Jours de 36 est le deuxième long métrage de Théo Angelopoulos, et le début d’une trilogie consacrée à la Grèce au XXème siècle. Un film dans lequel le réalisateur affirme déjà son style si particulier tout en dressant un portrait politique de la Grèce de son temps.
1972. La Grèce est une dictature militaire, avec toutes les restrictions que cela entraîne sur la liberté créatrice des artistes. Cinéaste profondément politique, Théo Angelopoulos veut, pour son deuxième film, parler de son temps, mais ne peut le faire. Il va donc faire un « film historique » sur un autre moment charnière de l’histoire de son pays : 1936. En août de cette année, le général Ioannis Metaxas instaura une dictature militaire. Le parallèle avec la dictature des colonels instauré en 1967 est flagrant, et le réalisateur va jouer là-dessus.
De même, ne pouvant dire ouvertement ce qu’il a à dire, Angelopoulos va laisser parler sa caméra et non ses acteurs. Jours de 36 est un film avec très peu de dialogues. C’est l’organisation du film, sa structure, qui va parler. Ainsi, dans la scène d’ouverture, ce sont les ouvriers qui peuplent l’écran. Un peu plus loin, des militants distribuent des tracts. Mais, petit à petit, le peuple va déserter le cadre et, au fil du film, ce sont les forces de l’ordre qui vont habiter l’image, jusqu’à ce que les militaires prenne le contrôle du film comme ils le font du pays. Du peuple (démocratie) aux soldats (dictature) : rien n’est dit ouvertement, mais les images parlent d’elles-mêmes. Et le film sera construit sur ce principe, tout en non-dit et en images symboliques.
En mai 1936, un dirigeant syndicaliste est abattu. Son assassin est arrêté mais il va prendre en otage un député venu le voir dans sa cellule d’isolement.
Nous ne saurons jamais vraiment ce qui se passe dans cette cellule : brisant les règles du huis-clos, Angelopoulos laisse sa caméra à l’extérieur de la pièce, nous plaçant dans la même situation que des observateurs extérieurs.
Cependant, nous entrons dans les cabinets ministériels et assistons à la cuisine politicienne dans ce tout qu’elle peut avoir de peu glorieux. Le milieu des affaires met la pression sur le gouvernement, pendant que les politiciens discutent dans le vide. La coalition gouvernementale s’effondre. Leur désunion renforce l’impression d’un vide politique et juridique dont profitera l’armée.
Angelopoulos parvient à nous faire sentir la présence de toutes ces forces politiques qui travaillent la société grecque. Le paysage politique du pays (comme celui de l’Europe dans son ensemble à la même période) semble se polariser de plus en plus entre des militants que l’on imagine de gauche et des revendications de reprise en main de la Grèce par la force. Sous bien des aspects, Jours de 36 fait penser au fameux film de Costa-Gavras Z, qui parle aussi de la prise de pouvoir des colonels en 67 en citant également l’effondrement de la pratique politique dans le pays.
Techniquement, Jours de 36 est déjà typique de cette esthétique si particulière et si reconnaissable de Théo Angelopoulos. Les cinéaste construit son film en une succession de plans séquences structurés et organisés. Jours de 36 est un film très contemplatif, qui semble regarder les événements de l’extérieur, sans y prendre part, sans passion. Nous avons très peu d’action, très peu de dialogues, au point que certains critiquent ont parlé d’une « esthétique du non-dit ». Plutôt qu’un film présentant un fait historique, Jours de 36 joue sur les symboles. Il peut déconcerter par sa façon de ne pas montrer les événements, de jouer sur les ellipses et les allusions.
L’ensemble fait de Jours de 36 un film remarquable qui ne dépareille pas dans la filmographie riche et importante de Théo Angelopoulos. Le film ouvrira une trilogie consacrée à l’histoire de la Grèce du XXème siècle, trilogie continuée avec Le Voyage des comédiens et Les Chasseurs. Il constitue surtout une belle porte d’entrée dans le cinéma unique de ce grand cinéaste.
Jours de 36 : fiche technique
Titre original : Méres tou 36
Réalisateur : Théo Angelopoulos
Scénario : Theo Angelopoulos, Petros Markaris, Stratis Karras, Thanassis Valtinos
Interprètes : Kostas Pavlou (Sofianos), Christoforos Nezer (le directeur de la prison)
Photographie : Yorgos Arvanitis
Musique : Giorgos Papastephanou
Montage : Vassilis Syropoulos
Production : Giorgos Papalios
Société de production : Papalios productions
Société de distribution : Trigon-films
Genre : drame politique
Durée : 105 minutes
Grèce – 1972