Darren Aronofsky signe avec Pi un premier film original et fascinant qui marque l’esprit et pose les bases de son cinéma, malgré ses maladresses de jeunesse.
Synopsis : Max, brillant mathématicien, souffrant de migraines intolérables, est néanmoins sur le point de faire la plus grande découverte de sa vie : décoder la formule numérique qui se cache derrière le marché des changes. C’est alors que tout bascule dans un immense chaos. Il est à la fois poursuivi par une grande firme de Wall Street qui souhaite dominer le monde de la finance, et par des cabalistes qui tentent de percer les mystères enfouis derrière les nombres secrets.
Avec Pi, petite production fauchée, Darren Aronofsky va poser les bases de ce que sera sa filmographie. Même si son pitch n’est pas des plus alléchants et que l’on peut vite croire que l’on est face à un petit film d’intello sur les maths, on se surprend très vite à être devant un thriller métaphysique plutôt bien rodé. Sachant ménager son suspense et les questionnements autour de son histoire, Aronofsky signe avant tout un récit prenant et habile qui conjugue une intrigue terre à terre avec un enrobage plus nébuleux issu directement de la psyché malade de son protagoniste. Accompagné d’une voix-off, on se retrouve totalement immergé dans l’esprit de Max, suivant les événements à travers ses yeux. Sauf qu’avec ses forts maux de têtes qui lui font faire des crises, ses hallucinations et ses poussées de paranoïa, il s’avère très vite être un narrateur auquel on ne peut pas se fier. À travers lui, le cinéaste va offrir les prémices de son cinéma, à savoir, la thématique de l’obsession. Comme la plupart des protagonistes aronosfskien, Max est régit par une idée fixe qui le dépasse et le ronge comme une maladie. Symbolisée ici par l’excroissance qu’il se découvre sur le crâne.
Poussant la réflexion autour de la religion et sur les questionnements existentiels comme la place de l’Homme sur terre, Aronofsky énonce les thèmes qui serviront d’ébauches à ses grands films qui suivront. L’addiction, l’acte de création, la paranoïa etc… tout cela se confronte dans une œuvre dense mais qui, par moments, s’éparpille un peu trop. En peu de temps, Pi raconte beaucoup. Et même si il a l’intelligence d’offrir les clés de réflexion sans jamais asseoir de réponses claires, faisant de la quête de réponses et ses répercussions le cœur de son film, il en vient un peu trop à négliger ses personnages et son récit. En dehors de Max, aucun personnage à la possibilité d’exister en dehors de leur fonction. Le film, privilégiant plus sa partie métaphorique que concrète, s’enlise dans des rebondissements téléphonés et des dialogues trop appuyés. Surtout que les acteurs, même si convaincants, n’ont pas vraiment le talent pour transcender ce qui leur est demandé de jouer. C’est vraiment la forme qui ici dynamise un peu l’ensemble. Aronosky montre déjà ce qu’il a dans le ventre avec une mise en scène appliquée et qui digère assez bien ses influences. On pensera à Eraserhead de David Lynch lors des passages oniriques qui se marient assez bien avec l’intrigue, ou encore l’utilisation assez similaire du noir et blanc. Soutenu par la photographie somptueuse de Matthew Libatique, Aronofsky compose un univers visuel foisonnant et riche malgré le minimalisme de l’ensemble. Mouvements de caméra frénétiques pour symboliser l’effervescence du monde, opposés à une snorricam (procédé visant à fixer une caméra sur l’acteur pour qu’il reste fixe alors que le décor bouge) plus intime pour dissocier le personnage de son environnement, Aronofsky cherche la folie visuelle. Que ce soit à travers le rythme effréné des séquences, les inserts sur les manies obsessionnelles de son personnage ou encore l’enrobage musical entêtant de Clint Mansell, le cinéaste pose les bases de ce que sera son langage visuel et sa représentation de la névrose.
Pi est donc une première œuvre fascinante pour ce qu’elle apporte mais maladroite dans sa manière de l’amener. Le cinéaste tombe dans les travers du premier film, à savoir, voulant trop en faire et se perdre un peu dans sa démarche. Mais malgré tout, Pi reste une expérience majeure et originale dans la façon dont il aborde ses thématiques. Le cinéma d’Aronofsky est unique en son genre et Pi s’apparente encore aujourd’hui comme un de ses travaux les plus optimistes (avec son plus récent Noé) où malgré la paranoïa de son récit, l’obsession de son personnage vient interroger le bien-fondé du lâcher prise face aux questions sans réponses. La fin est douce-amère mais fait réfléchir sur la pertinence de profiter des choses simples plutôt que de chercher à les compliquer. Un message inhabituel pour le cinéaste qui s’est lancé de manière audacieuse avec un très bon film qui mérite d’être découvert ou redécouvert.
Pi : Bande annonce
Pi : Fiche technique
Réalisation : Darren Aronofsky
Scénario : Darren Aronofsky, Sean Gullette et Eric Watson
Casting : Sean Gullette, Mark Margolis, Ben Shenkman, Pamela Hart, Stephen Pearlman, Samia Shoaib et Ajay Naidu
Décors : Matthew Maraffi
Photographie : Matthew Libatique
Montage : Oren Sarch
Musique : Clint Mansell
Producteurs : Eric Watson
Distribution : LIVE Entertainment
Budget : 60 000 dollars
Durée : 84 minutes
Genre : thriller
Dates de sortie : 10 février 1999
États-Unis – 1998