Interview, Marcel Sel : « Avec Elise, j’ai poussé plusieurs principes narratifs utilisés dans Rosa un pont plus loin »

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

À l’occasion de la sortie prochaine de son second roman intitulé Elise, Le Mag du Ciné a organisé un long entretien avec l’auteur et essayiste belge Marcel Sel. Au programme : les parallélismes entre Elise et Rosa, son précédent roman ; quelques indications sur ses méthodes de travail ; la manière de transposer dans une œuvre de fiction ce qui a fait l’étoffe des totalitarismes…

Comment résumerais-tu Elise en quelques phrases ?
Oh ! J’ai bien du mal à le faire, parce que, comme pour Rosa, c’est un roman à entrées multiples. Je suis plus à l’aise pour raconter comment je l’ai construit. Il y a d’abord le décor principal, un village dans l’Allemagne nazie pendant la guerre. Mais un village particulier, puisque c’est celui qui jouxte le QG d’Hitler, la Tanière du Loup où, le 22 juillet 1944, Claus von Stauffenberg a posé la bombe qui a failli coûter la vie au Führer.
Il y a un décor secondaire, en surimpression, l’Allemagne et la Pologne communiste des années quatre-vingt, soit quatre ans avant la chute du mur de Berlin.
Là-dessus se greffe la tragédie. La violence hallucinante des troupes soviétiques envers les civils prussiens, qui entraînera un exode massif épouvantable, et les viols systématiques des femmes allemandes.
Il y a le récit, qui est en quatrième de couverture. Comme dans Rosa, j’ai déstructuré la chronologie et j’en ai fait un origami. Quand on le déplie, on a l’histoire parallèle d’une jeune Allemande qui vit, jusque dans sa chair, la chute progressive du nazisme. Et celle d’un prisonnier français qui, pour avoir vécu cinq ans avec les Allemands, se surprend à les apprécier. Y compris un curieux cocher nazi jusqu’au bout des ongles qui tend le bras à tout bout de champ. Après l’exécution de la jeune allemande, et son ultime cri « Heil Hitler », François [le jeune prisonnier français susmentionné, ndlr] refait sa vie avec une rescapée des camps. Mais sans parvenir à oublier son premier amour.
En filigrane de tout ça, il y a deux thèmes principaux : la question de la patrie, de ce qu’elle peut signifier pour chacun, et de sa disparition. Et, bien sûr, la condition des femmes allemandes avant, pendant et après la guerre.

Tant Rosa, ton premier roman, qu’Elise, le second, s’appuient sur des personnages féminins forts. L’un comme l’autre mettent par ailleurs à nu les totalitarismes de la première moitié du XXe siècle. Pourquoi ces choix ?
D’abord, parce que les femmes doivent en faire beaucoup plus pour être simplement remarquées, aujourd’hui encore. À cette époque, c’était encore bien pire. La simple ambition de ne pas être mère de famille soumise aux caprices du mari leur imposait des prodiges de résistance, des efforts « sur-hommains », on va dire. C’est ce qui a forgé des Weil, des Beauvoir, des Thatcher. Toutes ces femmes étaient tenues de développer une force colossale pour se hisser à égalité des hommes. Tout en étant aussi des mères et des amantes. Cantonnées par les mâles au rôle de « sexe faible », elles se sont adaptées et ont en fait conquis le statut de sexe fort. Donc, une héroïne est toujours plus complexe, plus subtile, plus intéressante qu’un héros.
De plus, j’ai toujours vécu entouré de plus de femmes que d’hommes et, comme tous les garçons, je me suis cherché un modèle masculin parmi eux. Je me suis rendu compte très tard que « modèle » et « masculin » était un oxymore dans cette génération (rires).
La deuxième guerre, imposée par les totalitaires, est la dernière époque où nos sociétés ont souffert globalement. Et épouvantablement. Dans ce cadre de guerre et de menace permanente sur la survie de chacun, les personnages sont confrontés à des bouleversements que nous n’avons pas connus et que, j’espère, nos enfants ne connaîtront pas. C’est pourquoi on continue, heureusement, à tant écrire sur cette époque. Mais de façon encore très manichéenne. On a oublié qu’au sein même de ces totalitarismes, les opinions étaient aussi diverses qu’elles peuvent l’être aujourd’hui, mais ne pouvaient s’exprimer publiquement. Aujourd’hui, où on crie au facho ou au nazi pour un oui ou pour un non, je pense indispensable de rappeler à quoi ces mots correspondaient vraiment, quand certains présentent par exemple Macron comme un dictateur sanguinaire. Avec toujours la même obsession : qu’on puisse reconnaître les vraies menaces quand elles réapparaîtront.

J’avais pointé la mémoire comme l’un des motifs structurants de Rosa. Peut-on arguer qu’Elise va encore plus loin dans cette direction ?
On peut. En fait, les deux romans constituent un diptyque à plusieurs égards. Avec Elise, j’ai poussé plusieurs principes narratifs que j’avais utilisés dans Rosa un pont plus loin. La chronologie, l’opposition de deux personnages (et cette fois, il y a deux narrateurs), le rapport confus entre le présent et le passé, la mémoire (pour laquelle j’utilise souvent le présent)… Mais contrairement à Rosa, ici, je confronte deux mémoires, celle de François et celle d’Elise, à travers la narratrice mystère. Et effectivement, j’ai poussé le thème de mémoire plus loin encore, puisqu’un des personnages est totalement amnésique. Pour ce personnage, la « patrie perdue » est l’absence de l’idée même de « patrie ». L’atrocité l’a amputée de toute mémoire.

Au détour de l’une ou l’autre action, par le truchement d’un dialogue ou d’une description, beaucoup de thèmes secondaires viennent s’enchâsser dans le récit d’Elise : le statut des femmes sous le nazisme, la bureaucratie communiste, les jeunesses hitlériennes, la Convention de Genève, Karl Marx, Stalingrad… Comment travailles-tu ces éléments sous-jacents ? Accompagnent-ils spontanément ton récit ou sont-ils prédéterminés et insérés en cours d’écriture ?
Un peu des deux, en fait. J’avais plusieurs fils en main au moment de commencer. Il y avait mon envie de raconter un village dans l’Allemagne nazie. Il y a ensuite eu deux phrases de la goûteuse présumée d’Hitler, Margot Woelk, dont l’histoire est parue dans plusieurs journaux allemands. La première phrase faisait état de plats délicieux, de choses qu’elles n’avaient jamais mangé, mais en même temps, du risque mortel à les goûter. J’avais là une allégorie de la séduction politique.
La deuxième phrase, c’est quand on a demandé à Margot Woelk ce qu’étaient devenues les quatorze autre goûteuses dont elle parlait. « Elles ont été exécutées par les Russes », a-t-elle répondu. L’histoire de Margot ne m’intéressait pas en soi — elle l’avait déjà racontée et la romancière italienne Rosella Postorino en a fait un roman. Par contre, l’histoire de ses consœurs était « vierge » et permettait d’évoquer le paroxysme de la chute du Reich, à travers des portraits de femmes. Mais ce qui est un thème central chez Postorino est en fait anecdotique chez moi. Un révélateur.
Pour le reste, même s’il y a une forte dimension symbolique (comme dans Rosa), je voulais être le plus réaliste possible. J’ai donc fait un travail de recherche tous azimuts. J’ai cherché à savoir ce qu’ils mangeaient le matin, j’ai récolté des anecdotes banales, j’ai approfondi mes maigres connaissances sur le statut des femmes (dont j’ai découvert qu’il était encore pire que ce que j’imaginais). De même pour les prisonniers français, dont j’ai lu des dizaines de témoignages, souvent révélés par leurs enfants sur des blogs dédiés.
L’histoire de la convention de Genève est partie d’une anecdote lue dans un témoignage de prisonnier. Je l’ai traitée sur le ton de l’humour. Pour Stalingrad, j’étais bien obligé d’en parler, c’était le second tournant de la guerre (le premier était l’échec du Reich devant Moscou, qui prouvait que l’armée allemande pouvait être défaite). Le fils de la « vraie » Ellinor a d’ailleurs lui-même raconté l’histoire des généraux suppliant Hitler de faire sortir la 6ème armée de Stalingrad dans un documentaire sur la bataille… Je pouvais difficilement y échapper.

Pourquoi avoir dressé un parallèle avec le communisme ?
Je tenais à brosser un portrait complet de l’Allemagne dictatoriale. Les citoyens de RDA n’ont connu que la dictature de 1933 à 1989. Aujourd’hui, certains ont tendance à mettre le Reich et la RDA sur le même plan. D’autres cherchent à excuser le communisme d’État. Avant mes recherches, j’étais en mode questionnement. Y a-t-il réellement un rapport entre les deux régimes et si oui, lequel ? J’ai visionné des dizaines de documentaires sur la vie dans la RDA, et c’est là que j’ai découvert le thème des bananes. Pareil pour la censure des romans à l’eau de rose. Finalement, j’ai établi la différence que je percevais dans un paragraphe.

Les thèmes secondaires sont imposés par l’Histoire, donc ?
Exactement. Et souvent à contre-courant de ce que j’imaginais au départ. Par exemple, après Rosa, je m’étais dit que j’allais très peu aborder la thématique de la persécution des Juifs dans Elise, que je me focaliserais sur le sort des Allemand(e)s. Je savais qu’en Mazurie, les Juifs n’étaient pas si nombreux et que je pourrais donc me concentrer sur le mal qu’Hitler a fait à ce qu’il estimait être « son peuple supérieur » (ce qui est le comble du nationalisme, et la preuve qu’il n’est que nocif). Je n’avais pas tort, au fond : les Juifs étaient moins de 200 à Rastenburg avant le nazisme. Mais en lisant les discours hitlériens et les témoignages de jeunes Allemand-e-s de l’époque, en découvrant que même là où il y avait très peu de Juifs, la nuit de Cristal fut un événement majeur (la synagogue de Rastenburg a été entièrement détruite), je me suis rendu compte que l’antisémitisme était paroxystique et omniprésent du début à la fin du nazisme, partout, tout le temps, même dans des campagnes où il n’y avait plus de Juifs depuis des années, et où il n’y en avait même jamais eu !
Et puis, la seule date possible pour le viol collectif des goûteuses et leur exécution, c’est le 27 janvier 1945, soit la date précise de la libération d’Auschwitz !

Rudi, un jeune personnage d’Elise, « la tête remplie des obsessions de la Hitlerjugend », en vient à écorner ses relations mère/fils en raison de son dogmatisme nazi. Jusqu’à quel point les cellules familiales peuvent-elles être contaminées par les idéologies totalisantes ? Au-delà de cet exemple, comment le traduis-tu dans tes deux romans ?
Les deux romans observent en fait la même chose : l’impossibilité de se réclamer publiquement d’une (autre) idéologie là où règne le totalitarisme et même de s’en réclamer en privé. Hormis les politisés, la plupart des citoyens ne pouvaient même pas imaginer se rebeller contre le fascisme en Italie ou le nazisme en Allemagne, parce qu’ils étaient amputés de tout esprit critique dès leur plus jeune âge. Après huit ans de nazisme, des adultes qui n’auraient jamais voté Hitler en 32 ou 33 ont fini par croire que ce qu’il faisait était tout de même positif, au fond — tout cela grâce à la propagande. L’un de mes témoins a demandé à son père après la guerre pourquoi il avait pris une carte du parti. Il lui a répondu : « On a compris que ce type était là pour un bon moment. J’étais commerçant, j’ai pris la carte pour ne pas avoir de problèmes. » 
Je voulais aussi contrer l’idée qu’on « sent » qu’on vit dans un État totalitaire. C’est faux, et tout est fait à cette fin : les journaux publiaient bien quelques articles un peu critiques, mais dans la mesure autorisée. Il y avait des feuilletons, des recettes de cuisine, des conseils ménagers banals, des critiques de spectacles, des petites annonces et de l’humour… Ça donnait aux lecteurs l’impression d’un business as usual.
Aussi, bien avant de commencer à écrire, j’avais été frappé par des reportages français en Allemagne en 1938, dans l’Illustration. J’avais découvert qu’énormément d’Allemands reconnaissaient la remise en marche de l’économie, le progrès, et le retour de la fierté. Pour beaucoup de citoyens, la relation à la politique se limite à leur propre bien-être.
En fait, Hitler a réellement su gagner le cœur de beaucoup de ses citoyens dubitatifs en leur offrant un « storytelling » qui convenait au romantisme allemand, et un progrès sensible. Mais il a soigneusement caché le prix payé à l’humanité pour obtenir une telle avancée économique : le spoliation des biens juifs, en particulier, l’esclavage et la mise à mort. Les invasions étaient toutes présentées comme une nécessité vitale, suite à une agression étrangère. Vers 1942-1943, cette dette a commencé à être payée par les Allemands eux-mêmes, qui ont vu de plus en plus de proches périr, l’aventure en URSS déclinait, et le doute a commencé à s’étendre, y compris chez des Hitlériens de convenance ou même de conviction. Mais les fanatiques le sont restés jusqu’au dernier moment, et certains, même après sa mort.

Et pour les familles ?
Elles étaient comme aujourd’hui : certaines soudées autour du Führer, d’autres à l’opposé, mixtes. Des enfants ont réellement dénoncé leurs parents. Ce qui m’a le plus choqué était de découvrir à quel point ces enfants étaient manipulés dès leur plus jeune âge. J’ai trouvé des témoignages expliquant que dès la première primaire, ne pas faire le salut hitlérien avec conviction était puni par des instituteurs eux-mêmes fanatiques. La délation, y compris des parents, était encouragée. Ça créait évidemment des déchirures familiales. Sans compter les comptines d’une violence épouvantable qu’on leur apprenait à l’école. Les enfants ont été vus comme le capital humain du nazisme, qui allaient constituer un peuple formidable. De ce fait, les nazis ont littéralement sacrifié leurs propres enfants et leurs adolescents, en commençant par les priver de tout esprit critique. Et en finissant par les envoyer, dès 14-15 ans, à la boucherie. C’est pour ça qu’il me fallait un membre de la jeunesse hitlérienne : pour montrer à quel point on les formait à aimer tuer ! C’est juste épouvantable.

Le philologue Victor Klemperer a longtemps étudié le langage nazi. T’es-tu inspiré de ses travaux pour les dialogues d’Elise ?
Non, pas du tout. Je voulais des dialogues vivants, surtout pas une approche « technique » ou philosophique. J’ai donc écrit avec beaucoup de spontanéité, mais après avoir regardé des films de l’époque, lu des témoignages de survivants, des bouts de feuilletons diffusés dans les journaux, etc. J’ai recherché l’anecdotique aussi, comme l’expression « Hitlerwetter » (une météo hitlérienne) qui signifiait qu’il allait faire très beau. Le totalitarisme jusque dans la météo !
L’histoire de Kurt Mey tancé pour défaitisme par le préfet de son arrondissement est authentique. J’avais imaginé quelque chose de similaire, mais quand je suis tombé sur cette histoire, je me suis dit que la réalité dépassait tout ce qu’on peut imaginer aujourd’hui. Il y a aussi l’incroyable livre Ich die Alte, ich die Junge (Moi âgée, moi jeune), de Lore Walb, une journaliste qui s’est confrontée à son journal de jeune fille à l’époque du nazisme. Où elle ne parvient pas à reconnaître cette adolescente qui admirait Hitler et avait adopté le langage du régime. Elle a fait appel à des psychiatre pour tenter de comprendre comment elle a pu être cette jeune fille-là.
Et puis, pour faire parler les SS, j’ai utilisé les souvenirs de mes oncles, qui se résument très bien en une seule phrase : « Ces gens étaient d’une arrogance incroyable. »

Dans quelle mesure ces dialogues ont-ils été pensés pour incarner l’idéologie nationale-socialiste et ses schèmes simplificateurs ?
Je me suis mis tout ça dans la tête avant de commencer. Et comme j’ai continué à approfondir le sujet ensuite, j’ai continué à m’alimenter. Ainsi, la biographie de Stauffenberg, que j’ai lue en Allemand, donne une bonne idée du langage utilisé par les militaires un tant soit peu « clairvoyants ». Mais à la réflexion, je ne crois pas que ce soit dans les dialogues que j’ai vraiment cherché cette incarnation, mais dans certains passages paroxystiques, comme celui de la sati (ne divulgâchons pas) ou la scène des trois officiers SS dans le manoir. Là, j’ai forcé le trait (mais peut-être était-ce du réalisme, je ne le saurai jamais…) pour souligner la violence potentielle du régime envers les Allemands eux-mêmes, même ceux qui lui étaient fidèles, ou du moins qui ne le critiquaient pas en public. Les SS étaient convaincus d’être les surhommes parmi les surhommes. Ce qui signifie que pour eux, les autres Allemands étaient déjà en quelque sorte des êtres inférieurs. Les Allemandes encore plus. Quand je les fais parler, je symbolise cette supériorité et la barbarie qui pouvait l’accompagner.

Comment éviter de déshumaniser les nazis dans un roman tel qu’Elise, qui prend pour objet certains de leurs crimes les plus abominables ?
Il ne faut pas, je pense, l’éviter. D’abord, l’humanité est un mot très mal choisi. L’Homme est le seul animal capable de conceptualiser le mal au point de désigner une catégorie d’humains à éliminer, et à mettre un tel projet en œuvre, après l’avoir prémédité, calculé, étudié, y compris scientifiquement. « L’humanité » est certes une qualité très répandue chez l’homme, que la civilisation a encouragée, par la religion ou la morale, pour restreindre la terrible « hommanité », à savoir la capacité au génocide, à la barbarie, au meurtre. Comme quand Paul Moder, donne l’ordre d’abattre tous ceux qui entrent ou sortent clandestinement du Ghetto de Varsovie, sachant précisément que ça ne pouvait être que des enfants.
Des gens comme Heydrich ou Moder ont refusé « l’humanité » eux-mêmes. Ils ne sont pas récupérables. Quand Himmler décide de punir les familles des conjurés du 22 juillet 1944 avec la sinistre Sippenhaft qu’il attribue lui-même aux plus anciennes tribus germaniques, il efface des siècles de civilisation et retourne à l’instinct « bestial » (là aussi, un mot mal choisi). À l’inverse, un homme peut avoir adhéré aux pires idéologies et en sortir. Ce que Jésus (le philosophe, pas le fils de Dieu — je suis athée) a perçu instinctivement en leur offrant la rédemption. Il y a quelques nazis, dont un SS, dans Elise, qui y parviennent. La nuance est là.
Bien sûr, beaucoup de personnages sont ambivalents. Ils ont une part d’humanité, et une part de « bestialité » qui se font concurrence, et un jour, l’une ou l’autre gagne. Il ne faut pas confondre les bourreaux effectifs et les êtres égarés. Margarete Wagner, la « nazie totale » parmi les quinze goûteuse, délatrice et moralisatrice fanatique, est en fait un personnage faible et vulnérable. Elle a fauté et sa fidélité absolue au Führer est donc exacerbée par la conscience qu’elle n’a pas été la citoyenne idéale qu’elle aurait voulue être, ce modèle que les nazis exigeaient qu’elle incarne. Sa nocivité n’émane pas d’elle-même mais de la façon dont le nazisme répondait à son besoin de sécurité.
En revanche, Heydrich, Himmler, Hitler, Goebbels, Moder, sont totalement perdus. Si l’humanité est une qualité, elle a ses conditions, et ils n’en remplissent aucune. Il ne suffit pas d’être doux ou empathique avec son chien ou d’aimer ses proches. Ça, n’importe quel animal féroce en est capable ! Leur capacité de tuer et de faire tuer pour satisfaire leur ego, leur paranoïa, leur soif de pouvoir et leur grandeur les exclut de toute humanité.
Ça peut paraître manichéen, mais la dimension de leurs crimes ne laisse à mon avis place à rien d’autre. Quand on s’approche d’un trou noir, il ne reste que la lumière périphérique et… le trou.

Elise paraît le 16 octobre aux éditions ONLIT.

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