par un endroit sablonneux, qu’un Ryan parmi les prochains troufions s’apprête à chevaucher en sortant des barges de débarquement. Mais, 43 ans plus tard, l’homme qu’il fallait sauver s’efface longtemps derrière une œuvre collective teintée de la bravoure la plus terreuse des westerns. Sur la plage, les corps se démantibulent, suintent et pissent le sang. Les noyés ne meurent pas comme des anges, les plages sont percées de mines, de shrapnels et de tout ce qui peut rentrer dans un corps. De grands yeux s’ouvrent, sur tous les visages : la guerre tue, on le savait ; la guerre tue méchamment, c’était moins évident avant ce choc de 1998. Sur les plages de Normandie, une pudeur polie s’était déposée, patinant le film de guerre le plus noble parmi tous : le débarquement de héros contre une armée allemande fatiguée d’être encore aux mains de l’obscurantisme nazi. Soufflée, la pudeur : une nouvelle génération de soldats cinéphiles est dans les rangs, qui n’a connu ni les combats, ni le besoin de les styliser pour éviter en salles de revivre la pure horreur qui transperce l’écran : pour eux, sur ces plages, l’enfer. Des médecins qui soignent des cadavres en sursis, des grands durs qui pleurent, des viscères au poing : un capharnaüm invraisemblable qui donne corps, enfin, aux récits les plus crépusculaires des derniers témoins, qu’on appelait papi ou grand-mère. Sur une plage, Omaha, la plus meurtrière, le cinéma de la Seconde Guerre mondiale relâche d’un coup une douleur tue depuis trop longtemps, remise dans les mains d’un Spielberg aussi malin que virtuose, récupérant le fardeau pour le tourner en un pur chef-d’œuvre de l’histoire du 7ème art. Passée la plage, il faut sauver le soldat Ryan, car ce film porte un titre après avoir porté un grand coup.

Romaric Jouan 

Les Plages d’Agnès d’Agnès Varda

« Sur la plage de Noirmoutier, quand j’ai réalisé que d’autres plages avaient marqué ma vie. Les plages sont devenues prétextes et chapitres naturels du film ».
C’est ainsi que s’exprime la réalisatrice Agnès Varda à propos de son film, Les Plages d’Agnès. En fermant les yeux, on peut encore la voir juchée sur un grand siège de cinéaste, qui est aussi un siège de maître nageur, sur une plage, remplie de ses souvenirs. Telle une peintre, elle dessine un autoportrait dont le décor pourrait être mille plages dont on se souvient, mais le cinéma entre soudain car on entend le bruit du ressac, les vagues qui viennent mourir à nos pieds… La plage devient avec Varda souvenir et mouvement, un va-et-vient en somme dans un univers foisonnant et passionnant. De quoi décourager de simplement rester sur sa serviette à rêvasser au soleil. La plage s’invitera d’ailleurs bientôt dans ce film dans un endroit inattendu, la fameuse rue Daguerre qui devient pour un temps au moins un nouveau Paris Plage, mais à la Varda.

Chloé Margueritte