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Que notre joie demeure : le saint et l’assassin

Huit ans après l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, Cheyenne Caron offre avec Que notre joie demeure un double portrait du vieux curé assassiné et de son assassin. Discrètement hagiographique, le film est aussi généreux en ce qu’il donne toute sa place, avec respect et empathie, au jeune auteur de l’attentat ainsi qu’à sa famille. Plein de tendresse et de véracité, attaché à raconter ses personnages à travers leur quotidien à la fois le plus banal et le plus significatif, le film de Cheyenne Caron peine cependant à laisser rentrer, dans une histoire qui pourtant y invitait, le monde et l’outre-monde, l’Histoire et Dieu, et à dépasser ainsi parfois l’anecdote et le simple hommage.

Que notre joie demeure est un film très abouti, simple et clair, qui met en parallèle la trajectoire de deux martyrs : un vrai et un faux. Le film, de ce point de vue là, ne laisse place à aucune ambiguïté, ce qui n’est pas forcément un problème en soi tant que cela est assumé et ne sacrifie pas à la caricature. Et l’on ne peut pas dire que ce film sacrifie à la caricature. Évidemment, le prêtre martyr est lumineux, bon, généreux, mais ce qui frappe d’abord, c’est son incroyable normalité. C’est un être aimable, mais qui ne force pas à première vue l’admiration. Quant au terroriste pseudo-martyr, Cheyenne Caron, tout en nous brossant le portrait d’une boule de haine, parvient à saisir sur ces traits une espèce noblesse, une noblesse gâchée, une capacité d’absolu jetée au mauvais feu. Et la cinéaste, surtout, réussit à nous faire éprouver envers lui une vraie et profonde pitié. Les films qui traitent des attentats qui ont eu lieu ces dix dernières années en France ont tendance à invisibiliser leurs auteurs, et par là-même leurs discours. Que notre joie demeure a le mérite, peut-être le courage, de combler ce manque. Sans rentrer dans toutes les arcanes psychologiques et sociologiques du phénomène, et sans rien atténuer du mal qui le ronge, Cheyenne Caron nous donne à voir un jeune homme qui, en définitive, a ses raisons, quelque soit leur profondeur de sincérité. On peut noter également l’excellente idée d’avoir fait naître Adel, l’auteur de l’attentat contre le Père Jacques Hamel, dans un milieu petit-bourgeois intégré plutôt qu’une cité, idée a priori étonnante mais très conforme à la réalité sociologique bien documentée de la majorité des personnes arrêtées pour « fait de terrorisme » (attentat, préparation d’attentats, apologie, etc..).

Le film se déploie sur un rythme doux et monotone, suivant la vie quotidienne des protagonistes. Aucune scène ne ressort très franchement. C’est un fleuve calme, où se signalent ici et là quelques remous inquiétants. Le tout offre une impression d’assez grande vraisemblance, tour de force qui mérite d’être salué. Mais si Que notre joie demeure présente de grandes qualités, on déplore cependant une certaine superficialité de la mise en scène, souvent plate et illustrative. Très appuyée sur le scénario et les acteurs, Cheyenne Caron semble oublier d’investir pleinement dans son récit les ressources de l’art cinématographique, en jouant par exemple avec le montage, les focales, les économies de plan, les objets, les symboles. Les scènes y semblent plus captées que filmées. Seule excentricité, quelques plans zénithaux parcourent le film. Mais, là encore, ce choix traduit surtout la pauvreté des moyens cinématographiques mis en œuvre. On pense à ces plans de drones, coutumiers des documentaires Netflix ; et puis, dans un film racontant la rencontre malheureuse entre un prêtre et un jeune fanatique, on pense évidemment à Dieu, d’autant plus que ces plans zénithaux ne visent jamais que l’Église de Saint-Étienne-du-Rouvray où va se dérouler le drame final. Mais n’est-ce pas là une manière d’inscrire la présence divine tout en la congédiant, en en faisant une sorte d’œil impassible posé sur la fatalité, loin d’un Dieu chrétien engagé dans la vie des hommes ? Ainsi ces plans révèlent-t-ils l’inconséquence d’un cinéma qui ne s’empare pas pleinement des outils mis à sa disposition. Il est regrettable en effet qu’un portrait de saint martyr accorde si peu de place à la grâce et à la Providence. L’absence de hors-champs est aussi dommageable lorsque l’on entend inscrire le geste d’Adel dans son contexte historique. Si l’on y fait mention des interventions françaises en Lybie et au Mali, et si l’on montre bien le conflit entre la volonté d’intégration de la mère et de la sœur et le désir de vengeance et de pureté d’Adel, l’origine du malaise qui habite ce dernier n’est jamais vraiment appréhendée. Sa révolte passe pour une pure colère instrumentalisant l’islam face à des musulmans modérés et modernes, pleins de pacifisme (un imam au début du film) et de reconnaissance envers la France (la mère d’Adel, un peu caricatural pour le coup dans son amour de la philosophie des Lumières). On disculpe l’islam, ce qui est louable, mais on obvie un peu rapidement la question du racisme et de l’impérialisme ; de même que la présence du Ciel au milieu des hommes. Et ces manques sont aussi l’effet d’une mise en scène qui ne s’autorise pas à densifier et à complexifier une image de ce fait un peu trop lisse.
À tout cela s’ajoute une fin assez décevante, et même un peu déplacée dans sa bonne intention, qui semble proposer une voie de réconciliation possible entre les communautés sous les ors de la République. Une œuvre d’art, toujours, perd beaucoup à devenir programmatique et à quitter le terrain de l’ambivalence et de l’irrésolue.

Disons, pour finir, la grande émotion que suscite le portrait de l’humble Père Hamel, et la tendresse envers chaque personnage qui traverse ce film. C’est parfois un peu naïf, mais jamais ridicule et grossier. Cheyenne Caron rend hommage, un hommage pudique et vibrant, à une vie donnée, celle d’un petit prêtre de province, qui dû assister ces dernières décennies à la raréfaction accélérée de ses ouailles, et dont la sublime modicité trouva sa conclusion inattendue dans un martyr tout bête, tout inactuel, tout évident. Cela méritait au moins ce film d’une juste et jolie sobriété, délicat et respectueux à l’égard aussi bien du saint que de l’assassin, suggérant ainsi qu’il n’y aurait, dans le fond, qu’un seul véritable ennemi, celui que nomma juste avant d’être poignardé le petit curé de Saint-Étienne-du-Rouvray.

Que notre joie demeure : Bande-annonce

Que notre joie demeure : Fiche Technique

De Cheyenne Carron | Par Cheyenne Carron
Avec Oussem Kadri, Daniel Berlioux, Gerard Chaillou
24 avril 2024 en salle | 1h 48min | Drame
Distributeur Hésiode

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