Dans Annie Colère, son troisième long-métrage porté par une Laure Calamy toujours solaire, la cinéaste féministe Blandine Lenoir (Zouzou, Aurore) pose un regard à la fois intime, lumineux et émouvant sur les destins oubliés des militantes du collectif MLAC, qui pratiquaient, à l’aide de la méthode Karman, des avortements avant leur légalisation par la loi Veil en 1975. Sensible et délicat, le film explore l’intime pour tendre vers l’universel sans chercher à imiter L’Événement d’Audrey Diwan sorti l’année dernière.
« Que savent-ils de mon ventre ? Pensent-ils qu’on en dispose ? » fredonnait la chanteuse engagée Anne Sylvestre en 1974 (un an avant la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse), point de départ du récit d’émancipation de Blandine Lenoir. En nous plongeant dans une France giscardienne en retard sur l’égalité hommes-femmes, la réalisatrice de Zouzou et Aurore raconte ici le fonctionnement interne du collectif illégal MLAC — lequel réclame la liberté de l’avortement et de la contraception –, et dessine d’émouvants portraits de ses héroïnes, toutes animées par une colère sourde.
Ouvrière dans une usine à matelas, mariée et mère de deux enfants, Annie, interprétée par Laure Calamy (Antoinette dans les Cévennes, Une femme du monde, À Plein temps) toujours rayonnante, est une femme courageuse, dévouée, exemplaire, mue par le besoin urgent d’intégrer le groupe de jeunes militantes (Zita Hanrot, India Hair, Rosemary Standley) dont elle va rapidement devenir un pilier.
Choisissant un dispositif frontal à la fois sobre et millimétré, Blandine Lenoir met en scène avec pudeur la renaissance de cette protagoniste à l’identité multiple qui, traversée par un événement intime, découvre son moi profond par l’apprentissage simultané de son corps et de sa conscience politique. Discrète, la caméra se faufile au plus près des visages féminins. Elle capture le tourbillon de leurs émotions brutes, bouleversantes. Tiraillées entre joie et souffrance, acceptation et déni, engagement citoyen et vie de famille, Annie et ses camarades doivent en effet trouver leur place au sein du mouvement, assurer tous les rôles (confidentes, assistantes, praticiennes…) dans un exercice de solidarité aussi remarquable qu’éreintant. Annie Colère s’attarde ainsi sur la chorégraphie méticuleuse de l’avortement, montrant les gestes très précis qu’on enseigne et reproduit par pure solidarité, notamment lorsque la canule vient vider précautionneusement l’utérus, comme pour ne pas blesser l’embryon.
Enfin, le film séduit par sa reconstitution minutieuse des années 1970, appuyée par le cri de colère digne de l’actrice Delphine Seyrig, icône du féminisme qui dénonçait vivement, sur les plateaux télévisés de l’époque, le concept vulgaire de « sexualité vagabonde ».
Malgré des dialogues très didactiques qui écrasent çà et là le jeu solaire de Laure Calamy, Annie Colère demeure une œuvre incandescente et terriblement actuelle, qui nous rappelle que la bataille de l’avortement continue de faire rage.
Bande-annonce
Synopsis : Février 1974. Parce qu’elle se retrouve enceinte accidentellement, Annie, ouvrière et mère de deux enfants, rencontre le MLAC – Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception qui pratique les avortements illégaux aux yeux de tous. Accueillie par ce mouvement unique, fondé sur l’aide concrète aux femmes et le partage des savoirs, elle va trouver dans la bataille pour l’adoption de la loi sur l’avortement un nouveau sens à sa vie.
Annie Colère – Fiche technique
Réalisation : Blandine Lenoir
Scénario : Blandine Lenoir, Axelle Ropert
Avec : Laure Calamy, Zita Hanrot, India Hair, Rosemary Standley, Damien Chapelle, Yannick Choirat, Florence Muller, Cédric Appietto, Lucia Sanchez, Pauline Serieys, Louise Labèque, Pascale Arbillot, Eric Caravaca…
Production : Nicolas Brevière, Charlotte Vincent
Photographie : Céline Bozon
Montage : Stéphanie Araud
Costumes : Anne Blanchard
Musique : Bertrand Belin
Distributeur : Diaphana
Durée : 2h00
Genre : Drame
Sortie : 30 novembre 2022