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Festival de Cannes 2021 : les films préférés de la rédaction

Le Festival de Cannes 2021 a fermé ses portes il y a maintenant une semaine. Avec des souvenirs plein la tête et des étoiles plein les yeux, certains membres de l’équipe du Magduciné reviennent sur leurs moments forts de ce Festival avec à l’ordre du jour Onoda, Titane, Julie (en 12 chapitres) et bien d’autres.

Le Top 5 de la rédaction :

Jules Chambry :

1. Julie (en 12 chapitres), de Joachim Trier : Julie fut l’une des grandes surprises de cette année. Après un Oslo, 31 août déjà très fort mais profondément dramatique, Joachim Trier propose une nouvelle variation autour de la crise existentielle mêlant cette fois humour et larmes. Ou l’amour dans ce qu’il a de plus léger et tragique à la fois. Divinement joué, d’une justesse admirable dans l’écriture, Julie enchaîne les scènes marquantes grâce à un chapitrage intelligent et une mise en scène sans fioritures. Un film qui se hisse à la hauteur des plus grands drames romantiques du cinéma, digne héritier d’Annie Hall.

2. Onoda, 10 000 nuits dans la jungle, d’Arthur Harari : avec Onoda d’Arthur Harari, nous tenons le grand absent de la Compétition cette année. Présenté dans la section Un Certain Regard, cette œuvre au carrefour des genres et des tons est une leçon à tous les niveaux : un rythme tenu sur 2h45, une mise en scène d’un classicisme époustouflant, une écriture dense dont le propos ne cesse d’évoluer en même temps que les personnages, et une puissance cinématographique qui en fait un classique instantané. Un grand film sur la guerre, la solitude, le refuge de la fiction et la peur du réel. Indispensable.

3. Bonne Mère, de Hafsia Herzi : Bonne Mère devait être le film de la confirmation pour Hafsia Herzi, déjà réalisatrice du joli Tu mérites un amour. Plus qu’une progression, le film est un véritable bond en avant en termes de style et d’écriture. Bonne Mère parvient à faire tenir ensemble une pluralité de personnages qui trouvent tous leur place au sein d’une histoire de famille à la fois simple et semée d’embûches. Dans un style très « réaliste » – sans doute hérité de ses collaborations avec Kechiche – Hafsia Herzi offre un portrait panoramique bouleversant, porté par Halima Benhamed en mère fatiguée pourtant solaire.

4. Drive My Car, de Ryusuke Hamaguchi : il fallait être prêt à embarquer pour 2h50 à bord du cinéma de Hamaguchi, cinéaste de l’étirement du temps et du silence s’il en est. Drive My Car est un voyage vers soi-même, une introspection et un combat contre le deuil, une quête de paix intérieure. Par la métaphore du théâtre, le réalisateur met en relation un metteur en scène, un acteur et une chauffeuse dans un jeu de chaises musicales passionnant, où la recherche d’un langage transcendant mettra en tension la puissance des textes interprétés et un retour au silence tout aussi signifiant. Un film littéraire et magnifique.

5. Les Olympiades, de Jacques Audiard : le nouveau film de Jacques Audiard pouvait nourrir quelques craintes : filmant de jeunes adultes, a fortiori des femmes, en noir et blanc, n’est pas ce à quoi le cinéaste nous a habitués. Mais la présence de Céline Sciamma et Léa Mysius au scénario change tout : Les Olympiades est un film d’une grande pudeur qui examine avec justesse et beaucoup d’empathie le quotidien de jeunes actifs en manque de repères. Formellement irréprochable, traitant de sujets délicats (le sexe, notamment) et pourtant plein de légèreté et de douceur. Un film qui fait du bien.

Audrey Dltr : 

1. Julie (en 12 chapitres), de Joachim Trier : Julie est comme une brise légère qui arrive jusqu’à nous, nous caresse la joue et nous emporte avec elle dans un tourbillon de douceur et d’humanité. Là, tout n’est que simplicité et justesse : du jeu des acteurs et actrices à la beauté des décors, rien ne sonne faux. Mieux, tout nous parle, tout résonne, tant la vie s’insinue dans chaque segment du film et nous inonde de souvenirs de scènes personnellement vécues, imaginées ou fantasmées. Questionnements, doutes, amours, ruptures, larmes : la vie, à l’état pur, parfois dure, mais telle que chacun.e saura la reconnaître, et s’y reconnaître.

2. Les Olympiades, de Jacques Audiard : chronique de tout temps, de partout et de nulle part, où le brouillage éclot à merveille dans le choix d’un noir et blanc sobre et subtil, Les Olympiades se déroule comme une admirable fresque dans laquelle se déploient des personnages en quête. De cette quête de soi, quête de l’autre, quête de réussite, de bonheur ou d’amour découle une tendresse déconcertante qui nous emmène avec sincérité aux confins de la pudeur de nos aspirations. Le tout sublimé par la collaboration musicale entre Rone et Para One pour la bande-son du film. Un doux bijou.

3. Annette, de Leos Carax :  opéra tragique dansant au bord du gouffre avant de s’y jeter, Annette est une réussite de tous les instants. On est cueillis, accueillis dès l’entrée du film et guidés dans cet objet cinématographique dense, intense et si particulier. Le film est porté par une mise en scène démente, un trio époustouflant d’acteurs et une sublime bande-son. Interrogeant les limites de la fiction, mettant en scène une relation amoureuse toxique, destructrice et l’évolution d’un personnage abject, son contenu est d’une richesse dont la grandeur parfois excède nos capacités de compréhension. En reste néanmoins une œuvre captivante aux émanations envoûtantes, et géniale par bien des aspects.

4. La Fracture de Catherine Corsini: farouchement drôle sans jamais tomber dans un humour simpliste ou douteux, La Fracture articule une série de constats tragiques sur notre époque à une grande humanité qui constitue à coup sûr sa force. Qu’il s’agisse de dysfonctionnements politiques, économiques ou humains, le film dresse le portrait d’une France qui justement se fracture. Ce qu’il nous reste alors, c’est le contact avec l’autre, autre par ses convictions, autre par ses priorités, autre par ses questionnements, mais toujours le même que soi par son humanité. Une belle réussite.

5. The Innocents de Eskil Vogt : The Innocents pousse à l’extrême les dangers auxquels peut mener la curiosité enfantine d’un trio de jeunes voisins. Cernant avec une remarquable acuité tous les paradoxes d’une jeunesse prise entre mutisme profond et nécessaire communication, ignorance et découverte de soi, amalgame entre ce qui relève de soi et n’en relève pas, amalgame entre réalité et imagination, entre vie vécue et vie fantasmée, le film dessine toutes les ambiguïtés d’une jeunesse aussi troublante que maléfique. Le jeune casting brille par son talent et illumine la scène inquiétante sur laquelle il s’illustre. Glaçant.

Eric Schwald : 

1. Drive My Car, de Ryusuke Hamaguchi : sur le papier, un film sur un metteur en scène de théâtre et la femme qui le conduit tous les jours sur le lieu des répétitions ne semble pas des plus prometteurs ; ajoutez que c’est un film japonais et qu’il dure trois heures, et vous perdez la plupart des candidats. Ce serait une erreur que de passer à côté de cette œuvre puissante sur la parole, les langues, la résilience et l’ouverture à l’autre. 

2. Julie (en 12 chapitres), de Joachim Trier : Joachim Trier ne s’est jamais illustré par une vision très optimiste de l’existence dans ses films. Si son nouvel opus ne déroge pas entièrement à la règle, il investit cependant de nouveaux territoires, comme ceux de la comédie, allant jusqu’à oser la romance. Julie est la parfaite incarnation de son époque : indécise, libre, imprudente, angoissée, elle nous embarque dans une odyssée intime voilée d’inquiétude, mais intensément vivante. 

3. Tromperie, de Arnaud Desplechin : on attendait depuis quelques années un film qui soit à nouveau puissamment littéraire. Il n’est pas très surprenant que Desplechin en soit l’architecte, lui pour qui la parole tient un rôle aussi crucial dans la filmographie. Son adaptation de Roth navigue avec aisance dans les eaux troubles de l’adultère, de l’inspiration et de la survie par les mots, servis avec une intensité jubilatoire par des comédiens en état de grâce. 

4. Serre-moi fort, de Mathieu Amalric : nouveau portrait de femme après le magnétique Barbara en 2017, Serre-moi fort doit être le moins possible résumé à ceux qui iront le voir. Qu’ils se préparent à un récit fragmentaire, d’abord déconcertant, et qui construit patiemment un récit bouleversant où la fiction devient une arme de lutte face à l’insupportable réel. 

5. Memoria d’Apichatpong Weerasethakul : on peut attendre du cinéma autre chose qu’un récit, une structure canonique par laquelle on se satisfait de voir un élément perturbateur résolu par un retour à la normale. Apichatpong Weerasethakul appartient à cette rare catégorie de cinéaste à faire de son œuvre une expérience sensitive pour le spectateur. Il faudra de la patience, il faudra lâcher prise, et accepter l’inconnu. Mais l’élévation au bout du chemin sera à nulle autre pareille. 

Sébastien Guilhermet :

1. Julie (en 12 chapitres), de Joachim Trier : c’est la Palme de la fraicheur. Un film qui vous marque un festival. D’une finesse de trait imparable, le film de Joachim Trier nous immisce dans les errements amoureux de la jeune Julie. Sans forcément bousculer les codes de la romance et de la quête existentielle, le cinéaste signe un portrait de vie entre Rohmer et Woody Allen, où l’on a furieusement envie de vivre afin de ressentir tous ces émois. Jonglant entre les genres avec facétie et ironie, le récit au charme romantique non dénué d’une grande mélancolie, est autant le reflet d’une femme indécise et flamboyante que le panoramique d’une génération complexe qui demande de l’écoute.

2. After Yang, de Kogonada : c’est la Palme de l’ambiance. After Yang est une épopée sur la mémoire et la transmission générationnelle aussi douce que contemplative. Avec sa mise en scène élégante, au cadre parfaitement ciselé, le film arrive à s’approprier le genre qu’est la SF, et sa thématique phare qui est celle de l’intelligence artificielle, afin de soigneusement dessiner le portrait d’une famille en proie au deuil. Avec sa réflexion sur le temps qui passe et sur l’importance de nos agissements, avec son esthétisme qui rend hommage aux divers lieux qui nous entourent, After Yang est une balade éthérée, méditative et ambiante, comme suite logique du Columbus.

3. Serre-moi fort, de Mathieu Amalric : c’est la Palme de l’émotion. Chez Mathieu Amalric, l’émotion ne se cherche pas, elle se trouve. Espiègle dans l’enchevêtrement des différentes strates de son récit, malin dans l’utilisation de la nébuleuse temporalité, le film ne manque pourtant pas de corps. Il pourrait facilement être qualifié de cérébral ou de labyrinthique, mais cette fuite en avant d’une mère contre son passé ou son futur, est un terrible torrent d’émotion.  

4. Memoria d’Apichatpong Weerasethakul : c’est la Palme du rêve. Plonger dans un film du cinéaste thaïlandais, c’est savoir se perdre dans le monde des songes peuplé de fantômes et de souvenirs égarés. Dans une oeuvre qui ne cesse de cartographier les vibrations de ce monde aussi apocalyptique qu’apaisant, le spectateur ouvre les portes d’une expérience sensorielle hors du commun dont la deuxième partie du film sera l’une des choses les plus impressionnantes vues en salle cette année. Un grand film sur la quête de soi et notre rapport, presque horrifique, au monde.

5. Titane de Julia Ducournau : c’est la Palme de la douleur. Douleur parce que Julia Ducournau a une vraie passion pour la meurtrissure et la malléabilité de la chair. Titane frappe fort, cogne dur et tue sans crainte. Mais pas que. Et c’est ça qui fait de Titane une oeuvre hybride, dans tous les sens du terme, épousant son amour du bis et du genre, mais qui au lieu de se satisfaire uniquement de son savoir faire, part dans des contrées difficiles sur la filiation et l’identité. Non sans égarements, Titane est la consécration d’une jeune cinéaste qui fait déjà trembler le monde du cinéma français.