Alors que le Festival de Cannes vient de fermer ses portes et de couronner Titane comme Palme d’Or, notre rédaction fait un dernier petit tour d’horizon sur les différentes sections qui ont jalonné cette édition 2021, avec cette fois-ci, Vortex de Gaspar Noé ou même Les Intranquilles de Joachim Lafosse.
Les Intranquilles de Joachim Lafosse (Compétition)
Rien n’est plus difficile à mettre en scène que la maladie mentale au cinéma, sans tomber dans le mauvais goût, le romanesque ou le putassier. Avec Les Intranquilles, Joachim Lafosse réussit à montrer la bipolarité d’un père avec une justesse aussi touchante que glaçante. Le film est d’une tension perpétuelle, avec quelques moments d’explosion tout simplement bouleversants. Damien Bonnard laisse bouche-bée, tant sa performance est tout en puissance contenue, en fragilité et en regards perdus qui disent tout. Leïla Bekhti n’est pas en reste, endossant un rôle ingrat de mère prise entre un mari incontrôlable mais pour qui elle sacrifie tout, et un enfant qu’elle veut protéger tout en lui faisant prendre conscience de la gravité de la situation. Un pur « film français », mais dans le bon sens du terme : très grave, très dur, mais avec des acteurs tellement bons que rien n’est surjoué ni dramatisé à outrance. La photographie, qui travaille intelligemment les flous, est également précieuse ; tout comme la mise en scène, très fluide, donnant le temps aux séquences de s’étirer pour mieux en extraire la tension. Ainsi, Lafosse parvient à faire de scènes a priori triviales de grands moments de drame familial : une visite surprise à l’école, une caresse nocturne, une scène de peinture en chanson, etc. Les Intranquilles parle d’une maladie incurable et du poids qu’elle fait peser sur l’entourage d’un père en pleine traversée du désert. Personne n’a le beau rôle, personne n’a le mauvais non plus : tout est d’une justesse admirable, et le nœud paraît inextricable.
Jules Chambry
Vortex de Gaspar Noé (Cannes Première)
Petit dernier de la sélection Cannes Première, Vortex de Gaspar Noé opère un revirement assez intéressant dans la filmographie de son cinéaste. Prenant le dispositif déjà intégré dans Lux Aeterna du split screen, cette fois-ci permanent, le Français filme la fin de vie d’un couple de personnes âgées : chacun d’un coté de l’écran, c’est alors deux visions de cette apocalypse qui se dessinent devant nos yeux. Lui est cardiaque, elle commence à perdre la tête. Véritablement influencé par Amour de Michael Haneke, même si les deux films s’avèrent diamétralement opposés dans leur traitement, Vortex puise sa beauté dans un naturalisme omniprésent et une volonté de minimiser au maximum ses effets. Cinéaste viscéral, où le parfum de scandale n’est jamais loin, Gaspar Noé peint avec Vortex, une proposition de cinéma minimaliste, silencieuse et d’une humilité assez admirable. C’est donc avec une certaine émotion qu’on déambule dans la maison de famille avec ces personnages aux allures de fantômes. Constitué d’un casting impressionnant de justesse, notamment Françoise Lebrun, et d’une direction artistique fabuleuse (sublime maison comptant d’innombrables détails du passé incrustés dans les murs), Vortex parle de sujets bien distincts comme l’oubli, l’amour ou même la perte du souvenir et l’effacement du passé. Cependant, comme souvent avec Gaspar Noé, nous avons le droit à quelques facéties, à des scènes qui tirent en longueur de manière évitable ; pourtant cette fois, la science de Noé touche en émotion et délivre de nombreuses scènes émouvantes. Un bel objet.
Sébastien Guilhermet
Tromperie de Arnaud Desplechin (Cannes Première)
Chapitré par période et par personnage, Tromperie est le parcours amoureux de Philip, célèbre écrivain dont la vie est remplie de bien des femmes. Avec ce film, assez aride dans le fond et assez libre dans la forme, Arnaud Desplechin souhaite rendre hommage à Philip Roth et sa verve habituelle en adaptant son livre Deception. Accompagné d’actrices toutes plus fulgurantes les unes que les autres, entre la sophistiquée et savoureuse Léa Seydoux, l’émotionnelle Emmanuelle Devos, ou la fragile et foudroyante Rebecca Marder, Denis Podalydès livre une partition tout en rupture de ton, entre le mari démissionnaire, l’amant tumultueux, l’ami empathique, ou le littéraire au judaïsme éviscéré. Grâce à Tromperie, Arnaud Desplechin retrouve son sens du dialogue et du bon mot, dont sa faculté à jouer avec le romanesque, puis son amour de la littérature, créant de ce fait cette alchimie entre les idées de cinéma qui foisonnent et cette théâtralité éhontée et poétique. Le film préférant filer à toute vitesse plutôt que de se laisser respirer, accumule les thématiques, comme l’amour ou l’homme et son rapport aux femmes, puis le communautarisme et la peur de l’autre. Cependant dans ce verbiage incessant aussi drôle que passionné, il est parfois difficile de réellement comprendre le positionnement de Desplechin par rapport à son personnage et les griefs qui pourraient lui être attribués : mais derrière ce manque d’accroche, dommageable, l’oeuvre n’en perd pas moins de sa puissance et nous fait passer par bien des émotions. Une vraie belle réussite.
Sébastien Guilhermet
Women Do Cry de Mina Mileva et Vesela Kazakova (Un Certain Regard)
Film bulgare de la section 2021 “Un certain regard”, Women do cry nous fait effectivement tourner nos yeux ailleurs, et cette fois vers la Bulgarie. L’intention première est nécessaire et forte : filmer des femmes, des mères, des sœurs, leurs aspirations, leurs fragilités, dans une Bulgarie qui politiquement se déchire. A trop chercher à critiquer la situation politique du pays, le film se perd et ne parvient pas à trouver une voie dans laquelle se déployer avec émotion. L’on nous montre pourtant des femmes blessées, dont les blessures ont fait naître leur force, prêtes à tout pour arracher leur place à une société dont les clichés et injonctions étouffent. Les crises familiales sont intenses, les situations des personnages parfois désespérées – l’on pense notamment au drame de la vie de Sonia – mais jamais l’émotion ne parvient, elle, à naître et nous emporter dans cet élan militant et déterminant pour le futur de toutes ces femmes, nombreuses encore à devoir se battre pour exister.
Audrey Dltr
Haut et fort de Nabil Ayouch (Compétition)
Première sélection au Festival de Cannes pour le réalisateur franco-marocain Nabil Ayouch, Haut et fort se présente comme le cri d’une jeunesse marocaine pleine d’espoir et cherchant à s’affranchir du poids, bien trop lourd parfois, des traditions et de la religion. Articulant un mode quasi documentaire à celui de la fiction, frôlant à de nombreuses reprises la comédie musicale avec nombre de scènes collégiales dansées et rappées, le film rapproche sans cesse l’histoire de ses personnages et de leur recherche d’émancipation à celle du rap. Il s’agira pour tous ces jeunes, fréquentant un centre culturel dans un quartier populaire de Casablanca – qu’ils se plaisent à comparer à celui du Bronx, à New-York – d’apprendre à utiliser le rap pour exprimer leurs souffrances, leurs blessures, leurs aspirations. Seulement, jamais le film ne parvient à réellement nous emporter, sans doute la faute à un aspect trop documenté, qui paraît parfois gratuit et bloque à la fois emballement véritable et émotion. C’est assez dommage.
Audrey Dltr