À l’occasion du cycle sur l’enfermement au MagduCiné, Le Silence était tout désigné. Ce film essentiel est un prélude parfait à la carrière d’Ingmar Bergman. En pleine maitrise de son cinéma, le réalisateur nous livre une œuvre autobiographique sur les traumatismes, causés par une cellule familiale destructrice, auxquels il a échappé. L’obsession, la névrose et l’aliénation, tant de représentations mentales que Bergman dilue dans un récit mêlant onirisme, désirs et pulsions.
L’ancêtre de l’Overlook
Dans un hôtel chimérique et isolé, dont Stanley Kubrick s’inspirera pour son Shining, le Suédois offre un cinéma audacieux et indiscipliné, vivement censuré en 1963 pour sa dimension sexuelle. Des yeux d’un enfant, se livrant à travers lui, Bergman nous emmène dans un voyage initiatique à la jonction du réel et de l’abstraction. Une ambiance morbide et minimaliste où deux sœurs, s’enfermant dans un environnement étrange et obscur, se font la guerre. L’une fiévreuse et désirante, qui pèse et domine sa sœur entre jalousie et désir incestueux. L’autre, mère d’un jeune garçon ici intermédiaire, affirmant une sexualité désinvolte à l’envie intarissable.
Un cinéma d’avant-garde
Enfermant les corps dans un noir et blanc d’exception à la technique sans précédent, Sven Nykvist opère la quintessence de son travail photographique seulement trois années avant la postérité de Persona. Sculptant les visages avec une aisance rare, le chef-opérateur travaille l’imperfection de la pellicule et ouvre la porte aux non-dits et aux performances sensuelles d’Ingrid Thulin et Gunnel Lindblom. Dans Le Silence, Bergman se plie aux désirs et aux manques de ses protagonistes laissant apparaitre narrativement et visuellement les réalités psychiques, une proposition prodigieuse à l’époque.
L’itinérance
Chaque personnage, errant dans un huis-clos malsain, puise dans cette réalité alternative et déformable, celle-ci s’équilibrant dans un circuit fantasmagorique qui reste tangible et abrupt. C’est le cas du jeune Johan se confrontant et laissant se manifester ses peurs et ses besoins. Il trace aussi son propre chemin et trouve son équilibre dans cet hôtel mystérieux. L’innocence de l’enfance lui permettant de s’exiler et d’expérimenter sa propre solitude, celui-ci étant livré à lui-même. Une itinérance émancipatrice et créatrice, cela ne l’empêchant pas de conserver un lien fort avec les deux femmes claustrées par leur solitude respective.
L’émancipation
La mère, d’abord, celle-ci assumant une relation charnelle et torride avec un inconnu, et la tante et sœur diminuée, ne trouvant qu’un maigre salut dans la masturbation et l’alcool. Le Silence frappe par son pessimisme, ses absences et l’autodestruction auxquels s’adonnent les deux femmes. Il n’en reste pas moins un sommet de volupté et de sensualité. C’est aussi et in fine un récit d’émancipation. Le jeune garçon se libérant d’un monde toxique et incestueux, laissant derrière lui une halte où les pulsions et la névrose étaient reines. L’imaginaire et le fantastique y auront convoqué les limites de cette cellule familiale mortifère.
Bande Annonce — Le Silence
Synopsis : Deux soeurs, Anna et Ester, voyagent dans un pays dont elles ne comprennent pas la langue et qui est en guerre. La fragilité nerveuse d’Ester les oblige à s’arrêter pour quelques jours dans un hôtel géré par un personnage fantomatique.
Fiche Technique — Le Silence
Titre original : Tystnaden
Réalisation : Ingmar Bergman
Scénario : Ingmar Bergman
Directeur de la photographie : Sven Nykvist
Suède – 1963 – 1h36
Avec Ingrid Thulin, Gunnel Lindblom, Jörgen Lindström
Sortie le 23 septembre 1963