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Queens de Lorene Scafaria où l’arnaque en talons hauts

Antoine Delassus Rédacteur LeMagduCiné

Sur le papier, Queens avait tout d’un projet mineur en dépeignant à l’écran une magouille où des strip-teaseuses ont réussi à faire la nique à des requins de la finance. C’était sans compter sur sa réalisatrice Lorene Scarafia, sans doute bien influencée par l’œuvre de Martin Scorsese, qui accouche ici d’un joli portrait de femmes, à la fois combatif et empli de résilience ; le tout dans une forme électrique et à l’énergie somme toute euphorisante. 

Chez nos confrères du Québec, le long-métrage de Lorene Scarafia a pour titre Arnaques en Talons. Une dénomination éminemment réductrice (quoique drôle) tant on sent derrière ce titre, une volonté de ramener nos héroïnes à quelque chose de palpable, de petit, comme pour mieux les maîtriser. Une erreur de transcription manifeste qui incarne pourtant, et c’est là que ça en est vraiment drôle, l’idée majeure du film : puisqu’ici, nos génies du crimes ne sont pas des cols blancs bien friqués ou des petites frappes aux cheveux gominés mais bel et bien des strip-teaseuses. Autrement dit, des femmes soi-disant de petite vertu et bombardées comme étant selon l’inconscient collectif, de vulgaires écervelées. Un cliché qui à l’ère des grands courants féministes (#MeToo notamment) n’avait plus lieu d’être selon sa réalisatrice, qui sous couvert de relater ce fait divers somme toute incroyable, en a profité pour donner à voir quelques portraits de femmes pas piqués des hannetons ; comprendre ici, vrais et sans artifices.

Un puissant portrait de femme…

Et c’est bien sur ce point que le film s’affirme comme une bonne surprise. Déjà parce que la présence d’une réalisatrice nous épargne quantité de clichés ou lieux-communs sur la représentation des femmes à l’écran. Ici, point de séants surreprésentés ou de postures aguicheuses pour la simple envie d’un money-shot, point de travellings lancinants remontant sur le bassin de nos héroïnes pour incarner je ne sais quel dynamisme dans la scène : non, tout ce qui est montré de possiblement aguicheur est traité avec le plus profond respect. Oui, l’on verra des poitrines et autres fesses, mais non, elles n’accapareront pas l’écran pour la simple et bonne raison que l’objet du film est ailleurs. Ici, les corps sont certes à la vue de tous mais sont aussi des armes. Des armes de séductions mais pas seulement, puisqu’ici ces armes sont fragiles. Entre Jennifer Lopez qui vampirise l’écran dès sa première apparition (difficile de rester insensible à la manière dont elle est mise en scène) et qui se révèle être une mère issue de la working-class ; une Constance Wu pleine de doute et qui ne souhaite que le bien de sa grand-mère, on a affaire à des personnages brisés par la vie, souvent réduits à leur simple profession et qui ne cherchent qu’à prospérer pour améliorer leur quotidien et non duper le système en place. De fait, outre de créer une réelle empathie pour ces dames, le film leur confère une dose bienvenue de réalisme, permettant un réel attachement pour ces femmes bien déterminées à ne pas se laisser marcher sur les pieds. C’est sans doute d’ailleurs sur ce point que la parenté avec l’œuvre de Scorsese est la plus criante : on sent les atours d’une œuvre grisante, pop (ça enquille Britney Spears et Usher en mode juke-box infernal) multipliant les embardées et autres joyeusetés et pourtant, on sait que la fin ne sera pas joyeuse…

… très en phase avec son époque…

Une tonalité douce-amère qui fait le sel de ce « rise & fall » puisque si l’on se prend d’affection pour ces femmes, il arrive un moment – un peu à l’instar de la série Breaking Bad ou du récent Joker de Todd Phillips – où l’on ne peut plus tolérer les actes illégaux dépeints à l’écran. Un sorte de respect tacite qui étonne inlassablement, surtout à l’heure ou chaque spectateur/spectatrice est grisé(e) par l’illégalité, mais ici justifié par le coté ordinaire des coupables. Ici, ce ne sont que des mères de famille, des étudiantes ruinées, des divas trop contentes d’avoir une once de pouvoir sur ces pourris de Wall Street, bref un cocktail d’âmes perdues pour qui l’ivresse de l’argent facile n’est que trop tentant. Ça distille sur elles un parfum de fragilité mais aussi un petit coté plausible : parfois même le film via ses interprètes tend à verbaliser le coté illégal et interdit de leurs actions ; un peu comme si la réalité rattrapait la fiction et que les pigeons de ces arnaques étaient parfois un peu lucides et pragmatiques quant à ces beautés fatales leur faisant la nique. Ça a le chic d’inscrire le tout dans une réalité un poil plus palpable que les grandes épopées du gangstérisme de Scorsese, mais ça amène indubitablement à ce que le fin mot de l’histoire soit amené par une ruse vieille comme le monde, et qu’on se le dise, un peu esseulée que celle d’un arnaqué qui a le souvenir de n’avoir peut-être pas vécu la meilleure soirée de sa vie et qui va par un simple coup de fil, enrayer la mécanique pourtant bien rodée de nos héroïnes. Comme quoi, la réalité est parfois à double tranchant.

Il n’a beau pas ré-inventer le genre de l’épopée gangstérienne ou du film d’arnaque, Queens reste pourtant hautement recommandable grâce à une énergie vivifiante, un casting solide et un portrait de femmes aussi respectueux que contemporain. 

Bande-annonce : Queens

Synopsis : Mené par Ramona Vega, un groupe de strip-teaseuses de New York se lie d’amitié, conjuguent leurs talents et mettent en place une arnaque pour tirer le plus d’argent possible et prendre leur revanche sur la clientèle travaillant à Wall Street. Leur plan fonctionne à merveille, mais argent et vie faciles les poussent à prendre de plus en plus de risques…

Fiche technique : Queens

Titre original : Hustlers
Titre français : Queens
Réalisation : Lorene Scafaria
Scénario : Lorene Scafaria, d’après l’article The Hustlers at Scores de Jessica Pressler pour New York
Casting : Jennifer Lopez, Constance Wu, Julia Stiles, Keke Palmer, Lili Reinhart, Lizzo, Cardi B, Mercedes Ruehl, Usher
Direction artistique : Kim Karon
Décors : Jane Musky
Costumes : Mitchell Travers
Photographie : Todd Banhazl
Montage : Kayla Emter
Production : Jessica Elbaum, Elaine Goldsmith-Thomas, Jennifer Lopez, Benny Medina, Will Ferrell et Adam McKay
Producteurs délégués : Megan Ellison, Pamela Thur, Alex Brown, Robert Simonds et Adam Fogelson
Sociétés de production : Gloria Sanchez Productions et Nuyorican Productions en association avec Annapurna Pictures
Sociétés de distribution : STX Films (États-Unis), Metropolitan Filmexport (France)
Durée : 110 minutes

Etats-Unis – 2019

Rédacteur LeMagduCiné