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Une Femme du monde de Cécile Ducrocq, le quotidien d’une prostituée d’aujourd’hui

Sévan Lesaffre Critique cinéma LeMagduCiné

Après la comédie romantique Antoinette dans Les Cévennes de Caroline Vignal qui lui a valu un César en début d’année, Laure Calamy change de registre et incarne une prostituée dans Une Femme du monde, premier long-métrage de Cécile Ducrocq. C’est le cri d’espoir et de détresse d’une mère célibataire en plein déni, qui, dépassée par la violente crise d’adolescence de son fils, mène sa vie comme un radeau perdu. Un personnage vibrant d’énergie et de fragilité auquel l’actrice prête son habituelle fantaisie déjantée.

Pour ce premier long-métrage, Cécile Ducrocq (La Contre-allée) offre à son actrice fétiche le rôle d’une femme libre de ses choix, fière de son corps et de son activité de travailleuse du sexe. Héroïne des temps modernes vibrante d’énergie et de fragilité, Marie fait face à de lourdes difficultés financières, doit gérer la crise d’adolescence de son fils Adrien (le débutant Nissim Renard) et tente par tous les moyens de le raisonner afin qu’il parvienne à trouver sa voie professionnelle.

Dépouillée de tout ornement inutile, la mise en scène se repose sur les frêles épaules de Laure Calamy qui mène la danse de bout en bout. Dans son imperméable doré, elle arpente les trottoirs de Strasbourg à la recherche de potentiels clients, multiplie les passes pour boucler les fins de mois et payer à Adrien, expulsé de son lycée, les frais d’inscription d’une école hôtelière hors de prix. Hélas, comme la plupart des jeunes de son âge, ce dernier reste sourd aux sacrifices altruistes de sa mère ; il rejette catégoriquement l’idée de devenir adulte et se complaît dans une paresse nonchalante et désillusionnée. Tributaire de cet avenir tout tracé dans la cuisine qu’elle vit par procuration et par amour pour son fils, Marie, qui pourtant refuse l’apitoiement, renonce finalement à ses valeurs de toujours et décide de traverser la frontière pour gagner plus d’argent. Elle atterrit alors dans un club de strip-tease allemand baptisé « l’Altromondo », sorte de palais des mirages en vase clos, de caverne aux merveilles contemporaine peuplée d’une clientèle sordide ou ingrate qui vient « consommer ». Là, Marie se heurte aux brimades de la maquerelle (l’excellente Diana Korudzhiyska) qui tient les comptes et aux jalousies de ses pouliches pulpeuses, toutes bien déterminées elles aussi à gravir les échelons sous la lumière flashy des néons de l’Altromondo. 

Si la protagoniste d’Une Femme du monde est une militante revendiquant le droit de louer, de vendre son corps pour gagner sa vie honnêtement, la réalisatrice ne cherche pas à glamouriser la condition de courtisane moderne. Sans jamais porter de jugement, elle décrit avec justesse la mécanique embarrassante des échanges qui précédent l’acte sexuel programmé, les étapes du basculement précipité de la relation intime vers le rapport tarifé. 

Au delà de l’intonation linéaire de Laure Calamy et des quelques maladresses du premier film (en effet, dans une première partie assez laborieuse sur la précarité, le dispositif semble tourner en rond comme dans une cellule, rendant cette quête obsessionnelle d’argent plutôt programmatique et sa résolution vraiment bâclée), Une Femme du monde séduit par son traitement réaliste de l’affrontement générationnel et l’hypotypose minutieuse d’une relation conflictuelle entre une mère courage dépassée par les formalités administratives et son fils grincheux. Après une violente dispute, vient le temps de la réconciliation, l’occasion de laisser une nouvelle chance au dialogue. Surgissent alors ces fragments d’incertitude, ces moments de flottement, lorsque les personnages se retrouvent subitement confrontés à des choix déterminants, chantant ici leur optimisme et leur espoir sur Vancouver de Véronique Sanson.

Le film s’achève d’ailleurs sur la très belle image d’une femme indépendante, affranchie de ses responsabilités maternelles. À force de persévérance bienveillante, Marie a atteint ses ambitions personnelles à travers la réussite sociale de son fils.

Sévan Lesaffre

Bande-annonce

Synopsis : À Strasbourg où elle se prostitue depuis vingt ans, Marie a son bout de trottoir, ses habitués, sa liberté et Adrien, son fils âgé de 17 ans. Pour assurer son avenir et lui payer des études, elle doit gagner de l’argent rapidement.

Une Femme du monde – Fiche technique

Réalisation et scénario : Cécile Ducrocq
Avec : Laure Calamy, Nissim Renard, Béatrice Facquer, Romain Brau, Valentina Papic, Sam Louwyck, Diana Korudzhiyska, Amlan Larcher, Mélissa Guers, Leonarda Guinzburg, Kim Humbrecht, Maxence Tual, Sarah Ouazana, Mahir Fekih-Slimane, Marie Schoenbock, Philippe Koa…
Production : Stéphanie Bermann, Alexis Dulguerian
Photographie : Noé Bach
Montage : Sophie Reine
Décors : Catherine Cosme
Costumes : Ariane Daurat
Musique : Julié Roué
Distributeur : Tandem
Durée : 1h34
Genre : Drame
Sortie : 8 décembre 2021

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