fracture-l-heure-de-la-sortie-cinema-ecole

Ecole et cinéma : l’échec de l’institution raconté par L’Heure de la sortie et Fracture.

Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné

Quand le cinéma s’empare du sujet de l’école, c’est aussi et avant tout pour parler de la société. En effet, qui peut prétendre aujourd’hui que les deux ne sont pas intimement liées ? Dans son dernier film, La vie scolaire, Grand Corps Malade parle autant d’un collège REP que d’une cité qui va mal parce que ses habitants s’y sentent abandonnés. Aujourd’hui qu’on prétend donner à l’école un rôle majeur, qu’elle semble devoir tout pouvoir, tout construire, intéressons-nous au cinéma qui dit aussi parfois l’échec de l’école comme de la société. Pour cela, deux œuvres seront mises en parallèles : L’Heure de la sortie (Sébastien Marnier, 2018) et Fracture (Alain Tasma, 2010).

Maître professeur sur son estrade perché

Pour réussir un film sur l’école, il faut d’abord une figure de professeur. Quelqu’un qui claque à la Ariane Ascaride dans Les Héritiers. Un personnage avec du charisme, car personne ne veut d’un professeur sans charisme, ni les élèves, ni les spectateurs. Dans Fracture, c’est l’encore toute jeune et superbe Anaïs Demoustier qui joue ce rôle. Elle incarne une jeune professeure d’histoire-géo encore pleine de rêves et d’ambition dans l’exercice de son métier. Dans le film de Sébastien Marnier, ce rôle est dévolu à Laurent Laffitte. Nous ne sommes pas du tout dans la même ambiance, puisque Pierre est un professeur déjà chevronné qui intègre un prestigieux collège. Deux ambiances donc, de la REP aux grands établissements, des styles différents mais pour un même constat : quelque chose cloche.

Violence

L’Heure de la sortie lorgne clairement du côté du fantastique en mettant le professeur dans des situations tendues jusqu’à son domicile dans lequel il observe des phénomènes à la limite de la frontière entre irréel et réel. Quant à Anaïs Demoustier, elle s’engage pour un poste difficile avec un manque cruel d’expérience. Alors, c’est dur et elle est souvent malmenée. Dans les deux cas, c’est la violence parfois frontale, parfois plus insidieuse qui domine. La question est donc simple, la réponse un peu moins : comment enseigner, former de futurs citoyens lorsque leur avenir est incertain et qu’il n’est pas du tout sûr qu’ils feront société ? D’un côté, le constat écologique sévère, amère. De l’autre, l’exclusion sociale, les perspectives peu fiables.

La mise en scène choisie par Alain Tasma est frontale, réaliste, elle est au corps à corps avec ses personnages. La lecture est aussi plus « terre à terre » puisque nous sommes dans un produit construit pour la télévision. Cependant, il y a un souci de réalisme, plus que de recherche absolue du positif, qui marque dans le film.  Le professeur incarné par Anaïs Demoustier lira d’ailleurs un poème de Victor Hugo pour faire écho aux souffrances de ses élèves : « Oh ! je suis avec vous ! j’ai cette sombre joie. Ceux qu’on accable, ceux qu’on frappe et qu’on foudroie ». C’est de ce côté-là clairement qu’est Fracture et ce n’est pas l’école, la médecine ou qui que ce soit d’autre qui peut y faire grand-chose. Les discours tombent à l’eau exactement comme quand Noémie explique, dans la dernière saison de Dix pour cent , pourquoi le film de Beauvois qu’elle défend est en apparence si violent. Et pose cette question fondamentale : c’est quoi la vraie violence ? Et au final que peut l’école contre cela ?

Tant qu’il y aura des élèves

Tout film sur l’école a, aux côtés du professeur, des élèves qui incarnent eux aussi une vision. Nous ne sommes pas dans une énième version optimiste de l’unique élève qui s’en sort et fait oublier l’échec. Non, les deux films regardent le monde en face. Les élèves qui sont présentés ici sont en perte de repères et ce n’est pas l’image que leur renvoie l’école qui y change quelque chose. L’Heure de la sortie suggère même que la  vision des élèves est en quelque sorte prophétique. Lakdar (héros aux ailes brisées de Fracture), quant à lui, a une vision claire de son avenir ruiné par un accident qui a brisé son rêve. On voudrait lui faire croire que tout est possible mais il sait que c’est faux. Le téléfilm porte bien son nom : fracture.

C’est de cela qu’il est question, comment quelque chose se brise entre l’élève et l’école. Comment elle serait à repenser en fonction même de cette fracture qui tente d’être cachée, contournée. L’Heure de la sortie commence par le suicide d’un professeur, qui saute par la fenêtre en plein cours. C’est une métaphore aussi grande que celle portée par la fin de Polisse (Maïwenn, 2011) ou encore que par La Haine : l’image d’une société qui tombe, qui tombe et qui tant que l’impact entre elle et le sol n’a pas eu lieu pense encore que tout va bien. Ici, les élèves se lèvent et disent que non, tout ne va pas bien et que c’est peut-être à eux, enfin, de prendre leur avenir en main sans compter sur un système. Peut-être iront-ils eux aussi droit dans le mur, mais au moins auront-ils essayé enfin de penser par eux-mêmes. Le professeur n’est donc plus en surplomb : il est autant regardé par la classe/l’élève qu’il ne tente d’aider la classe/l’élève à avancer. Car n’est-ce pas le plus grand rêve de l’école que de faire accéder ses élèves à l’autonomie de pensée et d’action ? Et, quoi de mieux que le cinéma pour soutenir cette révolution !

Bande annonce : L’Heure de la sortie

Bande annonce : Fracture

Reporter LeMagduCiné