Gatsby le Magnifique de Baz Luhrmann

Gatsby le Magnifique de Baz Luhrmann : Strass, cotillons, paillettes et cinéma bling-bling

Le récit nous plonge dans le New-York des années folles, qui précèdent le Krach de 1929. Apprenti écrivain, Nick Carraway (Tobey Maguire), un jeune homme originaire du Minnesota, déménage à New York afin d’apprendre à œuvrer dans le milieu des obligations financières. Là-bas, il loue une maison dans un quartier chic du quartier West Egg de Long Island. Il fait la connaissance de son voisin Jay Gatsby (Leonardo DiCaprio), mystérieux millionnaire. Il retrouve également sa cousine Daisy (Carey Mulligan) et son mari volage, Tom Buchanan (Joel Edgerton), issu de sang noble. Nick devient l’observateur privilégié de ce monde de fêtes et de gens extravagants de leurs illusions, de leurs amours et de leurs mensonges

Quatrième adaptation très attendue du célèbre roman de Francis Scott Fitzgerald (1925), après celle de Jack Clayton (1974) avec Robert Redford, Gatsby le Magnifique est une adaptation clinquante, réalisée par Baz Luhrmann. Après la déception de son dernier film Australia (2008), Luhrmann revient à ses premières amours, un style bien reconnaissable depuis Roméo et Juliette (1995), inspiré du music-hall et jouant sur l’anachronisme d’une bande-son très contemporaine, ici le hip hop de Jay Z.Prince, et le R&B de Beyoncé ou de Lana del Rey. La musique, la construction du film, la narration de l’écrivain en voix off, évoquent également son grand succès, Moulin rouge (2001). La première partie de Gatsby le Magnifique, une première demi-heure très explosive, s’avère une débauche d’effets visuels et sonores, un foisonnement de couleurs et d’excentricité : les draps de soie s’envolent ; un phare vert éclaire l’autre bout de la rive ; des yeux énigmatiques sur une pancarte ; des mains qui se frôlent ; la transparence d’une piscine ; mais surtout un grand festival de cotillons et de paillettes, des costumes chatoyants, la tumulte festive du New York des années 20, toutes ces femmes, ces hommes tournoyant comme des papillons nocturnes. Le film de Baz Luhrmann fonctionne comme une orgie visuelle totale, d’une énergie folle, comme en témoigne la BO hallucinante. La photographie, la mise en scène, la direction artistique, les décors et surtout les costumes sont vraiment réussis. Puis, la seconde partie du film impose une chute lente et dramatique, celle de la passion tragique et impossible de Gatsby pour Daisy.

Gatsby le magnifique est un film-torrent qui émerveille et fascine, mais fatigue à vouloir trop en faire. Le film est constellé d’une multitude de plans qui s’enchainent si rapidement, que la tête du spectateur en devient chancelante. Par une utilisation anachronique de certaines musiques, un montage épileptique digne de MTV, un recours excessif à la 3D et aux travellings numériques, Baz Luhrmann signe un film aussi chargé que les décors de la demeure de Gatsby, réduisant ainsi l’essentiel de son travail d’adaptation à une performance outrancière de chef décorateur. Si la nature du film est respectée, celle d’un divertissement efficace, visuellement épatant, le tout demeure déséquilibré par de trop nombreuses superficialités et une trop grande technicité. De surimpression en surimpression, d’éblouissement en éblouissement, le spectateur est un peu perdu dans le méli-mélo d’images «Il faudrait pouvoir exposer l’année 1922», écrivait Fitzgerald. Ce n’est pourtant pas la critique sociale de l’époque qui intéresse le réalisateur, ni le Jazz Age fitzgéraldien, ni le thème de la crise qui traverse les époques, mais la propension du récit à lui laisser libre cours pour nous raconter ce qu’il nous a déjà proposé.

Cette poudre aux yeux ne suffit pas à pardonner l’erreur fondamentale de Luhrmann : celle d’avoir privilégier la forme au fond. Ce Gatsby le magnifique est un beau livre d’images, mais vide de la moindre émotion. En effet, le visuel ne fait pas le scénario. Le choix d’une reprise en voix off du texte de Fitzgerald plutôt que le traduire par l’image, est contestable. De même, la psychologie des personnages est moins bien amenée, moins fluide que dans la version de 1974 : Leonardo Di Caprio, est certes un grand acteur, dont toute la subtilité de jeu a été démontrée par sa haute performance dans Django Unchained (2012), mais il n’a ni le charisme, ni la prestance de Robert Redford dans ce rôle romanesque de millionnaire solitaire, mystérieux et idéaliste. Tobey Maguire change de registre après Spiderman, nous parle avec naïveté de ce millionnaire avec fascination, mais son rôle n’est pas celui de l’observateur affûté et critique comme pouvait l’être Sam Waterston : c’est ici un écrivain dont l’art sert de psychothérapie. Carey Mulligan, découverte dans Drive (2011) ou Shame (2011), amène une nouvelle fois avec elle sa mélancolie et sa douceur, mais n’a ni l’éclat, ni la folie de Mia Farrow, sublime Daisy dans la version d’origine. Surtout, le personnage de Myrtle Wilson est massacré : c’est pourtant elle la maîtresse sensuelle et exigeante de Tom, à l’origine du malheur de Daisy ; ici, l’interprétation d’Isla Fisher n’a aucun relief et ne sert de prétexte qu’à une scène d’accident de voiture, tout aussi spectaculaire qu’inutile. Seul, Joel Edgerton fait office d’impardonnable goujat et se montre particulièrement en jambes, dans son rôle de dandy au sang noble, cocu et adultérin…

Avec un casting de rêve et un budget pompeux, Luhrmann construit un film fascinant mais fragile. En dehors des décors et des costumes, le film oublie l’élément primordial qu’est la poésie. Le fond est sacrifié sur l’autel de la forme, comme en témoignent les dialogues creux et bien moins élaborés que dans le livre. Baz fait de cette adaptation un blockbuster hollywoodien digne de Las Vegas et Disneyland, lisse et sans âme. C’est regrettable tant il y avait matière à livrer ici une grande fresque romanesque. Très vite l’ennui s’installe. Il manque au tout une flamme, et l’espoir ne fait pas survivre l’étincelle. Il manque l’intimité, le mystère, pour que la magie, la fascination opèrent, puissent transposer le style extraordinaire de Fitzgerald, et toute sa mélancolie.