A l’orée des années 2000 en France, loin des peurs millénaristes, de Titanic et des fins du Monde, une gourmandise de film nostalgique est sortie d’un marais en bottes après sa partie de pêche à la grenouille. Les enfants du marais, c’est une déclaration d’amour à la nature par le cinéma, dans laquelle on rêve de s’ennuyer encore un peu, du sépia plein les yeux.
Synopsis : « On est des gagne-misère, mais on n’est pas des peigne-culs », telle est la philosophie de Garris, homme simple, généreux et quelque peu poète qui vit au bord d’un étang avec son ami Riton, qui élève trois enfants turbulents issus de son second mariage. Riton, de temps en temps, noie son chagrin dans le vin rouge pour tenter d’oublier sa première femme, son grand amour. Autour d’eux il y a également Amédée, un rêveur passionné de lecture, Pépé, un ancien du marais devenu riche, et Tane, le conducteur du petit train local. Un jour, Garris rencontre une jeune femme, Marie.
Le marais, ce réseau local
Dans la foulée des rediffusions de La gloire de mon père et du Château de ma mère (Yves Robert, 1990) on en aurait presque oublié que les cigales et les oiseaux chantaient aussi à côté du cinéma patrimonial, dans des œuvres bras dessus bras dessous avec ces grands classiques mis en images. Les enfants du marais naît de cette mouvance du cinéma hexagonal parlant d’une génération à une autre d’un pays en pleine mutation. 1999, c’est la grande bulle internet qui vient tout juste d’exploser, des jeunes déjà partis depuis vingt ans dans les grandes villes et des ruralités naturellement paumées.
« Je suis bien content d’être venu ! »
Les enfants du marais posent leurs arpions dans les sentiers, direction la pêche, les ballades et la flemme dans la nature. Garris, incarné par Jacques Gamblin, c’est le bonhomme qui bosse juste ce qu’il faut, désenchanté par la civilisation qui court derrière lui. Adieu les femmes, que pleure Riton (Jacques Villeret), les héritages, la transmission : la nature seule peut épouser les âmes heureuses de s’y perdre. Au fond, la vie, la vraie, c’est quoi ? Pêcher de quoi faire deux repas par jour, vendre deux poissons pour se payer la petite bouteille de rouge qui éclaire les repas pris à la volée. Rien de plus. Amédée (André Dussollier) sourit de toutes ses dents : c’est lui qui répète à foison « Je suis bien content d’être venu » comme un mantra, passant sur ses manières d’érudit de la ville pour se risquer à découvrir la vie sauvage.
Dame nature…
Jean Becker est né en 1933 et n’a pas seulement connu les marais dans les livres d’école. Pour cette génération marquée par la guerre, l’exode est un rapport au rural profondément fusionnel. Aucune autre génération du 20e siècle n’a ainsi vécu ce rapport et cet échange avec une nature nourricière comme celle des enfants des années 30 et 40, perdant les villes pour gagner les champs. Ces enfants ont grandi en redécouvrant les topinambours, les légumes oubliés, palliant les repas plus riches, reprenant à leur compte les activités campagnardes déjà en voie d’être marginalisées avant le choc de la Seconde Guerre mondiale : la chasse, la pêche, avant le grand exode rural des années 50.
…En souvenirs
L’action des Enfants du marais se situe en 1932. Racontée en voix off par la regrettée Suzanne Flon au moment où les marais du titre ont été asséchés pour devenir un supermarché, dévoile t-elle, gentiment sentencieuse. La nature dévoilée pendant 115 minutes est enchantée, contée, c’est tout le parti pris de ce film embaumant des souvenirs en les enjolivant. Ces marais ne transmettent pas de maladies comme ceux de Ridicule, en 1995, menant un noble à la cour du roi pour financer leur assèchement. Ces marais sont la nature mise en scène comme la vérité d’un instant, une nostalgie prenant corps dans les roseaux : quand Pépé (Michel Serrault), l’industriel renouant avec ses racines et son enfance, transmet son art de la pêche à la grenouille, on oublie la boue sur les pattes, les odeurs assommantes et les longues heures d’attente. La nostalgie devient magie, fantastique quand elle occulte la peste des années 30 qui naît bien lointaine (« Hitler sera certainement chancelier », y entend-t-on dans un bar, évasif) pour recentrer le vrai sens de l’Histoire là où tout a, semble t-il, commencé.
Sépia si mal
Le syndrome Amélie Poulain, en urbanité idéalisée, avait déjà touché d’autres films ruraux français, adaptés ou non de récits classiques, pour styliser une campagne parfaite. Jean-Pierre Jeunet chassait les tags parisiens pour les effacer dans ses plans, Jean Becker chasse les angoisses de son marais pour les mener dans cet au-delà diégétique qu’il voulait, ce monde lointain des grenouilles, de l’accordéon et des repas estivaux partagés entre copains sur un coin de nappe. La nature magnifiée est ici mentale, proche cousine de celle qu’on découvre en quittant nos villes aujourd’hui, heureuse de tendre la main aux contes de ces petits et grands enfants qu’on sera tous ravis d’inviter lors de nos futures promenades. Le récit est une mémoire, qu’on dessine au cinéma plus qu’ailleurs. C’est somme toute naturel.
Bande-annonce
Fiche technique
Titre : Les Enfants du marais
Réalisation : Jean Becker
Scénario : Sébastien Japrisot, d’après le roman éponyme de Georges Montforez
Producteur : Christian Fechner
Musique : Pierre Bachelet
Photographie : Jean-Marie Dreujou
Montage : Jacques Witta
Décors : Thérèse Ripaud
Producteur délégué : Hervé Truffaut
Régisseur : Denis Brunel
Sociétés de production : Films Christian Fechner, UGC Images, France 3 Cinéma, Rhone-Alps Films
Budget : 9,24 millions d’euros
Pays d’origine : France
Format : Couleurs – 1:66 – 35 mm – Dolby Digital et DTS
Genre : Comédie dramatique
Durée : 115 minutes
Date de sortie : 3 mars 1999