Rétrospective Danny Boyle: Sunshine, critique du film

Dans la carrière de Danny Boyle, Sunshine, sorti en 2007, constitue son plus gros échec commercial, non pas en termes de chiffre d’affaires mais au prorata de son budget, les entrées en salles n’ayant atteint que 80% des dépenses de production.

En 2057, le soleil s’éteint peu à peu, condamnant l’Humanité vers sa perte. Après une première expédition avortée, un second groupe de scientifiques est envoyé en vaisseau spatial pour faire imploser une charge thermonucléaire sensé réveiller l’astre solaire. A l’approche de leur objectif, alors que les communications avec la Terre sont coupées et que les esprits commencent à s’échauffer, les membres de l’équipage reçoivent un mystérieux message de détresse.

A trop s’approcher du soleil, on se brûle les ailes !

Comme pour beaucoup de réalisateurs formalistes révélés dans les années 90, le virage du 21ème siècle –et du post-11 septembre–, caractérisé par la demande croissante du public pour des effets numériques maitrisés et des univers visuels ténébreux, s’est révélé pour lui une étape délicate. Son 28 jours plus tard s’étant avéré un coup gagnant grâce à la résurgence simultanée du film de zombie, beaucoup doivent penser qu’il aurait mieux fait d’en réaliser la suite lui-même tant cette seconde tentative de renouveler un genre ultra-codifié n’a pas réussi à convaincre le public. Il faut bien reconnaitre qu’en s’essayant aux codes de l’épopée spatiale, Boyle et son scénariste Alex Garland se sont attaqués à une institution sacrée sur laquelle beaucoup de réalisateurs s’étaient déjà cassé les dents. On ne peut toutefois pas leur reprocher de réussir à aborder les grandes thématiques fondamentales propres aux huis-clos spatiaux, déjà en exergue dans tous les classiques du genre dont ils s’inspirent allégrement, grâce à la mise en place d’enjeux magistraux. Et même si ce point de départ, qu’est la mort annoncée du Soleil, peut sembler être trop tiré par les cheveux pour rendre crédible l’intrigue et ses prétendues résonances philosophiques, il est surtout le prétexte à un style visuel qui, lui, est particulièrement singulier.

Avant que l’irréprochabilité du travail esthétique ne saute aux yeux, ce qui différencie Sunshine des nombreux films de série B dont il se rapproche à priori (on pense à Armageddon pour l’ampleur des enjeux et à Event Horizon pour le déroulement des évènements), c’est évidemment son casting. En mêlant quelques acteurs venus d’ailleurs à des comédiens anglo-saxons, Danny Boyle a donné une dimension internationale à l’équipage de l’ICARUS II, ce qui écarte le film du piège d’un quelque triomphalisme nationaliste que l’on reproche souvent à de tels films-catastrophe. Ainsi, la hongkongaise Michelle Michelle Yeoh (Tigre et Dragon, Demain ne meurt jamais), le néo-zélandais Cliff Curtis (Blow, The Fountain) et le japonais Hiroyuki Sanada (Ring, Le Dernier Samouraï), mais aussi Benedict Wong de par ses origines chinoises, apportent tout à la fois l’assurance d’interprétations soignées et cet éclectisme ethnique qui appuie l’universalité du propos. Parmi les autres acteurs, on note la présence de Chris Evans qui, après avoir été révélé dans Les Quatre Fantastiques, livrait là une prestation d’une étonnante maturité. Mais le rôle le plus mémorable du film qui offert à Cillian Murphy, que Boyle avait déjà dirigé dans 28 jours plus tard et qui avait entre-temps triomphé dans Batman Begins et Le Vent se lève. Comme le veut la règle propre à tout bon huis-clos, les relations entre les personnages se veulent tumultueuses, mais plutôt que d’ajouter à cette situation intrinsèquement claustrophobique une paranoïa entre les protagonistes, ce sont les doutes relatifs à leur mission qui générera cette tension si bien interprétée par les acteurs.

Les arguments scientifiques sur lesquels repose le scénario ne tenant pas la route une seule seconde, il faut chercher dans les rapports qu’entretiennent les personnages entre eux et vis-à-vis de leur objectif le pouvoir symbolique de l’œuvre. Dès la première scène, dans laquelle le psychiatre de bord fait preuve d’une certaine addiction aux rayons lumineux, on peut penser que la thématique de la drogue, déjà très présente dans les premiers films du réalisateur, va être à nouveau à l’œuvre, mais l’allégorie va bien plus loin. Le pouvoir de fascination que suscite le Soleil sur les astronautes, ainsi que la façon dont il est à la fois source de vie et de mort, font de lui une représentation assez évidente d’un Dieu Unique. C’est donc à travers le comportement autodestructeur que les personnages auront à son approche (tandis que certains y resteront parfaitement cartésiens et feront passer leur mission avant leur propre survie, les autres ne demanderont qu’à mourir pour Lui ou, pire, penseront parler en Son nom) que la réflexion métaphysique se tisse peu à peu, et que l’esprit nihiliste déjà présent dans Trainspotting ou La Plage reprend son droit sur le noble esprit de sacrifice qui semble initialement animé les héros. Même si l’écriture peut par moment sembler maladroite du fait de l’usage de certaines ficelles scénaristiques prévisibles (chaque personnage connait son moment de bravoure puis, quand il ne sert plus à rien, il meurt), l’étude approfondi de cet axe de lecture explorant la confrontation entre la science et le sacré donne tout son éclat à ce long-métrage. Encore une fois, ce choix du Soleil comme unique cause des enjeux, vitaux comme intellectuels, peut donner l’impression d’être une idée incongrue, mais elle se justifie par la volonté de Danny Boyle de faire de la lumière un élément central dans sa mise en scène.

Plus le film avance, plus l’ICARUS II approche du soleil. Dès lors, cette lumière ardente qui, depuis la Terre, apparait comme un espoir de survie, se transforme de plus en plus en une imminence mortelle pour nos attachants héros. Une évolution visuelle qui bien au-delà du nombre croissant d’effets lumineux ingénieux (un usage des lense flairs que n’aurait pas dénigrer J.J. Abrams) puisque, si la première moitié du film se construit sur une succession de plans assez longs, qui assoient sur l’ambiance un stress sous-jacent, le découpage va peu à peu s’accélérer tandis que l’intrigue va prendre l’allure d’un thriller oppressant puis d’un survival horrifique. C’est en cela que Sunshine représente une pièce charnière dans la filmographie de Boyle puisque si ses précédents films misaient sur son scénario pour créer du rythme (en particulier dans Petits meurtres entre amis et Transpotting, La Plage ayant davantage reposé sur sa photographie… avec le résultat que l’on sait), c’est à présent ce sens du montage qui deviendra l’élément clef de ses films, d’autant que c’est ce qui fera le succès de Slumdog Millionaire. Les nombreux plans terriblement suffocants filmés depuis l’intérieur des scaphandriers nous permettent de ressentir au mieux la peur et le sentiment d’impuissance des scientifiques face à leur destin funeste. Et la plus-value apportée par la composition de John Murphy donne aux plus belles scènes un pouvoir hypnotique assez bluffant. Cette maitrise formelle de la part de Danny Boyle, qui réussit à adapter sa réalisation au fur et à mesure que l’intrigue évolue pour en accentuer toujours plus la dimension immersive, est une marque indéniable de son talent protéiforme. C’est toutefois tous ces changements de rythme pour le moins radicaux qui ont probablement dû le plus déstabilisé le public lors de sa sortie en salles.

Sur un pitch qui laissait présager le pire, Danny Boyle a réussi à mettre au point une œuvre profondément humaniste, mais surtout la preuve que sa mise en scène ne se limite pas à ses tics d’ancien formaliste issu de la télévision mais qu’il est également capable de rendre ses réalisations sensorielles et éblouissantes de beauté. Sans jamais atteindre la grâce d’un Stanley Kubrick, puisqu’il est évident que c’est -sur le fond- son inspiration première, le réalisateur britannique fait preuve d’une maitrise technique qui ne mérite pas d’être boudée.

Sunshine: Bande Annonce (en VO)

Fiche Technique: Sunshine

Réalisation: Danny Boyle
Scénario: Alex Garland
Interprétation: Cillian Murphy (Capa), Hiroyuki Sanada (Kaneda), Rose Byrne (Cassie), Chris Evans (Mace), Michelle Yeoh (Corazon), Cliff Curtis (Searle), Troy Garity (Harvey), Benedict Wong (Trey), Mark Strong (Pinbaker)…
Image: Alwin H. Kuchler
Costumes: Suttirat Anne Larlarb
Montage: Chris Gill
Musique: John Murphy
Producteur(s): Andrew MacDonald
Production: Fox Searchlight Pictures, DNA films
Distributeur: 20th Century Fox France
Durée: 100 minutes
Genre: Science-Fiction

Grande-Bretagne – 2007

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