A la fin du film d’Emilie Brisavoine, voire à la fin de son générique, les spectateurs sont restés dans la salle, recroquevillés au fond de leur siège, comme sonnés par ce qu’ils venaient de voir…Pauline s’arrache est un documentaire très intime qui se passe dans une famille atypique et conflictuelle.
Synopsis: Pauline, 15 ans, est la seule de la fratrie à vivre encore avec ses parents. Entre sa mère, une ancienne reine de la nuit, et son père qui se travestit, son quotidien est explosif. Pauline est filmée pendant deux ans par sa demi-soeur Emilie, qui mélange des archives familiales et des images prises sur le vif… On y découvre une jeune fille pleine de vie, parfois agaçante mais au charme désopilant, très amoureuse d’un musicien. Pendant les deux années où la caméra la suit se joue une question fondamentale : quand et comment devient-on adulte ? Quel est le bon moment pour quitter le giron familial, pour «s’arracher»…
Pauline à la plage
Frédéric est le père gay aimant beaucoup se travestir, à ses heures très violent verbalement, constamment dans les excès à la mesure de son traumatisme d’enfance ; Meaud est la mère néo-baba, ancienne gloire de la nuit, vieillissante et dépressive, elle non plus pas avare de cris en tous genres, elle aussi charriant son lot personnel de perfidies de la part des adultes de sa propre enfance. Ce couple tumultueux, présenté par Emilie Brisavoine comme le roi et la reine d’un château de conte de fées, a donné vie à trois enfants dont les deux aînés Anaïs et Guillaume ont réussi à s’extirper de ce milieu très perturbant en allant vivre qui chez une grand-mère, qui chez une marraine, et dont la petite dernière Pauline, vit encore avec eux. Par moments, on serait tenté de dire survivre plutôt que vivre, tant l’existence de Pauline est chaotique et difficile sur la période du documentaire.
Derrière la caméra, une caméra rudimentaire allant de l’iPhone au simple caméscope DV, œuvre Emilie, la grande demi-sœur issue du premier mariage de la mère. Il est évident que la jeune réalisatrice pose un acte cathartique au travers de Pauline s’arrache qui implique sa propre famille, elle arrive non seulement à se mettre à distance de cette histoire que l’on devine difficile si ce n’est douloureuse, mais également à mettre les protagonistes eux-mêmes à distance de la caméra, à distance de leur propre outrance (« je ne peux pas dire librement baiser, baiser devant ta camera, dit la mère, un peu mal à l’aise, et de fait avec le regard vaguement fuyant »).
Seule Pauline est constamment en osmose avec la caméra, et le film Pauline s’arrache prend véritablement l’allure d’un journal filmé. Les moments où l’héroïne prend la caméra à partie ne sont pas rares ; elle est comme l’exutoire d’un quotidien qui lui est trop lourd à porter. Pauline a entre un peu moins de 15 ans et un peu plus de 17 ans lorsqu’ Emilie Brisavoine la suit dans ses pérégrinations adolescentes : ses disputes fraternelles, ses embrouilles filiales, ses amours torturés, ses doutes et sa lassitude. Mais à ce stade, Pauline ne s’arrache pas, au contraire elle reste bien ancrée dans sa famille, tétanisée par la peur pense-t-elle dans un premier temps, expérimentant bientôt des épiphanies plus ou moins fondées sur les raisons de son immobilisme et de son attachement à ces parents qui ne la rendent pas toujours heureuse. «Je viens de comprendre un de ces trucs, c’est comme si mon cerveau avait chié ! » dit-elle à la caméra dans un large sourire de soulagement. Pauline est extrêmement émouvante dans son mélange explosif de révolte et de résignation, et malgré une image pas toujours belle à voir, pixellisée et sombre, saccadée et imprécise, la réalisatrice et sa monteuse Karen Benainous parviennent à nous toucher profondément, plus profondément peut-être que ce qu’on aurait pu imaginer…
Mais Pauline s’arrache n’est pas un dépliant sur les traumas familiaux, et le but n’est pas de soutirer les larmes du spectateur. Emilie Brisavoine entremêle ses propres images avec des archives familiales, du temps de l’enfance, du temps de l’innocence, comme par exemple ce petit film avec Pauline et ses frère et sœur, intitulé « Pauline, 1990, à la plage » par son grand-père, un titre énoncé d’une voix laconique et dont on ne sait s’il est accidentel ou volontaire…C’est ce mélange entre un présent tourmenté et cette innocence passée, cette absence totale de conscience des choses suivie d’un réveil douloureux qui nous rendent empathiques de Pauline, agaçante dans sa mue, voire insupportable par moments, il faut bien le dire, mais fragile et perdue parmi sa parentèle aussi aimante que compliquée….
Il n’y a pas si longtemps, le canadien Jonathan Caouette a réalisé ce même type de documentaire familial très intime avec Tarnation en 2003, et Walk away Renée en 2011, deux films très forts et marquants qui pourraient faire figure de grands frères au film d’Emilie Brisavoine : les mêmes méthodes de tournage et de montage, la même famille déjantée, le même sous-texte queer (Pauline s’arrache a été nominé au Queer Palm de 2015, prix finalement reçu par Carol de Todd Haynes). Une telle affiliation est tout à l’honneur de la plus jeune réalisatrice, et si le moteur de la jeune femme est le travail sur la porosité entre l’inconscient et le réel, Caouette avoue également s’être inspiré du Twilight Zone de David Lynch. Mais surtout tous ces films ont en commun d’être une véritable déclaration d’amour des réalisateurs à leur famille, et c’est sans doute ce qui séduit dans Pauline s’arrache, cette bienveillance et cette tendresse qui imprègnent sa caméra de bout en bout.
Pauline s’arrache – Bande annonce
Fiche technique : Pauline s’arrache
Date de sortie : 23 Décembre 2015
Réalisateur : Emilie Brisavoine
Nationalité : France
Genre : Documentaire
Année : 2015
Durée : 88 min.
Scénario : Emilie Brisavoine
Interprétation : Pauline Lloret-Besson, Meaud Besson, Frédéric Lloret, Anaïs Lloret-Besson, Emilie Brisavoine…
Musique : –
Photographie : Emilie Brisavoine
Montage : Karen Benainous
Producteurs : Nicolas Anthomé
Maisons de production : Bathysphère Production
Distribution (France) : Jour2fête
Récompenses : Sélectionné à l’ACID au Festival de Cannes 2015
Budget : –