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Les cinéphiles du dimanche #1 : Les Dents de la mer, Fantômas, L’Homme qui venait d’ailleurs…

A partir d’aujourd’hui, Le Magduciné vous propose un nouveau rendez vous : celui des « cinéphiles du dimanche ». Une fois par mois, quelques uns de nos rédacteurs vont se réunir pour disserter, analyser et vous faire part d’une petite sélection de films vus ou revus dernièrement. Pour ce mois d’août, entre canicule et petite pluie bienveillante, on vous parle de joyeusetés comme Les Dents de la mer, la trilogie Fantômas ou même de Témoin à charge. Bonne lecture à tous.

Le Mépris de Jean Luc Godard

Le Mépris c’est évidemment la figure mythique de Brigitte Bardot et plus largement même de l’un des couples mythiques du cinéma français qu’elle forme avec Michel Piccoli le temps du film. Grand classique de la Nouvelle Vague, l’oeuvre instaure alors deux manières de procéder courantes de l’époque, celle de mettre en scène directement le cinéma en amenant le spectateur sur un tournage jusqu’aux studios de Cinecitta en Italie puis la libération de la représentation du corps de la femme que Vadim avait déjà largement fait évoluer avec Et dieu créa la femme où la même Brigitte Bardot créait le scandale en dansant le mumba. Le Mépris c’est quelques secondes qui peuvent tout changer, une exploration sociologique du couple comme Godard les fait si bien, un film simple en soi qui capte la vie comme elle est, l’amour comme il tente d’exister et un film qui peut changer des vies, en tout cas la mienne.

Gwennaëlle Masle

Trilogie Fantômas d’André Hunebelle

J’ai enfin découvert la trilogie des Fantômas, pourtant culte, que je n’avais jamais vue. Dans l’ensemble, les trois films ont plutôt mal vieilli. Le premier vaut le coup d’œil, pour son duo De Funès – Jean Marais assez convainquant, bien que les dialogues soient peu inventifs et l’histoire inintéressante. Le concept l’emporte, dirons-nous. Cependant, le deuxième puis le troisième volets tombent dans la caricature, avec un De Funès qui cabotine du mieux qu’il peut pour meubler le vide intersidéral du scénario, jusqu’à en devenir une caricature de lui-même. Jean Marais, quant à lui, est de pire en pire, semblant de moins en moins impliqué. À la limite, le troisième peut s’apprécier encore pour son grand n’importe quoi et son côté too much. Quoi qu’il en soit, Fantômas, c’est bien mieux chez Louis Feuillade avec sa série de films sortis dans les années 1910, et que je vous conseille vivement.

 Jules Chambry 

Témoin à charge de Billy Wilder

Sorti en 1957, Témoin à charge est l’adaptation d’une pièce de théâtre d’Agatha Christie qui connut un grand succès depuis le début des années 50. Réunissant un casting impressionnant : Charles Laughton, Marlene Dietrich et Tyrone Power, Témoin à charge est un suspense judiciaire particulièrement efficace, d’abord par le rythme insufflé par Billy Wilder. Les dialogues sont remarquablement bien écrits, vifs et percutants. Les scènes sont calibrées pour soutenir la rapidité du récit. L’alternance entre l’humour des répliques, la gravité de la situation et le suspense fait merveille. D’abord très drôle, le film devient de plus en plus tendu au fil de son déroulement. La maladie de l’avocat Robarts (Charles Laughton) augmente encore cette tension dramatique : elle est construite en parallèle avec l’évolution du procès ; plus le cas semble désespéré, plus la maladie s’aggrave. Comme souvent chez Wilder, les interprètes sont extraordinaires : Charles Laughton s’amuse à s’escrimer avec Elsa Lanchester (la célèbre Fiancée de Frankenstein), qui incarne son infirmière et qui était son épouse à la ville. Tyrone Power est formidable en accusé un peu naïf qui ne semble pas prendre conscience de la gravité de sa situation. Enfin, Marlene Dietrich est magnifique en femme d’apparence froide qui couve un terrible feu intérieur. L’ensemble fait de Témoin à charge un formidable divertissement, mêlant avec maestria humour, drame et suspense, et dont les dialogues ciselés sont servis par d’excellents comédiens.

Hervé Aubert

Les Dents de la mer de Steven Spielberg

Le film catastrophe a le vent en poupe. De 1972 à 1974, L’Aventure du Poséidon, Tremblement de terre et La Tour infernale se taillent la part du lion au box-office. C’est alors que sort en 1975 Les Dents de la mer, deuxième long métrage de Steven Spielberg, et putatif premier blockbuster de l’histoire du cinéma, annonciateur des tentpole pictures. Le tournage est difficile : les conditions climatiques, les dépassements de budget et une grève des comédiens contraignent le futur réalisateur de Jurassic Park à filmer les premières scènes avant même que le scénario et les animatroniques ne soient achevés. Le script est régulièrement retouché durant la mise en boîte du film, tandis que Bob Mattey (20 000 lieues sous les mers) prend en charge la conception de trois requins en polyuréthane de plus d’une tonne et huit mètres de long. Filmé dans une station balnéaire du Massachusetts, Les Dents de la mer joue sur plusieurs tableaux : la dénonciation d’une certaine sphère politico-économique (on passe sous silence ou minimise les attaques de requin pour ne pas faire fuir les touristes) ; l’apparat technique (raccords dans l’axe, trans-trav, contre-plongées, mise en scène au cordeau) ; le spectacle enfin, porté par les partitions de John Williams, ultra-efficace, et faisant la part belle au suspense et au sens de l’image (mer teintée de sang, bateau en charpie, scène de panique sur la plage). Il en ressort un objet novateur, divertissant, étourdissant parfois, qui se verra bientôt cité des dizaines de fois dans des œuvres aussi diverses que Retour vers le futur 2, Clerks ou Gang de requins.

Jonathan Fanara

L’Homme qui venait d’ailleurs de Nicolas Roeg

Autant l’aventure labyrinthique de Ne vous retournez pas, dans les ruelles nébuleuses de Venise m’avait envoûté, voire crispé avec sa fin assez monumentale, autant le film avec Bowie me laisse de marbre malgré sa beauté de chaque instant. Certes, les qualités graphiques sont là, notamment des scènes de sexe magnifiques, mais pour moi, le film se perd en cours de route, à trop vouloir être illisible et la magie du montage syncopé n’opère pas, surtout par le biais d’une histoire d’amour mal fagotée et un personnage principal neurasthénique. La présence de David Bowie, son physique iconique, happe indéniablement, il bouffe le film de sa classe, on ne peut l’exclure, mais bizarrement le charme se délite au fil des minutes. Derrière ce subterfuge d’une science fiction qui n’en est presque pas une, Roeg utilise avec intelligence sa rock star et son environnement atypique pour parler de célébrité, de solitude, et de l’aliénation humaine et sa manière d’imaginer la marginalité mais semble parfois vouloir trop se reposer sur les épaules de l’aura de son acteur pour faire saisir les choses. On sent que le film est une grosse influence d’Under The Skin, mais là où le film de Glazer utilise l’image pour dévoiler sa limpidité (ou sa simplicité), L’Homme qui venait d’ailleurs se perd dans un récit qui multiplie des pistes dans le vide.

 Sébastien Guilhermet 

La Piste des géants de Raoul Walsh

Parmi les westerns fondateurs, on comptera plusieurs films de John Ford, comme Le Cheval de fer ou Trois Sublimes Canailles, mais aussi La Piste des géants de Raoul Walsh, qui partage avec son confrère, en plus d’être borgne lui aussi, le talent pour peindre de grandes fresques de l’ouest américain. Ici, c’est John Wayne qui tient le premier rôle, et qui, 18 ans avant La Rivière rouge, va déjà servir de guide (dans une version bien moins ambivalente) à un convoi lancé vers des terres inconnues. Les paysages sont sublimes, la reconstitution est époustouflante de réalisme et d’immersion, et le film propose quelques moments de bravoure inoubliables. Dans la neige, sous la pluie, les pionniers avancent et mettent leur vie en péril au nom de leur « terre promise ». Une aventure d’un classicisme absolu, arrivant à la fin du – premier – règne du western et au début du cinéma parlant, pétri de maladresse mais éblouissant d’ambition.

Jules Chambry

Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio

Film. Documentaire. Expérimental. La fiche Wikipédia de Koyaanisqatsi donne de premiers indices sur la nature complexe de l’œuvre réalisée par Godfrey Reggio. La description reste toutefois insatisfaisante. Le premier volet de la trilogie QATSI occupe en effet une place singulière dans l’histoire du documentaire. Et pour cause : fait de collages de prises de vues réelles, d’images de synthèse et d’extraits publicitaires, le long métrage se veut en outre généreux en time-lapse. Késako ? Il s’agit d’un effet accéléré réalisé sur une grande série de clichés d’un même focus, prises à intervalles réguliers. Un dispositif formel employé pour la première fois à cette échelle. « Le langage n’est plus capable de décrire le monde dans lequel nous vivons », affirmait jadis Godfrey Reggio en évoquant le titre de son film, inspiré de vocables issus d’une tribu amérindienne. Ça tombe plutôt bien : si le vocabulaire ne permet plus de donner la pleine mesure de « la folie de la vie » (traduction de Koyaanisqatsi), ce documentaire expérimental y parvient avec maestria, en présentant la nature et la civilisation sous un jour nouveau, soumis aux diktats de l’évolution, du mouvement et, naturellement, de l’anthropocène. C’est par l’emprise des sens, très sollicités ici, que notre conception du monde pourra être redéfinie touche par touche. « On peut écrire des chiffres, 2 degrés de plus, on peut écrire les choses comme ça, mais on ne peut pas se les représenter », affirmait récemment le spationaute Thomas Pesquet. « Ce qu’il faut, c’est en faire l’expérience avec ses sentiments. » N’est-ce pas précisément en cela que Koyaanisqatsi demeure si précieux ? Cerise sur le gâteau : Philip Glass y fait ses débuts en tant que compositeur de musiques de films.

Jonathan Fanara

La Guerre des boutons de Yves Robert

Revisionnage d’un classique que je n’avais plus vu depuis des lustres, La Guerre des boutons m’a laissé un petit goût de frustration. Comme si derrière l’indiscutable sympathie que le film et les acteurs dégagent, se cachait un académisme trop visible qui empêchait l’ensemble de décoller. Une comédie qui se savoure encore et encore, en famille ou en vacances, présentant son lot de répliques et de scènes cultes, mais qui ne dépasse jamais le rang de « simple » divertissement. Il y aurait sans doute eu mieux à faire, quitte à traiter de la jeunesse dans les campagnes. À moins que le matériau d’origine ne porte déjà lui-même ces limites ?

Jules Chambry