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Miss de Ruben Alves : féminin plurielles

Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné
Note des lecteurs1 Note
3.5

Miss est un film parfois déstabilisant tant il met à mal les idées reçues sur la féminité ou plutôt la manière de la vivre. Le concours de Miss France est au cœur des préoccupations d’Alex alors même qu’être femme n’est pas encore chez lui un désir totalement avoué, mais plutôt une façon d’être plus fort. Un regard à la croisée des identités porté par une très belle interprétation mais perdu sur le chemin balisé de la comédie à la française.

Une femme fantastique

Miss, c’est d’abord Alexandre Wetter, l’interprète d’Alex. Son visage est une petite poésie à lui tout seul où passent de nombreuses émotions et surtout la volonté de réaliser un rêve d’enfant. Il la formule devant sa famille bancale faite de bric et de broc et ils sont prêts à le suivre en Alexandra, même pour de mauvaises raisons.  Il y a dans sa manière de passer du masculin au féminin, une simplicité qui rend hommage à ce désir (ou devrait-on dire le besoin) d’être soi autrement que dans le corps assigné à la naissance. Il n’y a ni outrance, ni grande mascarade, un peu comme dans Une femme fantastique qui racontait un destin transgenre plutôt simple, quotidien, sans grandes envolées. Ni la femme fantastique, ni la miss ne sont des militantes. Leur chemin de femmes est aussi un chemin de vie, un désir d’être soi, même dans des milieux inattendus, souvent malheureusement relégués à la marge. C’est d’abord ce que montre Miss dans un univers fantaisiste qui entoure le personnage principal. Mais c’est en rencontrant un ami d’enfance qui a, lui, réalisé son rêve, qu’Alex se rend compte que le sien n’est pas « allé jusqu’au bout du sien propre ».

A la croisée des mondes

C’est alors que commence un autre chemin, car le rêve d’enfant d’Alex n’était pas tant d’être femme que d’être Miss France. A l’heure où les uns veulent être pompiers, les autres stars, lui n’avait qu’une volonté : être ce que son genre l’empêchait précisément d’être. Et déjà ce rêve-là lui était défendu par ses camarades, pas par ses parents. Alex a été élevé dans l’idée qu’il pouvait être qui il voulait, qu’il suffisait de le vouloir. Or, Alex le sait, ce n’est pas si simple, autour de lui gravitent des êtres qui en voulant être ce qu’ils désirent, ont échoué. Le voilà donc lancé cependant dans ce concours improbable où le féminin est au service exclusif du regard. Il faut paraître, représenter une certaine idée de la féminité, quitte à s’y perdre en chemin. Le film rend toutes ces personnalités attachantes et plus femmes que jamais alors même que notre regard sur ces concours est souvent négatif. Temple de la femme-objet, le show de TF1 ne laisse que peu de place pour « devenir quelqu’un ». C’est pourtant le rêve d’Alex. Celui qu’elle formule en passant les castings et qui la fait taper dans l’œil de celle qui décide un peu tout, mais que l’on tente de mettre sur la touche. Peu à peu, ces deux femmes vont se construire et se déconstruire en parallèle.

Être une femme de son époque

Alexandra se déguise (le mot paraît cependant insultant mais c’est bien ce qu’exige le concours, un déguisement), se transforme en femme sous l’œil des caméras sans jamais être démasquée comme homme. On se croirait du côté de Laure/Mickaël qui dans Tomboy faisait la transformation inverse. Qu’il est simple en apparence de changer d’identité sans dommage. Or, se cacher n’est pas une solution viable. Et puis, c’est quoi être une femme véritablement ? Aucune réponse n’est apportée puisque le film suggère avec beaucoup d’intelligence, que les réponses sont multiples. Preuve en est quand Alex marche dans la rue, perdue, et que la voix de Clara Luciani s’élève. La chanteuse interprète « Drôle d’époque », une chanson qui questionne, elle aussi, le regard porté sur le féminin « tantôt mère nourricière, tantôt putain vulgaire »… Comme si depuis La maman et la putain, rien n’avait changé. Et pourtant si, tout bouge dans nos représentations, avec cette voix et cette image d’une femme qui avance malgré tout, malgré les questions, la peur de ne jamais devenir quelqu’un…

Miss est un film parfois bouleversant et audacieux mais dont le propos se trouve malheureusement noyé dans le canevas de la comédie à la française. Ce canevas est trop prévisible et consensuel. Il aurait fallu pour le film opérer la même révolution qu’Alex opère dans sa vie. Dommage, l’idée était originale à travers une idée préconçue de la féminité que d’en faire éclore une, hors norme. Il y a pourtant un panache à la Almodovar quand Alex est sur scène, un truc à la Agrado dans Tout sur ma mère, un truc qui dit « je ne suis peut-être pas une femme, mais je suis plus fort en femme ». Telle Laure qui le temps d’un été a été un garçon comme les autres, un super grand-frère, Alex sera une voix et un corps regardés par des millions de gens qui disent à un autre homme combien son regard a tout faux. Rien que ça, c’est un beau et grand moment de cinéma.

Bande annonce : Miss

Fiche technique : Miss

Synopsis : Alex, petit garçon gracieux de 9 ans qui navigue joyeusement entre les genres, a un rêve : être un jour élu Miss France. 15 ans plus tard, Alex a perdu ses parents et sa confiance en lui et stagne dans une vie monotone. Une rencontre imprévue va réveiller ce rêve oublié. Alex décide alors de concourir à Miss France en cachant son identité de garçon. Beauté, excellence, camaraderie… Au gré des étapes d’un concours sans merci, aidé par une famille de cœur haute en couleurs, Alex va partir à la conquête du titre, de sa féminité et surtout, de lui-même. 

Réalisation : Ruben Alves
Interprètes : Alexandre Wetter, Pascale Arbillot, Isabelle Nanty,  Thuibault de Montalembert, Stéfi Celma, Quentin Faure, Moussa Mansaly, Hedi Bouchenafa, Baya Rehaz
Scénario : Ruben Alves, Elodie Namer
Photographie : Renaud Chassaing
Montage : Valérie Deseine
Sociétés de production : Chapka Films, Zazi Films, France 2 Cinéma, Marvelous Productions, Belga Productions
Distributeur : Warer Bros, France
Genre : Comédie
Durée : 107 minutes
Date de sortie : 21octobre 2020

France – 2020

Reporter LeMagduCiné