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Ces fins de film qui nous inspirent, nous galvanisent (2ᵉ partie)

Qu’elle nous laisse sans voix, qu’elle nous laisse en larmes, qu’elle nous déçoive ou nous mette en colère, qu’elle nous plonge dans le désarroi ou que l’on ait besoin de la regarder une deuxième fois pour la comprendre, pour l’accepter ou pour l’admirer, la fin d’un film est souvent un grand moment de cinéma et d’émotion. La rédaction du MagduCiné vous confie la suite de sa sélection, forcément subjective et servie avec spoilers, de ces dernières minutes de cinéma qui ont chaudement marqué leur sensibilité et leurs esprits.

Mad Max: Fury Road : retourner à la source pour réparer le monde

Quand Mad Max: Fury Road est sorti en 2015 au cinéma, je me suis rendue quatre fois en salle pour le voir. Je n’avais pas vécu ça pour un blockbuster depuis la sortie de Titanic en 1997. J’y suis allée seule, avec mon compagnon de l’époque, avec mon petit cousin, avec des amies. Si j’avais pu y emmener ma grand-mère, je l’aurais fait. Mon engouement pour le film de George Miller venait de plusieurs choses : pour son montage captivant, pour la beauté de ses effets spéciaux, pour l’emprunt qu’il faisait à diverses mythologies, pour ses personnages féminins forts et courageux, pour les performances de Charlize Theron (Furiosa) et de Tom Hardy (Max), pour sa résonance avec des sujets actuels allant de la crise de l’eau à l’objetisation des corps féminins, pour la démesure de ses chorégraphies et, enfin, pour son univers à la fois fantastique et férocement réaliste. J’étais saisie par l’énergie débordante, presque asphyxiante, du film et par le regard posé par le réalisateur sur ce que pourrait devenir une société patriarcale où les femmes seraient réduites à un rôle procréateur et où les ressources naturelles seraient accaparées par une élite violente et guerrière. Je me souviens aussi que la fin du film, qui nous emmène littéralement dans une autre direction au bout d’une heure trente de course folle, m’avait captivée et qu’elle avait suscité chez moi beaucoup de questionnements et réflexions.

Sur plusieurs points, le film de Miller me rappelait une autre œuvre dystopique qui m’avait profondément marquée quelques années plus tôt : Children of Men (2006) d’Alfonso Cuarón. Malgré leur esthétique, leurs enjeux et leurs ancrages spatiaux temporels différents, les deux films ont en commun de mettre en scène un héros masculin sans espoir, vivant dans un univers chaotique, ultra-violent et déshumanisé, qui se trouve associé, un peu malgré lui, à une quête qui le dépasse au départ et pour laquelle il va finir, après en avoir saisi toute l’importance, par s’investir corps et âme. Les deux films peuvent être vus comme des road-movies d’un genre nouveau, des sortes d’épopées post-apocalyptiques, des voyages mystiques et initiatiques qui dessinent un chemin allant du désespoir vers l’espoir (l’espoir dans Mad Max étant la Terre Verte et dans le film de Cuarón le navire-hôpital Tomorrow qui pourra recueillir la première femme sur terre, interprétée par jouée par Claire-Hope Ashitey, ayant donné vie à un enfant après que l’humanité ait été plongée dans vingt ans d’infertilité).

Chez Miller comme chez Cuarón, nous suivons, le souffle court, les protagonistes pris dans une fuite qui semble sans issue. Si le chemin de la fuite est linéaire dans Children of Men (le héros incarné par Clive Owen réussit, après moult épreuves difficiles, à atteindre le bateau qui surgit du brouillard pour récupérer la mère et l’enfant), la fin de Mad Max: Fury Road surprend par son virage à cent quatre-vingts degrés. Après avoir fui et combattu dans le désert les armées d’Immortan Joe, les protagonistes décident de faire marche arrière. Les héros finissent par accepter que la Terre Verte, qui était l’oasis d’espoir à atteindre pour Furiosa afin de recommencer une nouvelle vie et de mettre les épouses de Joe en sécurité, n’existe pas, ou plus. La Terre Verte n’est qu’un souvenir. L’espoir, en réalité, se trouve au cœur de l’endroit que Furiosa, Max et les épouses fuient depuis le départ : la Citadelle. C’est là que se trouvent, monopolisées par une poignée d’hommes, les ressources, les richesses, la possibilité d’un avenir meilleur. Ce que nous dit le film c’est qu’il n’y a pas d’autre monde à espérer, il n’y a pas d’oasis, il n’y a pas d’ailleurs. La fuite, dans ce film, permet le retour. Elle est aussi un chemin qui permet de consolider les solidarités afin de revenir plus fortes et plus forts que jamais pour affronter ce que nous avons quitté. La fin de Mad Max: Fury Road résonne en nous avec ce puissant message politique et écologique : c’est par un retour à la source, par un retour au point d’origine, qu’il sera possible de lutter et d’agir pour se réparer soi-même et réparer le monde.

Elsa Guyot

Quand Adam (ne) rencontre (pas) Harry


Sans jamais nous connaître (All of Us Strangers) est un film peuplé de fantômes. Des figures, qui hantent le personnage principal, s’y déploient. Reclus dans un immeuble encore inhabité, Harry traîne sa mélancolie. Il fallait donc une conclusion digne de cette plongée mélancolique dans la vie d’un homme brisé. D’ailleurs, il est question pour lui de rattraper le temps perdu avec les fantômes de ses parents qu’il va visiter en secret. Les non-dits autour de son homosexualité et de son coming out à rebours sont au centre de leurs conversations.

La mort hante ce film magnifique teinté d’imaginaire. Pourtant, lorsqu’Adam rencontre Harry, le spectateur est si subjugué par cette histoire d’amour tendre et lunaire qu’il en oublie le titre « sans jamais nous connaître ». On se laisse donc happer dans ce tourbillon qui redonne vie à Adam, sans l’empêcher pourtant de continuer à vivre dans son passé, s’accrochant toujours aux figures parentales jusqu’à l’excès.

À la toute fin, lorsqu’Adam a dit adieu à ses parents et retourne, croit-on, se réfugier dans les bras de Harry, la scène de leur rencontre nous revient en mémoire. Harry avait frappé à la porte d’Adam, passablement éméché, et Adam l’avait éconduit, bien qu’intrigué. Cette scène aura été leur seule et unique confrontation. Jamais ensuite ils ne se sont côtoyés ailleurs que dans l’esprit d’un Adam trop malheureux pour s’ouvrir à la nouveauté. Lorsqu’Adam pénètre dans l’appartement d’Harry dans les derniers instants du film, tout devient presque palpable par le spectateur : l’odeur de la mort, la solitude profonde qui suinte sur tous les murs du lieu de vie d’Harry ou plutôt de son tombeau. Pourtant, la force du lien entre Adam et Harry est plus forte encore dans son inexistence. Voici la force de cette fin : faire exister une romance qui est pourtant mort-née, raconter une époque d’extrême solitude. La faire vibrer encore plus fort que si elle avait été véritablement la renaissance d’Adam, seul véritable fantôme. Cette fin offre tout pouvoir à l’imaginaire, et en montre aussi les limites à une époque ou tout est accessible sans sortir de chez soi. N’oublions pas qu’Adam écrit un scénario sur son enfance, d’où ces allers-retours dans son passé. La vie et la mort sont à jamais mêlées en une étreinte brisée.

Chloé Margueritte 

The Usual Suspects : le diable s’habille en Verbal Kint

Usual Suspects (réalisé par Bryan Singer, sorti en 1995) est de ces thrillers policiers que l’on souhaiterait effacer de notre mémoire pour pouvoir se délecter à nouveau de leur dénouement, comme la première fois. De prime abord, le film suit le schéma classique d’un bon thriller policier, une sorte de whodunnit au ton 90’s. Dans une salle d’interrogatoire, Verbal Kint (Kevin Spacey, Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour Usual Suspects), un petit criminel infirme, seul survivant d’un récent massacre, raconte à l’inspecteur Kujan (Chazz Palminteri) comment, ses quatre associés et lui, se sont retrouvés au cœur de la récente boucherie, visiblement orchestrée par un homme que personne n’a jamais vu, mais dont tout le monde connaît le nom : Keyser Söze. Pendant une heure et quarante-six minutes, le spectateur, à l’instar de l’inspecteur, est tourmenté par une seule préoccupation : mais qui est donc Keyser Söze ?

C’est la narration qui donne au dénouement d’Usual Suspects tout son cachet légendaire. Avec une succession de flashbacks, d’indices et de probabilités, le film propulse le spectateur dans une histoire complexe et mélangée. La construction non linéaire du film nous pousse à analyser chaque détail de l’histoire contée par Kint pour arriver à une conclusion sur l’existence (ou la non-existence) et l’identité de Keyser Söze. S’ajoute à cela, le pathos du personnage de Kint, un petit criminel infirme et béat, qui détourne immédiatement quelconque suspicion. Dès lors, le spectateur néglige les éléments objectifs qui sont sous ses yeux tout au long du film. Lorsqu’à la fin de l’interrogatoire, l’inspecteur laisse partir Kint, c’est une sorte d’Eureka qui habite le spectateur. C’est lui. Keyser Söze. La performance de Kint est en fait un grandiose spectacle d’improvisation. Tous les éléments utilisés dans son récit sont en fait des éléments aléatoires piochés dans le bureau de l’inspecteur Kujan (marque de vaisselle, article de journal, etc.). L’inspecteur réalise alors qu’il a laissé partir le criminel le plus recherché, et nous le réalisons avec lui.

« Le coup le plus rusé que le diable ait réussi, c’est de convaincre tout le monde qu’il n’existe pas ». Cette réplique culte capture l’essence du film. Kint est libre et sa démarche boiteuse et son regard semblent narguer le spectateur qui, jusqu’à la dernière minute, a été berné. Ce dénouement d’exception transforme alors immédiatement ce qui semblait être un thriller policier banal en œuvre cinématographique d’anthologie. C’est d’ailleurs ce qui a valu à Usual Suspects l’Oscar du meilleur scénario original en 1996.

Kenza Zouham-Culcasi

Body Double ou la revanche du héros loser

L’image du héros américain des années 1980 est largement connotée et soumise à un certain nombre de clichés réducteurs. Ce dernier devait être généralement vaillant, affronter des dangers extraordinaires, être charismatique et réaliser de grands exploits. Il existe pourtant une autre catégorie de héros, plus modestes, moins spectaculaires, plus imparfaits. Tel est Jake Scully, acteur de troisième zone claustrophobe témoin malgré lui d’un meurtre sanglant et entrainé à son corps défendant dans une aventure qui le dépasse. Il parviendra finalement à identifier le criminel coupable (qui n’était autre que son supposé ami Sam Bouchard) et à sauver la jeune Holly Body, non sans beaucoup de mal et une lutte intense. Il s’agit surtout d’une lutte contre ses peurs puisque, tombé dans un trou et menacé d’être enterré vivant, il doit se battre contre sa claustrophobie et se relever pour affronter le danger.

Au-delà du fait qu’il ait démasqué un criminel (qu’il n’élimine d’ailleurs pas vraiment lui-même) et sauvé l’héroïne, Scully a avant tout remporté une victoire sur lui-même, vaincu ses démons et s’est réaffirmé en tant qu’homme ainsi qu’en tant qu’acteur comme l’illustre le générique de fin qui contribue à brouiller la limite entre réalité et fiction. On reconnait bien là le typique héros De Palmaien, lui-même héritier des héros hitchcockiens : des hommes ordinaires, imparfaits et peu sûrs d’eux, confrontés à des situations extraordinaires avec, touche personnelle, une pointe de grotesque confinant à l’autodérision, typique du réalisateur (du moins jusqu’à la fin des années 1980). Dans ce film du roi du thriller néo-noir, pas besoin de terrasser des hordes d’ennemis ou de sauver le monde, vaincre sa claustrophobie et démasquer un voisin meurtrier sont déjà des exploits dûment salués.

Jean-Paul Toorop

Runaway Train ou la fin du happy end des années 80 ?

S’il est un lieu commun unanimement attribué aux films américains des années 1980 et 1990, c’est bien le happy end, cette fameuse fin heureuse, rassurante et consensuelle qui voit le ou les héros triompher en tout et le ou les méchants battus et punis. De fait, il est vrai que c’est une formule qui était largement dominante sous différentes variantes, mais avec une issue identique. Il existe pourtant quelques exceptions durant cette période et la plus notable d’entre elles est sans doute la fin de Runaway Train d’Andrei Konchalowsky. Produit par la Cannon de Golan et Globus, le film voit, à la fin, le personnage de Manny, détenu coriace et parfois violent (incroyable Jon Voigt alors à contre-emploi) choisir de se sacrifier en séparant la locomotive du train fou où il est embarqué des wagons où sont restés Buck et Sara (Eric Roberts et Rebecca de Mornay) afin de les sauver. Ainsi, blessé, affaibli, il va vers une mort certaine, entrainant avec lui son ennemi, le sadique et implacable gardien Ranken qui a tenté de l’arrêter.

Il est alors difficile de voir une issue heureuse à ce road-movie, mélange de film catastrophe et de drame social, puisque l’un des personnages principaux y disparait tragiquement, laissant les deux autres désolés. On peut certes y apporter une nuance en précisant que Manny perd sa vie, mais garde sa liberté, lui qui tentait de s’évader de prison pour la troisième fois, et, surtout, gagne son humanité alors que, jusqu’ici, il se caractérisait surtout par son esprit dominateur, parfois violent. Le film est donc très anticonformiste, d’autant plus par rapport aux critères de l’époque, puisqu’il montre que les héros ne sont pas purs, qu’ils peuvent être très ambivalents même et qu’ils peuvent mourir, devenant ainsi réellement héroïques. Des films comme Runaway Train rappellent donc que, même dans les années 1980, il pouvait y avoir des fins tragiques dans le cinéma américain. Tragique, mais néanmoins positive, puisque ce sont des valeurs humaines qui triomphent telles que le courage, le dévouement et le sens du sacrifice.

Jean-Paul Toorop

Heat : duel pour l’éternité


Dans la clarté blanche du tarmac de l’aéroport international de Los Angeles, éclairé par le départ des avions et des horizons infinis, deux hommes scellent un lien éternel. Il s’agit là de deux titans du cinéma, Al Pacino dans le rôle du lieutenant obsessionnel Hanna, et Robert De Niro, incarnant le braqueur professionnel McCauley. Dans les derniers instants de Heat, parmi les containers dans un désert nocturne, ils se pourchassent en silence, dans l’ombre de l’agitation urbaine oppressante et sous les reflets anamorphiques de la Cité des Anges. Deux légendes incontournables au sommet, dont la rencontre à l’écran avait créé l’événement en 1995, offrant une connexion précieuse, si rare dans le paysage cinématographique outre-Atlantique. Dans cette séquence finale, alliant une grande technicité technologique à une poésie sans pareille, ces deux icônes contribuent à l’apogée de la filmographie de Michael Mann, qui n’a jamais si bien accompli ses intentions de réalisateur.

Dès le départ, le cinéma de Michael Mann a toujours accordé une place de choix aux acharnés, aux obsessionnels et aux âmes compulsives. Qu’ils excellent dans leur domaine, qu’ils soient consumés par une solitude exacerbée ou qu’ils éclipsent voire sacrifient leurs proches (surtout les femmes qui n’en restent pas moins incarnées), tous ces personnages partagent des traits et une trajectoire similaires. Dans Heat, cette destinée est sublimée par l’affinité entre Hanna et McCauley, deux archétypes éternels (et crépusculaires) du shérif et du bandit, hérités du western américain. Une relation de destinée cinématographique, promise à la tragédie, que le cinéaste modernise et transcende dans un dernier plan mythique, après les deux détonations et la connexion, l’acceptation et la résignation qui se fait main dans la main.

Pour Michael Mann, cette subtile relation a été le point de départ d’une réécriture de ses premiers jets de Heat, comme il l’a souligné dans son commentaire audio : « Neil McCauley et Vincent Hanna sont les deux seules personnes sur la planète tout à fait semblables l’une à l’autre. Dans l’univers du film, seuls ces deux-là sont pleinement conscients de ce qu’ils sont. Et cette intuition, lorsque je l’ai eue en écrivant la dernière image du film, c’est ce qui a fait que tout le reste du projet s’est mis en place. […] J’ai tout réécrit à partir de ce dernier instant. C’est en fait la dernière image du métrage. En travaillant à rebours, tout a conduit à ce moment de connexion entre eux deux. » À la fin, c’est dans cet espace intime, chargé d’importance autant pour ses anti-héros que pour l’éclosion des thématiques chères à Michael Mann, que s’est manifesté un chef-d’œuvre.

Ewen Linet